Le Canadien National (CN) continue d’être écorché par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) – l’un de ses grands actionnaires – pour avoir écarté les francophones de son conseil d’administration. L’institution montre du doigt deux administrateurs du chemin de fer montréalais, qui est assujetti à la Loi sur les langues officielles.

Après avoir qualifié la situation d’« inacceptable » le mois dernier, la Caisse en a rajouté une couche en s’opposant à la réélection de deux des onze administrateurs de l’entreprise. Il s’agit de Kevin Lynch et Robert Phillips, membres du comité de gouvernance et de candidatures – chargé du recrutement des membres du C.A. Âgés de 71 ans, les deux hommes sont les doyens du conseil d’administration.

Officiellement, le bas de laine des Québécois s’est abstenu d’appuyer la réélection des deux hommes, vendredi dernier, à l’occasion de l’assemblée annuelle de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada. Il est toutefois allé plus loin, mardi, en précisant le fond de sa pensée, et ce, même si le CN a promis de corriger le tir.

« La CDPQ déplore l’absence d’administrateurs francophones au conseil d’administration, dit-elle. La charte du comité de la gouvernance […] prévoit que ses membres sont chargés d’établir la composition du conseil. »

Pour chacune des nominations, la CDPQ « s’oppose » au retour des candidats. En 2021, ce comité comptait quatre membres. La Caisse n’a pas directement précisé pourquoi elle avait ciblé MM. Lynch et Phillips, mais ceux-ci sont des « membres de longue date » du comité de gouvernance, fait-elle remarquer.

Lisez « Les francophones écartés de la table du C.A. »

Cette sortie de la Caisse est toutefois symbolique. MM. Lynch et Phillips ont été réélus et seront de retour. Ils ont cependant récolté les plus hauts taux d’abstention (5,4 % et 4,77 %). L’an dernier, M. Phillips avait quitté ses fonctions de président du comité de gouvernance, mais il est toujours administrateur. Le CN n’a pas voulu commenter la décision de la CDPQ.

Selon les plus récentes données de la firme de données financières Refinitiv, la CDPQ arrive au septième rang des principaux actionnaires du plus grand transporteur ferroviaire au pays avec une participation d’environ 1,8 % (12,3 millions d’actions). Il n’a pas été possible de connaître l’identité des autres investisseurs d’envergure qui se sont abstenus de voter pour la réélection de MM. Lynch et Phillips.

Professeur du département de management de l’Université Laval, Yan Cimon, qui se spécialise dans les questions de gouvernance, estime que la sortie du gestionnaire québécois de régimes de retraite constitue un message clair à l’égard de la direction du CN.

« S’abstenir de voter et laisser les pourcentages parler, ce n’est pas la même chose que de sortir publiquement, explique-t-il, dans un entretien téléphonique. En sortant publiquement, le message est très clair. La Caisse veut vraiment manifester son opposition. Sa voix porte parce que c’est un investisseur institutionnel d’envergure. »

PHOTO FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ LAVAL

Yan Cimon est professeur au département de management de l’Université Laval

Depuis le 28 février dernier, le CN est dirigé par Tracy Robinson, une unilingue anglophone qui suit actuellement des leçons de français pour maîtriser la langue. Son prédécesseur, Jean-Jacques Ruest, était parfaitement bilingue.

Parallèlement à cette tempête linguistique, La Presse a récemment révélé que la langue de Molière était également mise à mal en milieu de travail au Québec. Depuis, le CN a dit être en train de réviser ses façons de faire linguistiques.

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Francophones recherchés

L’ex-premier ministre québécois Jean Charest était le dernier francophone qui siégeait au conseil d’administration du CN. Il avait démissionné le 31 mars dernier, moins de deux mois après avoir été recruté, afin de briguer la direction du Parti conservateur du Canada. Malgré le départ de M. Charest, l’entreprise n’a retenu aucun candidat local pour siéger au C.A.

Plongée dans la tourmente, la société a promis d’ajouter un francophone à son équipe au cours des prochains mois. Les services d’une firme ont été retenus dans le cadre du processus, a affirmé vendredi dernier Shauneed Bruder, la nouvelle présidente du conseil d’administration.

« Le CN prend ce processus au sérieux, avait-elle déclaré. Il sera rigoureux, intègre et conforme à nos pratiques de gouvernance. »

Aucun échéancier n’a été fourni. Mme Bruder n’a pas expliqué pourquoi le CN avait besoin de l’aide d’une firme pour recruter un administrateur francophone. En donnant le coup d’envoi au processus, le 26 avril dernier, l’entreprise s’était limitée à dire que la nomination était prévue « dans les mois à venir ».

À la Bourse de Toronto, mardi, l’action du CN a retraité de 1,35 %, ou 1,94 $, pour clôturer à 141,30 $.

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  • 22 600
    Il s’agit de l’effectif total du CN. L’entreprise compte 4000 salariés au Québec.
    SOURCE : compagnie des chemins de fer nationaux du Canada