Les lois canadiennes sur la concurrence devraient être modifiées pour interdire les pratiques de type cartel et les accords de fixation des salaires dans le secteur de l’épicerie, a estimé mercredi un nouveau rapport du Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes.

Le rapport est déposé un an après que les trois grands épiciers du Canada – Les Compagnies Loblaw, Metro et la société mère de Sobeys, Empire – ont tous coupé les primes salariales temporaires liées à la pandémie à un jour d’intervalle, en juin dernier.

Cette décision a incité le comité à tenir des audiences sur la question et à inviter les cadres supérieurs des épiceries pour expliquer leurs décisions.

Même si les détaillants en alimentation ont admis avoir communiqué entre eux au sujet de la fin de leurs primes salariales respectives d’environ 2 $ l’heure, ils ont nié avoir coordonné la fin de ces primes salariales.

Michael Medline, président et chef de la direction de Sobeys et d’Empire, a expliqué que l’entreprise surveillait ce que faisaient les autres détaillants, mais ne collaborait pas ou ne se coordonnait pas avec ses concurrents.

« Nous ne ferions jamais cela, a-t-il affirmé devant la commission parlementaire. Permettez-moi d’être tout à fait clair : nous n’avons pas coordonné nos décisions avec d’autres détaillants. »

Le président et chef de la direction de Metro, Eric La Flèche, a affirmé qu’il avait contacté ses homologues chez Loblaw et Sobeys pour recueillir des informations, et non pour obtenir une entente tacite sur les salaires.

« Plus je dispose d’informations sur ce que font les autres, la manière dont ils traitent leurs employés, combien ils les paient et pendant combien de temps […] ce sont des informations importantes que j’essaie d’obtenir », a-t-il déclaré au comité en juillet dernier.

Mais le fait que des dirigeants d’entreprises concurrentes communiquent entre eux au sujet des salaires « (risque) de dériver vers une conduite de type cartel », a fait valoir le commissaire à la concurrence au Bureau de la concurrence, Matthew Boswell, lors des audiences du comité.

Pourtant, le bureau n’a pas le pouvoir, en vertu de la Loi sur la concurrence, de poursuivre un tel comportement et fait face à d’importantes contraintes au chapitre des ressources, a-t-il souligné.

La législation canadienne sur la concurrence diverge des lois aux États-Unis, où les autorités fédérales de la concurrence peuvent poursuivre pénalement les accords de fixation des salaires, a expliqué M. Boswell au comité.

Le comité bipartite a recommandé à Ottawa d’aligner la législation canadienne sur la concurrence avec la législation américaine, afin de poursuivre pénalement de tels accords.

« Cela contribuerait à clarifier les obligations liées à la concurrence des entreprises actives sur les marchés du Canada et des États-Unis, ainsi qu’à faciliter la coopération entre les autorités de la concurrence des deux pays », indique le rapport.

Le rapport souligne que le secteur de l’agroalimentaire canadien gagnerait à se doter d’un code de conduite pour lutter contre les inégalités de pouvoir de négociation entre les producteurs alimentaires et les épiciers. Ce problème de longue date a suscité une attention accrue ces derniers mois, après que certains détaillants ont imposé unilatéralement des coûts plus élevés à leurs fournisseurs.

Le comité a demandé au gouvernement de déposer une réponse globale aux recommandations du rapport.

Une reconnaissance du rôle d’employés essentiels

Au début de la pandémie de COVID-19, les épiciers ont décidé d’offrir des primes salariales comme mesure temporaire associée aux confinements.

Lorsque les restrictions se sont assouplies et que les comportements d’achat se sont normalisés, les trois épiciers ont pris la décision de mettre fin à ces augmentations de salaire, selon le rapport.

Seul Sobeys a réintroduit sa « rémunération de héros », alors que des provinces resserraient leurs restrictions, selon le rapport.

Metro a pour sa part offert des cartes-cadeaux à ses travailleurs de première ligne à trois reprises depuis la disparition progressive de la prime salariale en juin dernier, tandis que Loblaw a annoncé une prime d’appréciation unique pour ses travailleurs en avril.

Par ailleurs, des représentants syndicaux ont souligné au comité que la prime salariale pour les employés de première ligne des supermarchés était une reconnaissance importante de leur rôle essentiel pendant la pandémie.

Ils ont témoigné que le retrait de la prime avait exacerbé les conditions de travail déjà difficiles dans le commerce de détail alimentaire, notamment la faiblesse des salaires et le manque d’avantages sociaux.

Les syndicats jouent un rôle fragmenté dans le secteur canadien de l’alimentation. Bien que plusieurs syndicats représentent un certain nombre d’épiciers à travers le pays, la majorité des travailleurs de la vente au détail d’aliments ne sont pas syndiqués.

Un rapport récent sur l’industrie alimentaire de l’Ontario, préparé par le Brookfield Institute for Innovation and Entrepreneurship, a révélé qu’environ 20 % des travailleurs de la vente au détail d’aliments de la province étaient syndiqués.

Loblaw n’a pas répondu jeudi à une demande de commentaire, tandis que Metro a indiqué qu’elle n’avait aucun commentaire.

Mais la vice-présidente des communications et des affaires corporatives de Sobeys, Jacquelin Weatherbee, a affirmé que la société était ravie du rapport et de son soutien à un code de conduite pour l’industrie.

« Nous avons récemment envoyé au comité (permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie) une lettre pour leur rappeler que nous ne croyons, en aucun cas, à la fixation des salaires — que ce soit légiféré ou non », a-t-elle déclaré dans un courriel.

« Nous avons également indiqué que nous accueillerions favorablement toute clarification du régime juridique concernant les concurrents s’engageant dans la fixation des salaires et nous sommes heureux de lire leur recommandation à cet effet. »