L’analyse de la faisabilité d’une équipe de baseball à garde partagée entre Montréal et Tampa tombe à point nommé pour les promoteurs immobiliers qui convoitent les terrains du bassin Peel appartenant à la Couronne.

Devimco, promoteur boulimique présidé par Serge Goulet, et Claridge, fonds d’investissement de la famille de Stephen Bronfman, également à la tête du Groupe de Montréal qui travaille au retour du baseball majeur dans la métropole, ont maintenant une belle carte dans leur jeu pour arriver rapidement à une entente de gré à gré concernant l’achat du terrain offrant un grand potentiel de développement, à proximité du centre-ville.

Avant de faire équipe avec Claridge, Devimco (qui a des options sur 30 % du quadrilatère) avait le projet de construire des bâtiments d’une valeur de 2,5 milliards. C’est dire le potentiel du terrain.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR DEVIMCO

Avant de faire équipe avec le fonds d’investissement Claridge plus tôt ce printemps, Devimco avait l’intention de construire des bâtiments d’une valeur de 2,5 milliards au bassin Peel, articulé autour d’un pivot technologique.

Tour à tour, cette semaine, le commissaire du baseball majeur, le propriétaire des Rays et Stephen Bronfman ont indiqué leur volonté d’étudier la possibilité de faire évoluer le club de Tampa Bay à mi-temps à Montréal. L’idée pourrait devenir réalité dès 2023 ou 2024, dit-on.

Claridge n’attendra pas pour bouger. « Les décisions devraient être prises avant la fin de 2019, a dit mercredi dernier Pierre Boivin, président et chef de la direction de Claridge, cité par Le Journal de Montréal. Le changement de zonage devrait se faire dans les premiers mois de 2020. Avant d’arriver à l’emplacement exact d’un stade, on a encore neuf mois de travail devant nous. »

Le deux frimé d’une équipe à temps partagé devient également utile pour convaincre la Ville de Montréal d’accorder un zonage permissif sur un terrain actuellement zoné industriel. Le bassin Peel est situé dans le secteur Bridge-Bonaventure pour lequel sera adopté prochainement un plan particulier d’urbanisme, qui précisera les usages et la densité permis. L’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) sondera la population sur le sujet à l’automne. Son rapport suivra.

Un zonage généreux permettra au promoteur de construire plus de condos, de locaux commerciaux et de bureaux, et ainsi se faire financer, indirectement et non sans risque, une partie de la construction de son stade sans avoir l’odieux de demander à la population de le subventionner.

M. Bronfman ne s’en est pas caché cette semaine. Il a répété qu’il ne comptait pas demander de fonds publics pour la construction du stade, mais que l’aide des gouvernements sera nécessaire pour les infrastructures ou le zonage, par exemple.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Stephen Bronfman (à droite) et Pierre Boivin ont rencontré les médias, plus tôt cette semaine, pour commenter l’idée d’une garde partagée d’une équipe de baseball entre Tampa et Montréal.

Le gouvernement Legault a déjà indiqué qu’il était prêt à collaborer au retour du baseball, bien que le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, a réfuté jeudi l’idée que Québec puisse investir dans le baseball ou dans le stade.

Pour la petite histoire, la Caisse de dépôt avait sérieusement étudié la possibilité de financer le stade Labatt projeté au sud du centre-ville.

Qui plus est, l’arrivée imminente d’une équipe de balle, même à demi-temps, devrait finalement pousser la Caisse de dépôt (et la Ville de Montréal, qui tient à avoir son mot à dire) à construire la future station Griffintown du Réseau express métropolitain (REM) juste à côté du terrain de baseball, une condition essentielle au projet, a déjà annoncé le Groupe de Montréal.

À l’opposé, des groupes communautaires ont indiqué à l’OPCM que le choix de l’emplacement de la gare devra se faire en fonction des besoins des résidants des quartiers limitrophes.

Qu’en est-il de la vente des terrains du fédéral ?

