Hopper continue son improbable ascension. Dans une industrie en plein désarroi, où elle s’est spécialisée dans la réservation de billets d’avion au plus bas prix, la société techno montréalaise a annoncé mardi avoir quintuplé ses revenus d’avant la pandémie et s’apprête à embaucher 500 employés supplémentaires.

Un financement de 175 millions a été bouclé, pour un total de 600 millions depuis sa fondation, ce qui lui donne une valorisation estimée à 3,5 milliards US. Deux investisseurs de la première heure, la Caisse de dépôt et placement du Québec et Investissement Québec, sont absents de cette nouvelle ronde de financement, relayés notamment par la firme new-yorkaise GPI Capital et Glade Brooke Capital.

Parmi le demi-millier d’employés qui seront embauchés avec les nouveaux capitaux, portant le total à plus de 1000, 300 se consacreront à ce qui avait été le maillon faible de Hopper en début de pandémie, le service à la clientèle. La jeune start-up avait failli être engloutie par une vague de mécontentement de clients voulant se faire rembourser, avoue sans détour son cofondateur et PDG, Frédéric Lalonde.

« Pour le support à la clientèle, la pandémie a été épouvantable, on a eu 500 000 annulations tout d’un coup. C’est comme si tous ceux qui avaient acheté chez Simons pendant un an rapportaient tout la même journée. Il n’y a rien qui fonctionnait, il a fallu automatiser. Mais les gens attendaient trois mois leur remboursement pendant qu’on écrivait du code. »

« J’ai dû recevoir 10 000 appels »

Malmenée au printemps 2020 par les mauvaises notes d’usagers mécontents, l’application Hopper, téléchargée 60 millions de fois au total, a repris du poil de la bête avec des scores de 4,7 et 3,8 étoiles sur 5, sur l’App Store et le Google Play Store. « Ça a duré un an. La raison pour laquelle on est revenus, c’est qu’on a remboursé tout le monde. Mon courriel et mon numéro de téléphone ont été publiés sur l’internet, j’ai dû recevoir 10 000 appels, mais on a pris le temps de régler chaque cas. »

Hopper, se réjouit son PDG, est aujourd’hui la cinquième agence de voyages en importance dans le monde. Au Canada, son application est au deuxième rang, tout juste derrière ArriveCAN, que les voyageurs doivent obligatoirement utiliser pour entrer au pays. Avec ses 60 millions de téléchargements et son partenariat avec Capital One, qui a annoncé un portail de voyage, ce sont 100 millions de consommateurs qu’on pourra joindre en Amérique du Nord, « soit un sur trois », précise M. Lalonde.

Mais comment peut-on enregistrer une pareille croissance alors que l’industrie aérienne est à son plus bas ? D’abord, parce que Hopper n’est plus seulement une application de réservation de billets d’avion, qui ne représentent plus que 40 à 45 % de ses ventes, alors que les locations de voiture et les réservations d’hôtel ont pris de l’importance.

Hopper mise par ailleurs sur une masse de données accumulées depuis 2008, traitées par l’intelligence artificielle, qui lui permettaient de prédire avec précision les prix des billets d’avion et de recommander les plus bas. Étonnamment, les tendances sont restées les mêmes, note le PDG.

Même quand il y a une pandémie, les modèles qui déterminent les prix sont les mêmes. […] La vraie clé de l’intelligence artificielle, ce n’est pas tant l’algorithme que la capacité d’agréger assez de données pour faire de bonnes prévisions.

Frédéric Lalonde, PDG de Hopper

Mais ce qui pousse surtout les revenus de Hopper à la hausse, ce sont tous les produits financiers « de protection » qu’on a élaborés depuis 2018. Bâtis comme des assurances, ils visent à protéger le voyageur en cas d’imprévu.

« Un de mes préférés, c’est le gel des prix, explique M. Lalonde. Pour un montant minimal de 30 ou 40 $, on stoppe les changements de prix pour une heure ou 15 jours. Si le prix monte, c’est Hopper qui paie de sa poche. »

Un vol sur quatre et un séjour à l’hôtel sur cinq réservés sur Hopper profitent aujourd’hui de ce gel de prix, précise-t-il. Un autre produit populaire : des billets en classe Économie qui ne sont habituellement ni remboursables ni modifiables, mais qui le deviennent avec Hopper. « Vous pouvez annuler, et ça ne prend pas un billet du médecin : vous allez dans l’application et c’est tout. »

Enfin, il est possible de se protéger quand on rate une correspondance : l’application permettra tout simplement au client de prendre le prochain vol pour la destination finale.

Tous ces outils seraient évidemment ruineux pour Hopper si on n’arrivait pas à prédire correctement le comportement des consommateurs ou des lignes aériennes. « Quand on arrive à une masse critique de données de consommateurs, comme Facebook, Google et YouTube, on est capable de faire des choses que les autres ne peuvent pas faire. Nous, ça fait quand même 15 ans qu’on accumule. »