Première institution financière québécoise à se doter d’un tel outil, Desjardins inaugurera officiellement lundi son laboratoire en expérience utilisateur. À la fine pointe de la technologie, il scrutera les réactions de « cobayes » devant des tâches peu folichonnes comme le renouvellement hypothécaire, le virement Interac ou la souscription d’assurances. La Presse a pu visiter les lieux en primeur.

Ambiance start-up

Au 9étage d’une tour de bureaux du centre-ville, le Mouvement Desjardins a installé en 2017 tout un service spécialisé dans les outils numériques. C’est ici qu’on peaufine notamment AccèsD et tous ses outils, dans une ambiance plus proche du studio de jeu vidéo que des bureaux classiques. « On a décidé, il y a trois ans, d’avoir une approche différente, en mêlant gens d’affaires et gens de technologies de l’information », explique Nathalie Larue, première vice-présidente Stratégie, marketing mouvement et services aux particuliers. Chez Desjardins, 92 % des transactions se font en ligne et, pour la première fois cette année, plus de 50 % d’entre elles sont réalisées sur un appareil mobile.

Commentaires des membres

L’autre petite révolution, c’est qu’on sollicite activement les membres pour obtenir leurs impressions des différents services offerts, notamment par des entrevues et des sondages. C’est ainsi qu’on a mis sur pied le renouvellement hypothécaire en ligne, il y a un peu plus d’un an, et qu’on l’a considérablement simplifié. « Avant, on posait plein de questions et les gens nous demandaient pourquoi, dit Mme Larue. On est aujourd’hui capables de renouveler son hypothèque en quatre clics. » Depuis 2017, Desjardins s’est en outre associée au laboratoire Tech3Lab, de HEC Montréal, spécialisé dans la recherche en expérience utilisateur (UX, dans le jargon). Nombre d’outils qu’on trouve dans le laboratoire de Desjardins sont testés depuis quelques années dans les locaux de cet établissement, le plus important du genre en Amérique du Nord.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Nathalie Larue, première vice-présidente Stratégie, marketing mouvement et services aux particuliers chez Desjardins, et Marie-Laure Di Fabio, chargée de recherche

Cobaye

C’est dans deux petites pièces bardées d’équipements électroniques qu’est installé le laboratoire UX de Desjardins, sous la supervision de Marie-Laure Di Fabio, chargée de recherche. Pour la visite de La Presse, un employé de Desjardins, « Sébastien », a servi de cobaye. On commence par lui coller deux électrodes sur la paume de la main, qui enregistreront l’activité électrique de sa peau. Quand Mme Di Fabio lui demande de prendre une grande inspiration, une courbe rouge prend son envol à l’écran. « Plus les gens suent, plus ils ont une émotion intense », explique la responsable. Sébastien se dirige ensuite vers la deuxième pièce, dont l’intérieur est visible grâce à un miroir sans tain et qui permet aux observateurs de suivre l’expérience.

« Artillerie lourde »

Deux autres pièces de résistance, l’« artillerie lourde », résume Mme Di Fabio, attendent le cobaye devant son ordinateur : un oculomètre et une caméra. Le premier appareil mesure l’activité des yeux, la direction du regard et la dilatation de la pupille. La caméra, elle, est liée à un logiciel, FaceReader, qui permet de détecter les émotions. Pendant que notre cobaye est invité à manifester différentes émotions, l’ordinateur interprète son expression comme neutre, triste, en colère, surpris, apeuré ou dégoûté. Ces deux outils, notamment l’oculomètre, ont été choisis parce qu’ils ne sont pas invasifs, explique Marie-Laure Di Fabio. « L’autre option, ce sont des électrodes sur la tête. Porter ça pendant une heure, c’est assez traumatisant. »

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L’activité des yeux, la direction du regard et la dilatation 
de la pupille sont mesurées tout au long de l’exercice. 

Charge mentale

Pendant une dizaine de minutes, le cobaye va naviguer sur le site transactionnel de Desjardins, fouiner notamment à la recherche d’un produit d’assurances, cliquer pour faire des transactions. Ses expressions faciales passent du neutre à la surprise, l’activité électrique mesurée sur sa peau fait des zigzags et son regard laisse des traces violettes sur un écran d’analyse. Toutes ces données sont compilées par un « logiciel orchestre », résume Mme Di Fabio, qui va associer « charges mentales » et sections du site. « On ne s’attend pas à générer des émotions très intenses, ce n’est pas Assassin’s Creed, ici », précise la chercheuse. L’ensemble de l’expérience est résumé dans un graphique où les différentes sections visitées sont notées en fonction de quatre états : frustration, enthousiasme, sérénité et tolérable. C’est cette dernière sensation qui est recherchée.

Utilité

Recourir à des mesures physiques objectives plutôt qu’aux simples commentaires d’utilisateurs permet de détecter les moments précis, les « glitchs où le bât blesse », selon Marie-Laure Di Fabio, où l’expérience du site devient insatisfaisante. « Il s’agit de trouver les points de frustration et de les faire disparaître », résume-t-elle. Dans le secteur financier, où bien des produits sont semblables, « c’est l’accompagnement et le service qui font la différence », dit-elle. Le laboratoire de Desjardins n’est évidemment pas équipé pour analyser les réactions de milliers de cobayes, mais ce n’est pas son objectif, précise Nathalie Larue. « Il s’agit d’une couche supplémentaire qui nous permet d’en savoir plus. »