Qu’est-ce qu’on peut faire avec 220 milliards de dollars américains ? Beaucoup de choses, notamment organiser un évènement sportif éphémère dans l’endroit le plus improbable de la planète, le Qatar.

La Coupe du monde de football qui s’amorce à Doha, la capitale du petit royaume qatari, est déjà étiquetée comme la plus coûteuse jamais organisée. On espère qu’elle ne servira pas d’exemple au Canada, au Mexique et aux États-Unis qui se mettent à trois pour organiser la prochaine, en 2026.

Le budget officiel de l’évènement 2022, estimé à 11 milliards US (14,7 milliards CAN), a surtout servi à construire sept stades et à en rénover un huitième pour accueillir les amateurs de soccer.

Huit stades qui peuvent accueillir de 40 000 à 80 000 spectateurs dans un pays de 2,6 millions d’habitants, c’est déjà beaucoup. Il faut ajouter que ces stades sont climatisés et que l’évènement sera carboneutre, selon ses organisateurs.

Depuis qu’il a remporté l’organisation de la Coupe du monde il y a dix ans, le pays a profité de l’évènement pour investir massivement dans toutes sortes d’infrastructures : aéroport, hôtels, routes et réseau de métro comptant trois lignes et 40 stations.

La facture totale dépasse les 200 milliards, ce qui est énorme pour n’importe quel pays, mais pas pour le Qatar, où le produit intérieur brut par habitant est un des plus élevés au monde.

Le pays est encore plus riche aujourd’hui qu’il y a dix ans en raison de l’augmentation de la demande et des prix du pétrole et surtout du gaz naturel. Le pays détient les deuxièmes réserves de gaz naturel en importance au monde et il est courtisé actuellement par tous les pays d’Europe depuis qu’ils sont privés du gaz russe.

De son point de vue, ça vaut certainement le coup de se servir de la Coupe du monde pour apparaître sous son meilleur jour sur l’écran radar des investisseurs et des touristes étrangers.

Sous les projecteurs

Le Qatar a déjà réussi à faire parler de lui dans le monde entier, mais pas nécessairement pour les raisons qu’il souhaite. L’attention internationale a surtout porté sur le sort de la main-d’œuvre employée pour réaliser les travaux d’Hercule entrepris depuis dix ans.

Des rapports catastrophiques sur le traitement des milliers de travailleurs étrangers, émanant tant des Nations unies que d’Amnistie internationale, ont fait état de milliers de morts et de conditions de travail qui s’apparentent à de l’esclavage.

La pression a forcé le pays à remettre en question la kafala, le système qui régit l’organisation du travail dans les monarchies pétrolières depuis les années 1950 et qui permet l’exploitation d’une main-d’œuvre bon marché et privée des droits les plus élémentaires.

En vertu de ce système, c’est l’employeur qui embauche les travailleurs étrangers, les fait venir au pays, les loge et les nourrit. En plus de travailler sous des chaleurs accablantes pour des salaires très bas, ces employés sont complètement à la merci de leur patron et n’ont le droit ni de changer d’employeur ni de quitter le pays.

Le Qatar a été forcé d’assouplir l’application de la kafala et de faire d’autres concessions majeures. Il a dû s’engager à respecter les droits des gais qu’il accueillera sur son territoire, même si l’homosexualité est un crime au Qatar. Mais il semble qu’il y a des compromis plus difficiles à faire que d’autres.

Après avoir accepté la vente de bière pendant l’évènement, les organisateurs ont fait volte-face et ont interdit la vente d’alcool à l’intérieur et à l’extérieur des stades, deux jours avant le début de la compétition. Il y a des amateurs de soccer qui vont sécher et maugréer, mais c’est surtout Budweiser, commanditaire principal de la Coupe du monde, qui va s’en souvenir longtemps…

L’autre compromis que le pays s’est refusé à faire concerne les femmes. Les droits des femmes sont toujours restreints et celles qui visiteront le Qatar, où il fait une chaleur à crever, ne pourront pas porter de robes courtes ou de bermudas. Les bijoux sont fortement déconseillés, mais le port du voile est bien vu, selon le guide publié par l’organisation de la compétition.

L’évènement dure trois semaines et 1,3 million de visiteurs sont attendus. Le Qatar voit plus loin et assure que la Coupe du monde entraînera des retombées à long terme qui vaudront amplement son coût prohibitif.

Il est difficile d’imaginer qu’un pays qui bafoue les droits de la moitié de l’humanité recevra un jour la reconnaissance internationale, l’investissement étranger et les touristes qu’il attend.