Les millions transférés aux entreprises des enfants du fondateur de Groupe Sélection, Réal Bouclin, et le silence radio de ce dernier ont monopolisé une bonne partie des audiences visant à déterminer qui contrôlera la restructuration du géant des résidences pour personnes âgées (RPA). Même le juge Michel A. Pinsonnault a ajouté son grain de sel.

« Il y a une chose majeure, les paiements aux deux sociétés des enfants, je comprends [qu’on m’a] donné un document qui est essentiellement une feuille blanche sur Word avec des chiffres qu’on a mis », s’est étonné le magistrat de la Cour supérieure du Québec, jeudi, lors des plaidoiries.

Pendant la journée, celui-ci n’a pas hésité à exprimer ses préoccupations sur certains aspects des stratégies des deux parties, qui souhaitent chacune installer leur représentant aux commandes pendant la restructuration. Les prêteurs veulent voir PwC aux commandes, tandis que le géant des RPA préfère FTI et son candidat Yanick Blanchard comme chef de la restructuration.

« Paiements préférentiels »

Les deux entreprises contrôlées par les enfants de M. Bouclin servent à payer des sous-traitants et des fournisseurs qui font du travail de marketing, d’informatique et d’architecture pour Sélection. Depuis la semaine dernière, elles ont reçu environ 2,5 millions, dont 1,5 million le 14 novembre, le jour où l’entreprise a obtenu la protection de ses créanciers en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).

Plusieurs remettent en question le versement de ces sommes alors qu’en date du 30 juin dernier, l’entreprise devait 118 millions à des fournisseurs et des créanciers ordinaires. Les prêteurs parlent de « paiements préférentiels ».

« J’essaie de placer un paiement de presque 400 000 $ à Bell Canada fait dans les derniers jours, et je ne vois pas ce que cela a à voir avec l’ingénierie et le marketing, a commenté le juge Pinsonnault, à propos des informations communiquées par Sélection. C’est pour cela que je dis qu’il faudra éclaircir le portrait. »

Par communiqué, jeudi, en fin de journée, les enfants de M. Bouclin ont affirmé que les versements d’environ 1,5 million par mois aux entreprises familiales ne servaient pas à « entretenir » leur « rythme de vie », comme l’ont suggéré les créanciers. Les sommes servent à « financer » leurs compagnies, plaident-ils.

« Énormément de réserves »

Le juge n’a pas hésité à intervenir pendant l’audience. Il a interrompu l’avocat de Sélection, Guy Martel, pour lui faire part de ses préoccupations au sujet du financement temporaire proposé par le constructeur et gestionnaire de RPA, qui s’est traduit par un versement d’un demi-million.

« Si ce financement n’est pas approuvé par le tribunal, cela veut dire que la compagnie vient de perdre 500 000 $, a fait remarquer le magistrat. Je dois vous avouer que j’ai énormément de réserves à l’égard de ce financement et des conditions. »

Les représentants du syndicat bancaire ont également dû répondre à des questions sur leur plan de « stabilisation », de « restructuration » et de « monétisation » de Sélection, qui brûle mensuellement 7 millions. Le juge Pinsonnault s’est dit interpellé par une clause permettant aux institutions financières de bénéficier de certaines protections par rapport aux autres créanciers. Leur avocat Luc Morin s’est empressé de répondre que le syndicat bancaire mettrait de l’eau dans son vin.

« Cette condition va être levée », a assuré l’avocat au juge.

Le « grand absent »

Tout au long des audiences, le président et fondateur de Sélection, Réal Bouclin, a brillé par son absence. La situation a monopolisé une partie des échanges. Selon MMorin, l’homme d’affaires a été le « grand absent » de la semaine, qui n’a pas daigné venir corriger le tir malgré les critiques sévères formulées à son endroit par ses prêteurs.

« En 20 ans de carrière […], c’est la deuxième fois que je vois un [PDG] se cacher lors de l’émission d’un processus sous la LACC, a dit MMorin. Pourtant, on aurait de belles questions à lui poser. Pourquoi avez-vous payé 2,5 millions à une entité dont l’unique bénéficiaire est votre famille alors que Sélection a 118 millions de comptes fournisseurs ? »

La réplique est venue en fin de journée. MMartel a révélé que son client ainsi que ses enfants avaient suivi les audiences à distance et que personne, chez les créanciers, n’avait exigé que M. Bouclin vienne témoigner.

« C’est un peu bizarre qu’on en fasse un grand cas, après quatre jours, alors que personne ne m’a demandé d’interroger M. Bouclin, a répliqué M. Martel. Personne ne m’a demandé de m’assurer qu’il soit présent parce qu’on avait des questions pour lui. »

L’avocat de l’homme d’affaires affirme que ce dernier n’était pas présent physiquement parce qu’il avait des « questions opérationnelles » – la gestion de son entreprise – à régler.

En savoir plus
  • 260 millions
    C’est une demande de remboursement pour ce prêt consenti en mai 2021 qui a incité Sélection à se protéger de ses créanciers.
    LA PRESSE
    48
    Nombre de résidences pour personnes âgées exploitées par Sélection au Québec
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