La banque centrale du Canada l’a fait neuf fois, la Réserve fédérale américaine (Fed), dix fois, et la Banque centrale européenne, huit. Les autorités monétaires augmentent les taux d’intérêt pour combattre l’inflation dans la plupart des pays, sauf un : la Turquie, qui a fait l’inverse.

Depuis le début de 2021, quand la plupart des banquiers centraux sont entrés en guerre contre l’inflation, le taux directeur de la banque centrale turque a baissé neuf fois.

C’est que le président Recep Tayyip Erdoğan, qui règne sur le pays depuis 20 ans et qui vient d’être réélu, est convaincu que la hausse des taux d’intérêt alimente l’inflation plutôt que de la réduire. C’est l’envers de la théorie économique classique selon laquelle l’augmentation des taux d’intérêt réduit la demande des consommateurs et des entreprises en biens et services, ralentit l’économie et freine la hausse des prix.

La recette Erdoğan a semblé bien fonctionner dans les premières années de son règne entamé en 2003. L’économie du pays a décollé à la faveur de la déréglementation et des privatisations qui ont attiré les investisseurs étrangers. Avec les taux élevés de croissance du produit intérieur brut (PIB) est venue l’inflation, exacerbée par la pandémie, que le gouvernement turc a refusé de combattre avec les moyens classiques de la politique monétaire.

La banque centrale turque a bien essayé d’augmenter les taux d’intérêt, mais après le remplacement de quatre de ses gouverneurs depuis 2019, il est devenu évident que le gouvernement avait pris le contrôle de la politique monétaire du pays.

C’est aussi à l’envers de la théorie économique traditionnelle qui veut qu’une politique monétaire efficace doive être menée de façon indépendante du pouvoir politique.

La politique monétaire à contre-courant du gouvernement turc a alimenté l’inflation, dont le taux officiel a culminé à près de 100 % en 2022 et qui, selon les chiffres les plus récents, atteint encore 40 %.

Pour soulager une population étranglée par l’hyperinflation, le gouvernement a augmenté plusieurs fois le salaire minimum et tenté tant bien que mal de soutenir sa devise en chute libre en vidant les réserves de devises étrangères du pays.

La livre turque a perdu 80 % de sa valeur depuis cinq ans et les coffres de l’État sont vides, mais la recette Erdoğan semble avoir réussi à le faire réélire le 23 mai dernier.

Après l’élection, la devise du pays a atteint son plus bas niveau historique vis-à-vis du dollar américain, ce qui semble indiquer que le gouvernement, une fois atteint l’objectif d’être réélu, a cessé de soutenir artificiellement la monnaie.

Le président Erdoğan entame un nouveau mandat dans un pays au bord du gouffre financier. Ses premières décisions ont surpris tout le monde. Il a nommé une banquière de Wall Street à la tête de la Banque centrale de Turquie. Première femme à occuper ce poste, Hafize Gaye Erkan est diplômée de Princeton et a fait carrière chez Goldman Sachs et à la First Republic Bank de San Francisco, qui vient d’être rachetée par JPMorgan Chase.

Un autre spécialiste issu de l’orthodoxie de Wall Street, Mehmet Şimşek, ancien économiste de Merrill Lynch, a été nommé ministre de l’Économie.

De toute évidence, la mission du duo est de sauver l’économie turque d’un naufrage total. Réussira-t-il ? Il faudra du temps pour restaurer la crédibilité de la politique monétaire et, surtout, une indépendance vis-à-vis du gouvernement pour pouvoir prendre des décisions difficiles.

La première décision de la nouvelle gouverneure de la banque centrale turque sur les taux d’intérêt est attendue le 22 juin. Le marché s’attend à un bond du taux directeur, qui pourrait doubler d’un seul coup, selon les sondages. Pour un électrochoc, c’en serait tout un pour l’économie.

De quoi méditer pendant qu’ici, on se demande si la Banque du Canada en fait trop ou pas assez pour réduire la hausse des prix.

En savoir plus
  • 8,5 %
    Taux directeur
    Source : Banque centrale de Turquie
     40 %
    Taux d’inflation (mai)
    Source : Banque centrale de Turquie