Le pire n’est pas arrivé. Du moins pas encore. Alors que l’hiver est déjà bien entamé, les Européens n’ont pas été forcés de dormir emmitouflés dans leurs manteaux faute d’énergie pour chauffer leurs maisons.

En fait, la douceur exceptionnelle que connaît le continent européen réduit le stress dans les pays les plus affectés par la fin des livraisons de gaz russe. L’automne et le début de l’hiver ont été anormalement cléments dans la plupart des pays.

Cette anomalie de la météo tombe peut-être bien pour une population qui craignait de passer l’hiver dans le noir, mais elle n’écarte pas la nécessité de se préparer à toutes les éventualités, ce que les pays membres de l’Union européenne ont fait cet automne.

Ensemble, ils ont convenu de réduire leur consommation de gaz naturel de 15 % à partir du mois d’août 2022, et ce, jusqu’en mars 2023, pour économiser leurs réserves.

Les résultats de cet appel à la sobriété énergétique sont pour le moment supérieurs à l’objectif. Selon Eurostat, l’agence européenne de statistique, la consommation de gaz des pays membres de l’Union a baissé globalement de 20,1 % entre août et novembre par rapport à la moyenne des mêmes mois des cinq années précédentes.

Certains pays affichent des réductions encore plus importantes, comme la Finlande. Même la France et l’Allemagne, les deux plus importantes économies de l’Union, ont fait mieux que la cible. Les données les plus récentes indiquent que cette tendance à la baisse se poursuit. La France, par exemple, enregistre en décembre une baisse de 12,2 % de sa consommation de gaz naturel par rapport au même mois d’activité normale, avant la pandémie.

La réduction de la consommation énergétique a contribué à faire chuter le prix du gaz naturel sur le marché, qui est revenu à son niveau d’avant le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, après avoir atteint des niveaux stratosphériques l’été dernier.

Malgré l’aide circonstancielle de la météo, la réduction de la consommation ne s’est pas faite toute seule. On a entendu parler des boulangeries françaises qui n’arrivent plus à rentabiliser leurs activités en raison de la hausse du coût de l’énergie, mais les efforts pour réduire la consommation d’énergie ont eu des impacts sur l’activité économique de l’ensemble du continent. Des usines ont fermé, d’autres ont réduit leur production, des commerces ont périclité ou ont carrément disparu. Les budgets des gouvernements ont été fortement alourdis par les aides consenties pour atténuer l’impact de l’augmentation du prix de l’énergie pour la population.

Selon le Fonds monétaire international, la moitié des pays européens sombreront probablement dans une récession cette année. Même l’Allemagne, première économie d’Europe, pourrait ne pas y échapper. Et il y aura des dommages à long terme. Des entreprises comme Volkswagen, par exemple, font des plans pour relocaliser leur production dans des pays où l’énergie est disponible et coûte moins cher.

Le pire est à venir

Comme le temps doux de cet hiver, l’accalmie actuelle sur le front du prix du gaz pourrait être temporaire. Même si la guerre se termine, le flux du gaz naturel de Russie vers l’Europe est coupé et ne sera probablement pas rétabli. L’été dernier, l’Europe a pu compter en partie sur le gaz russe pour se constituer des réserves. Les livraisons de gaz russe ont diminué graduellement pour cesser complètement à l’automne.

Cet été, sans gaz russe, le remplissage des réserves en prévision de l’hiver à venir sera plus ardu, sinon impossible.

Des investissements massifs dans les infrastructures portuaires nécessaires pour recevoir le gaz naturel liquéfié en provenance du Qatar ou des États-Unis sont en cours. L’Allemagne, par exemple, a reçu sa première livraison de GNL américain à son nouveau terminal construit en mer du Nord en seulement neuf mois. Six autres installations du même genre sont dans les plans. Ce virage vers le GNL mettra du temps à se réaliser, comme il faudra du temps pour déployer assez d’énergie renouvelable pour prendre le relais du gaz.

Il n’est pas trop tôt pour se préparer pour l’hiver prochain, prévenait dès novembre l’Agence internationale de l’énergie⁠1.

Son rapport souligne que deux des facteurs qui ont aidé les Européens à passer l’hiver cette année, soit l’approvisionnement en gaz russe pendant une partie de 2022 et la baisse de la demande de GNL de la Chine en raison de la paralysie de son économie par la COVID-19, ne seront pas là cette année. La crise n’a pas disparu, elle est seulement reportée.

1. Lisez l’étude de l’Agence internationale de l’énergie (en anglais)