D’un point de vue économique, le ciel de 2023 est rempli de nuages noirs. Mais après la pluie vient le beau temps, dit l’adage, et l’équipe de La Presse Affaires s’est efforcée de regarder au-delà de ces nuages pour trouver les éclaircies. Aujourd’hui : la récession

La crainte

Les mesures musclées des banques centrales aux quatre coins du monde pour mater l’inflation rendent une récession presque inévitable.

L’inflation, c’est une demande trop grande pour l’offre, ce qui crée trop de rareté et provoque l’emballement des prix. Pour la juguler, les banques centrales n’ont pas 36 solutions : elles doivent faire diminuer la demande en rendant l’argent plus rare, donc plus « cher ».

Leur principal outil, c’est d’augmenter le taux directeur, soit le taux auquel elles prêtent de l’argent aux banques. À leur tour, les banques demandent des intérêts plus élevés aux entreprises et aux particuliers.

Résultat : moins d’investissements et de consommation, donc moins de surchauffe. L’objectif est de ramener la hausse des prix aux environs des 2 %, la cible de la Banque du Canada.

Le taux directeur au pays est ainsi passé de 0,50 % en mars à 4,25 % le 7 décembre dernier. Avec une hausse aussi importante et rapide, le retour de pendule rend une récession presque inévitable, disent la plupart des spécialistes.

L’angle positif

Peu de gens se réjouissent d’une récession, mais les économistes y voient un mal nécessaire dans les circonstances, et la plupart croient qu’elle fera des dommages modérés.

« S’il y a une bonne nouvelle, c’est qu’une récession frappe moins de monde que l’inflation galopante, dit le sénateur et économiste Clément Gignac, qui siège au comité des finances publiques et à celui des banques. L’inflation affecte tout le monde, en particulier les plus démunis. Les retraités, par exemple : ils sont plus affectés si leur régime de retraite n’est pas indexé. Si vous êtes sans emploi ou sur la CNESSST, c’est la même chose… Une récession, c’est malheureux, mais c’est moins pire que de laisser aller l’inflation. »

Si la récession se confirme, elle fera sans doute beaucoup moins mal que les dernières, ajoute Miville Tremblay, senior fellow à l’Institut C.D. Howe et ex-représentant principal de la Banque du Canada au Québec. À cause de la pénurie de main-d’œuvre qu’elles viennent de vivre, les entreprises conserveront davantage de personnel en prévision de la reprise, croit Miville Tremblay. « Elles seront portées à mettre un peu moins d’employés dehors », dit-il.

Comme le phénomène est mondial, il affectera sans aucun doute les exportations canadiennes. Le secteur manufacturier sera parmi les premiers à écoper, avec celui de la construction et les ventes de voitures, selon Clément Gignac. Mais le reste de l’économie résistera plutôt bien au choc, espère-t-il.

Au Québec, avec un gouvernement qui intervient beaucoup, on devrait s’en tirer beaucoup mieux, d’autant plus que nous ne sommes pas en train de subir un choc énergétique, comme en Europe.

Clément Gignac, sénateur et économiste

Outre-Atlantique, l’économie aborde le ralentissement en pleine envolée des prix de l’électricité et du gaz naturel, dopés par les sanctions contre la Russie.

Mais surtout, la récession devrait permettre de mater la hausse des prix, et de laisser souffler les plus vulnérables de la société. « On aura sans doute un retour à une inflation beaucoup plus faible, comme on en voit d’habitude », juge Clément Gignac.

Réussir à modérer la hausse du coût de la vie sans tomber dans l’autre excès relève cependant d’un minutieux travail d’équilibriste.

« C’est loin d’être évident, dit Miville Tremblay. Le risque d’erreur, c’est de serrer trop fort et de risquer une récession plus élevée, ou alors de ne pas serrer assez fort, et de voir l’inflation repartir. »

À une époque où les tenants de la décroissance font de plus en plus entendre leur voix, est-ce que la récession pourrait aussi permettre de réduire la pollution que produit notre économie ?

Peut-être… mais de façon négligeable.

« C’est temporaire, une récession, dit Clément Gignac. La croissance à long terme, qui affecte la biodiversité, est plus influencée par la démographie. »

Des bouleversements beaucoup plus importants seraient nécessaires pour provoquer une « décroissance » qui diminuerait la pollution, selon lui.

« Si l’offre était contrainte, que les États tombaient dans une “déglobalisation” de l’économie, ça aurait un effet réel sur la nature. »

Bref, la récession permet d’espérer le soulagement des plus pauvres aux prises avec la hausse des prix… mais les tenants de la décroissance ne doivent pas rêver en couleurs.