(Washington) Le plafond de l’endettement des États-Unis, qui a été atteint jeudi et qui oblige le ministère américain des Finances à prendre des mesures d’économies pour assurer le paiement de ses engagements financiers, est devenu objet d’affrontement entre l’administration démocrate et la nouvelle majorité républicaine à la Chambre des représentants.

Dans un courrier adressé jeudi au président républicain de la Chambre des représentants Kevin McCarthy, la secrétaire au Trésor Janet Yellen a annoncé la mise en place de « mesures exceptionnelles » alors que le plafond d’endettement maximal, actuellement fixé à plus de 31 000 milliards de dollars, a été atteint avant d’avoir été modifié par le Congrès.

Les premières mesures concernent l’arrêt de versements à plusieurs fonds de retraite et de prestations de santé ou d’invalidité des agents publics, des ajustements techniques « qui ne sont pas immédiatement nécessaires au paiement des pensions ».

Dans le même temps, « une période de suspension d’émission de dette » a débuté et durera jusqu’au 5 juin, a ajouté Mme Yellen.

Ces mesures permettent à l’administration américaine de voir venir mais ne peuvent être que temporaires et, si le Congrès ne parvenait pas à se mettre d’accord, les États-Unis pourraient se retrouver à terme en situation de défaut de paiement.

« L’impossibilité de répondre aux obligations de l’État causerait des dégâts irréparables à l’économie américaine et aux moyens d’existence de tous les Américains ainsi qu’à la finance mondiale », avait souligné Mme Yellen le 13 janvier.

Les marchés ont peu réagi à l’annonce, les indices — orientés à la baisse dès l’ouverture de la séance — perdant respectivement 0,76 % pour le Dow Jones et 0,96 % pour le NASDAQ à la clôture.

Les bons au Trésor à 10 ans, valeur de référence, se tendaient un peu à 3,39 % contre 3,36 % la veille.

« Tout le monde s’attend à ce que ce soit du passé d’ici l’été mais, pour l’instant, ça ne va pas vraiment faire bouger les marchés », a estimé Ed Moya, analyste pour Oanda.

Poker menteur

La Maison-Blanche avait souligné vendredi que, en temps normal, les élus républicains et démocrates coopéraient en la matière « et c’est ce qu’il faut », excluant cependant toute négociation sur ce sujet.

Une manière de faire peser la responsabilité d’un éventuel échec sur les républicains, car ces derniers n’ont pas fait mystère de leur volonté d’utiliser la question du plafond comme monnaie d’échange pour obtenir des coups de rabot sur les plans de financement votés durant la première moitié du mandat du président Joe Biden.

Mais, plus encore, ils veulent imposer leur propre programme économique, qui prévoit de nouvelles baisses d’impôts et une réduction des dépenses publiques.

« Imaginez que vous donniez une carte de crédit à votre enfant, qui atteint régulièrement le plafond, que vous augmentez donc et ainsi de suite. A un moment continuez-vous ainsi ou cherchez-vous à changer son comportement ? », a ainsi décrit M. McCarthy face à la presse.

« Le Congrès ne peut pas continuer à hypothéquer l’avenir de nos enfants et petits-enfants en empruntant à des pays étrangers comme la Chine », a déclaré le républicain Jason Smith, président de la Commission des voies et moyens de la Chambre.

Le président de la majorité démocrate au Sénat Chuck Schumer a estimé dans un communiqué que « si les républicains cessent de payer les factures de notre nation, ce sont les Américains qui en subiront les conséquences. Une surenchère politique sur le niveau d’endettement représenterait un coup sévère aux économies locales ».

« Sacro-sainte » solvabilité

Le directeur général de JPMorgan Chase, Jamie Dimon, a estimé sur CNBC que « la solvabilité du gouvernement américain ne devrait pas être une question. C’est sacro-saint, cela ne doit jamais arriver ».

Si la hausse, ou la suspension, du plafond d’endettement est un sujet qui revient de manière régulière, avec déjà 79 interventions depuis 1960, il s’agit ponctuellement d’un sujet de tension politique entre les deux partis.

En 2011, l’opposition entre la majorité républicaine au Congrès et l’administration démocrate de Barack Obama, avait été telle que l’agence de notation Standard and Poor’s avait abaissé la note de la dette à long terme des États-Unis, une première qui avait secoué les marchés financiers.

En 2021, la très fine majorité démocrate au Congrès et l’opposition républicaine ont ferraillé plusieurs mois avant de parvenir à un accord.

Janet Yellen avait annoncé début août, dans un courrier à l’ancienne leader démocrate de la Chambre Nancy Pelosi, la mise en place de « mesures extraordinaires » pour faire face à la situation.

Le Congrès avait fini par s’entendre sur un relèvement du plafond en décembre, peu après minuit le jour même où le Trésor aurait été forcé de prendre des mesures supplémentaires, à l’impact plus direct sur l’économie américaine.

Nouveau terrain d’affrontement entre républicains et démocrates

Qu’est-ce que ce « plafond de la dette » ?

Il s’agit du niveau maximal fixé par le Congrès en matière d’emprunt par le gouvernement américain. Il est actuellement fixé à 31 281 milliards de dollars, à l’issue de négociations déjà compliquées en octobre 2021 entre démocrates, qui disposaient alors d’une courte majorité dans les deux chambres, et républicains. Elles s’étaient conclues in extremis avant une précédente échéance cruciale.

Les prêts concernés sont autant ceux à long terme, dont les obligations émises par le Trésor, que les prêts à court terme, qui sont souvent utilisés par les États pour disposer de fonds de roulement. Et ils permettent de régler l’ensemble des factures du gouvernement, par exemple les pensions des anciens combattants, les aides sociales ou le remboursement des échéances précédentes arrivées à terme.

Atteindre le plafond signifie-t-il défaut américain ?

Pas dans l’immédiat, mais si la situation devait perdurer, cela pourrait se produire.

Dans un premier temps, cela oblige surtout le gouvernement à réduire ses dépenses. Il doit en effet privilégier le remboursement de ses obligations sur toute autre dépense afin d’éviter le défaut.

Les premières mesures, tombées jeudi, concernent le financement de plusieurs fonds de pension de salariés de services publics et consistent dans l’immédiat à de simples transferts de crédits entre différentes lignes de dépense. Le Trésor suspend par ailleurs, jusqu’au 5 juin, toute nouvelle émission de dette.

Si la situation perdure, le Trésor devra aller plus loin, avec une baisse effective d’un certain nombre de dépenses, en théorie de l’ordre du déficit autorisé par le Congrès pour cette année, afin d’équilibrer son budget.

Cela pourrait notamment entraîner des retards dans le versement des retraites, dans les paiements de sécurité sociale ou les salaires des militaires ou la fermeture de services — le célèbre « shutdown » —. Avec un impact certain sur l’économie américaine et qui ne cesserait de grandir, à mesure que l’État devrait couper dans ses dépenses.

Mais surtout, faute d’accord, les États-Unis pourraient se retrouver en défaut, c’est-à-dire ne pas être en mesure de rembourser à la date prévue des échéances liées à sa dette, ce qui constituerait une première dans l’histoire du pays.