(Paris) Si les chefs d’État et dirigeants d’institutions financières internationales réunis jusqu’à vendredi à Paris pouvaient reconnaître ensemble qu’il faut réparer la finance mondiale pour atteindre les objectifs climatiques, cela serait « historique », estime l’économiste du développement américain Jeffrey Sachs.

L’économiste, qui fut conseiller de plusieurs secrétaires généraux des Nations unies, et dirige actuellement le centre pour le développement durable de l’université américaine de Columbia, s’est entretenu avec l’AFP au premier jour du sommet pour « un nouveau pacte financier mondial » réuni par le président Emmanuel Macron à Paris autour d’une quarantaine de chefs d’état du nord et du sud, et d’institutions financières internationales.

L’objectif affiché de ce sommet est de rénover en urgence l’architecture financière internationale, née des accords de Bretton Woods en 1944 avec la création du FMI et de la Banque mondiale.

Q : Quelle est l’importance de ce sommet en face de la multiplicité des crises qui bouscule le monde actuellement ?

R : Les chefs d’État et institutions sont près de reconnaître que l’actuelle architecture financière internationale ne permet pas d’atteindre les 17 objectifs de développement durable fixés par l’ONU (lutte contre la pauvreté, la faim dans le monde, prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions… NDLR) ni ceux de l’accord de Paris sur le réchauffement climatique (COP21).

Augmenter le financement des banques de développement internationales, tel que ce sommet l’envisage, serait un important pas en avant.

Q : Quelles sont les trois mesures concrètes qui montreraient que ce sommet a un impact positif ?

R : D’abord, l’augmentation du financement de la Banque mondiale et des banques régionales de développement, à quelque 500 milliards de dollars par an au lieu d’une centaine de milliards actuellement. Le G20 devrait se mettre d’accord sur le sujet à Delhi en septembre.

Deuxièmement, orienter toutes les institutions, les agences de l’ONU, le FMI, les banques de développement, et les États vers des plans à long terme pour atteindre les objectifs de l’ONU et ceux de l’accord de Paris sur le climat. Dans l’idéal, on devrait aussi ajouter des objectifs sur la protection de la biodiversité, après l’accord de la COP15 de Montréal en décembre, et d’autres sur les océans après l’adoption du traité international sur la Haute Mer le 19 juin par les Nations unies.

Troisièmement, arrêter les conflits géopolitiques entre les États-Unis et la Russie, et entre les États-Unis et la Chine. Les États-Unis ambitionnent toujours d’être une superpuissance, mais […] le reste du monde a besoin de la coopération des Américains et non pas de leur domination.  

Q : Qu’est ce que ce sommet peut aider à réaliser pour le climat avant le prochain sommet international, la COP28, à Dubaï en décembre ?

R : Si les dirigeants confirment clairement que l’architecture mondiale de la finance doit être réparée pour atteindre les objectifs de l’ONU et les objectifs climatiques, ce sommet sera historique.

Q : Quelle est la bonne proportion de financement public et privé ?

R : Cela dépend des secteurs. Le financement public est crucial et même vital pour la santé, l’éducation, la préservation de la biodiversité, la résilience climatique, les infrastructures urbaines, les transports publics, les réseaux routiers, et la protection sociale.

Le financement privé est plus lié à l’énergie, aux connexions numériques et aux autres secteurs industriels. Mais les financements mixtes public-privé au sein de programmes structurés sont vitaux pour financer la décarbonation, l’électrification des véhicules, l’assainissement des réseaux d’eau, et l’accès universel à l’internet.

Q : D’où viendront les milliers de milliards nécessaires à terme pour financer l’adaptation au réchauffement climatique ?

R : Il faut d’abord trouver le financement pour parvenir à une économie zéro carbone. Le coût supplémentaire nécessaire par rapport au coût d’une économie basée sur les énergies fossiles n’est pas gigantesque.  

Les systèmes zéro carbone sont plus consommateurs de capitaux et donc plus chers à court terme, mais les économies réalisables dans l’avenir permettent de niveler les coûts au niveau de ceux d’une économie basée sur les fossiles.  

Deuxième problème : le financement de l’adaptation au réchauffement climatique. Plus on repousse la fin des émissions de gaz à effet de serre, plus lourds seront les coûts d’adaptation, ainsi que les pertes et dommages des désastres climatiques.