Avant les élections fédérales, durant les six mois où il a été ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne s’est attaqué à la reconstruction de l’industrie pharmaceutique canadienne, à la propulsion hybride de l’aéronautique et à l’électrification des transports. Il veut maintenant positionner le Canada comme leader de l’économie verte où, selon lui, le pays dispose d’avantages concurrentiels indéniables qui lui permettront d’exploiter son plein potentiel.

Q. Lors de la formation du dernier cabinet, plusieurs observateurs vous voyaient regagner le ministère des Affaires étrangères, mais vous avez plutôt conservé l’Innovation, les Sciences et l’Industrie. Vous êtes content de cette nomination ?

R. Oui, absolument. En cinq ans, j’ai occupé quatre postes de ministre – Commerce extérieur, Infrastructures, Affaires étrangères et Industrie. Je suis content de poursuivre les initiatives qu’on a lancées.

Quand je suis arrivé à l’Industrie, en janvier dernier, il fallait répondre à la crise de la COVID-19 et rebâtir nos infrastructures manufacturières dans le domaine pharmaceutique qui avaient été malmenées au cours des 20 dernières années.

On va avoir trois fabricants de vaccins au Canada pour répondre à nos besoins, soit Novavax avec son vaccin à base de protéines, Medicago avec son produit à base de plantes et Moderna avec son vaccin à ARN messager. En plus de construire une usine de fabrication au Canada, Moderna va aussi y établir un centre de recherche.

On a aussi investi, via les fonds stratégiques pour l’innovation, dans l’aérospatiale pour la propulsion électrique, l’hélicoptère électrique et la formation tout comme on l’a fait dans les véhicules électriques avec des investissements dans Nova Bus, Lyon et Taiga.

Q. Quelles sont maintenant vos priorités pour le prochain mandat qui sera clairement marqué par la lutte concertée contre les changements climatiques ?

R. La grande crise de la COVID-19 vient de démontrer encore une fois l’importance de la science, des technologies et de l’innovation. On a été en mesure de mettre au point un vaccin en moins d’un an. La deuxième grande crise, c’est celle des changements climatiques. Il faut décarboner l’activité économique et notre politique industrielle, c’est de positionner le Canada pour en faire l’endroit où investir pour la transition verte.

On a des avantages comparatifs enviables. La stabilité économique, la prévisibilité, des lois du travail, des normes environnementales, de l’énergie renouvelable et des ressources naturelles stratégiques. Peu de pays dans le monde offrent autant d’avantages et nous, on est ouverts à un marché de 1,5 milliard de consommateurs via nos accords de libre-échange.

Les investisseurs, les entreprises, les consommateurs vont vouloir acheter des biens qui sont fabriqués selon les normes ESG (qui respectent l’environnement, la société et la bonne gouvernance) qui vont devenir centrales dans l’économie mondiale.

Q. Et le Canada est bien positionné pour répondre à ces nouvelles exigences ?

R. Oui, on a investi dans l’aluminium vert avec le projet Elysis au Saguenay, on a aussi investi dans l’acier vert avec Dofasco et ArcelorMittal. On est pleinement impliqués dans le développement de la batterie verte et de l’hydrogène.

On veut amener les grands manufacturiers à venir s’implanter chez nous. À quoi bon des batteries vertes si elles sont fabriquées avec de l’énergie produite avec du gaz ? Ici on a le lithium et le cobalt qu’on extrait selon des normes environnementales strictes, c’est ce que les investisseurs et les fabricants recherchent.

Q. Le Canada doit aussi restaurer des relations commerciales plus civilisées avec ses principaux partenaires, notamment les États-Unis et la Chine. Qu’entendez-vous faire sur ce front ?

R. Ce n’est pas pour rien que je me rends cette semaine à Washington rencontrer la secrétaire au Commerce. C’est ma première visite à l’extérieur.

Q. Qu’allez-vous plaider auprès de votre homologue américaine ?

R. Que l’on doit partager une relation plus prévisible, que l’on doit fabriquer plus ensemble et exporter plus ensemble et que l’on est un partenaire de choix. On partage une vision commune de la relance économique verte, et il faut repenser l’espace économique et nos chaînes d’approvisionnement en étant moins dépendants des autres.

Q. Et nos relations manufacturières avec la Chine ?

R. Ma nouvelle collègue aux Affaires étrangères va s’occuper de nos relations diplomatiques, mais d’un point de vue commercial, la Chine reste l’enjeu économique le plus complexe de ce siècle. La Chine soulève des questions sur la propriété intellectuelle, notamment.

Q. C’est vous qui êtes responsable du développement de la technologie 5G au Canada et vous allez devoir statuer sur la participation ou non de Huawei à l’édification du réseau canadien. Cela ne risque-t-il pas d’envenimer nos relations commerciales ?

R. On va prendre la décision en tenant compte de la sécurité nationale, c’est ce qui prime avant tout. On doit prendre les bonnes décisions parce qu’elles influenceront le cours des choses pour les 20 à 30 prochaines années. On va prendre une décision en consultant nos partenaires, de façon multilatérale.

Q. Vous avez encore de grands projets d’investissements stratégiques. Est-ce que le Canada a encore les moyens de dépenser aussi massivement ou sommes-nous devenus un puits sans fond ?

R. Il faut faire une distinction entre dépenser et investir. Quand j’investis quelques dizaines de millions dans Nova Bus qui s’engage à investir 600 millions à Saint-Eustache, c’est profitable.

On veut devenir un joueur mondial dans les véhicules électriques et la batterie verte. On veut attirer chez nous les grands fabricants qui comprennent les avantages stratégiques que le Canada leur offre.

Après ma visite à Washington, je pars en Allemagne et en France rencontrer les grands fabricants automobiles pour leur expliquer qu’il faut aller plus loin que la fabrication de véhicules électriques, mais qu’il faut viser les véhicules verts.

Je ne les rencontre pas pour qu’ils rajoutent 100 000 pieds carrés dans une usine, mais pour qu’ils réalisent des projets de plusieurs milliards qui leur permettront de répondre aux critères ESG, avec des minéraux produits de façon responsable, de l’aluminium et de l’acier verts et des chaînes de production alimentées par de l’énergie propre.

Q. Comment allez-vous vous y prendre pour vendre cette nouvelle transition verte dans l’Ouest canadien ?

R. J’ai rencontré le premier ministre Kenney de l’Alberta il y a deux semaines et il comprend bien les enjeux. Le Canada doit atteindre ses cibles de réduction d’émissions et il faut en faire une occasion d’investissement.

L’entreprise Air Products veut investir dans une usine de production d’hydrogène bleu en Alberta, et Dow Chemicals va construire sa première usine de polyéthylène carboneutre en Alberta, un investissement de 8 milliards.

On a une base forte au Canada pour le E à puissance trois : emploi, économie, environnement.