Dans un monde idéal, un terrain doté d’un aussi grand potentiel devrait faire l’objet d’une mise aux enchères par un appel de propositions en bonne et due forme dans le but de maximiser sa valeur. Après tout, les terrains de la Société immobilière du Canada (SIC) appartiennent aux contribuables. C’est d’ailleurs ce que la société d’État a fait pour les terrains de la Pointe-du-Moulin, où se trouve le silo no 5.

Lors d’une assemblée publique d’information de l’OCPM le 22 mai, il a été demandé au vice-président de la SIC pour le Québec comment l’organisme entendait disposer des terrains du bassin Peel. On comprend de sa réponse que la vente de gré à gré n’est pas exclue.

« La procédure qu’on a utilisée pour la Pointe-du-Moulin n’était pas la procédure normale qu’on prend, a expliqué Pierre-Marc Mongeau. L’enjeu de la Pointe-du-Moulin, c’est surtout le silo no 5, qui est un monument emblématique, et on voulait s’assurer que les entreprises qui vont faire leur proposition intègrent aussi ce monument emblématique. Donc, c’est pour ça qu’on est allés avec un processus un peu à l’envers de notre processus normal. »

Pas plus tard qu’en avril dernier, la SIC a annoncé une entente visant la vente d’un terrain de gré à gré à Halifax à un promoteur qui a le projet de construire… un stade de football.

Mais quel prix paiera Devimco-Claridge ?

Le propriétaire, la SIC, a pour mandat de s’autofinancer en vendant des propriétés du gouvernement à leur valeur marchande. Mais comment déterminer la valeur quand on ne connaît pas le zonage ? Un promoteur nous a déjà confié que le terrain vaut 150 millions en fonction d’un zonage permettant une variété d’usages et doté d’un coefficient d’occupation des sols de 4 (4 pi2 de bâtiment pour un 1 pi2 de terrain), comme on en trouve à Griffintown, où les terrains se vendent sur une base de 50 $ le pied carré construisible.

Il y aura des discussions serrées prochainement. La Ville dicte le zonage. Elle s’est dotée en plus d’un droit de préemption sur les terrains du bassin Peel le mois dernier. Si les promoteurs ne se montrent pas coopératifs en matière de parc, de logements sociaux ou d’école, la Ville pourrait acquérir le terrain à leur place. Mais encore faut-il qu’elle ait l’argent.

« Les sommes que [la Ville] a mises de côté pour exercer son droit de préemption sont marginales. C’est un droit qui demeure bien théorique », a souligné André Boisclair, PDG de l’Institut de développement urbain, le jour où la Ville a assujetti les terrains du bassin Peel à son droit de préemption. Environ 50 millions sont disponibles à cette fin pour le moment.

Les manches suivantes s’annoncent passionnantes, vous en conviendrez.

Que recommandera le rapport de l’OCPM ? Quel prix paiera le consortium à la SIC ? Un tiers promoteur revendiquera-t-il le droit de soumissionner pour les terrains ? Quel type de zonage sera accordé aux acheteurs ? Où sera située la gare du REM ? Combien de logements sociaux la Ville exigera-t-elle des promoteurs ? Quelle forme prendra la collaboration du gouvernement Legault ? La Caisse de dépôt sera-t-elle appelée en relève ? La Ville exercera-t-elle son droit de préemption sur le site ? Le cas échéant, où trouvera-t-elle l’argent ? En empruntant ? En haussant les taxes ?

Car il ne s’agira plus de mettre en valeur un terrain pour le bénéfice exclusif d’un promoteur privé qui caresse le rêve lointain d’avoir une équipe des ligues majeures. Au contraire, le baseball est presque arrivé en ville, si jamais l’idée des Ex-Rays se matérialise dans les prochains mois.

Le cas échéant, les autorités – Montréal, SIC et Caisse de dépôt – traiteront dorénavant avec des gens d’affaires – Devimco et Claridge d’un côté, le Groupe de Montréal de l’autre (Bronfman, mais aussi Garber, Crétier, Bouchard, Boyko) – portant un projet collectif : aménager un terrain de façon à financer le retour de Montréal dans le club très exclusif des villes nord-américaines membres du baseball majeur. Un statut qui vaut bien quelques privilèges, peuvent-ils faire valoir.