Les chiffres sur l’emploi sont vraiment surprenants. Et je ne parle pas de l’étonnante création d’emplois en mai ni du taux de chômage, mais de l’impact moindre de la crise au Québec qu’ailleurs.

Pardon ? Eh bien oui, figurez-vous que malgré le confinement plus grand au Québec, le marché du travail a nettement moins souffert que dans les trois autres grandes provinces canadiennes, selon les données de Statistique Canada publiées hier.

J’étais persuadé du contraire, comme bien des observateurs. Mais non.

Pour mieux saisir la situation, il faut s’en remettre au taux d’activité et au taux d’emploi.

Je m’explique. Le taux d’activité est la proportion de la population est active sur le marché du travail, c’est-à-dire en emploi ou encore au chômage, mais à la recherche d’un emploi. Les « inactifs », dans ce sens, sont les enfants et les retraités.

En mettant l’économie sur pause, les autorités s’attendaient nécessairement à une baisse du taux d’activité. C’est en scrutant les chiffres de Statistique Canada qu’on peut constater l’amplitude de la baisse, et donc la force de l’impact sur l’économie.

Or, que voit-on dans les chiffres ? Entre mai 2019 – avant la crise – et mai 2020, le taux d’activité au Québec a reculé de 2,8 points de pourcentage, à 61,9 %. Dit simplement, environ 62 % de la population se considérait comme encore active.

Dans les trois autres grandes provinces, la chute du taux d’activité a été deux fois plus grande qu’au Québec (entre 4,8 et 5,5 points de pourcentage). N’est-ce pas étonnant, sachant l’ampleur du confinement au Québec ?

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Crise : effet sur l’activité du marché du travail

Constat semblable, bien que moins prononcé, avec le taux d’emploi. Ce taux correspond à la proportion de personnes qui ont un emploi parmi celles en âge de travailler.

Au Québec, ce taux était de 53,4 % en mai, selon Statistique Canada, ce qui correspond à un recul de 8,1 points de pourcentage entre mai 2019 et mai 2020. Ailleurs, la chute a été de 9,5 points de pourcentage en Ontario, de 10,5 points en Alberta et de 10,6 points en Colombie-Britannique, où la crise a pourtant été maîtrisée bien avant (1).

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Effet de la crise sur l’emploi

L’économiste Jean-Guy Côté, de l’Institut du Québec, est étonné. « On a observé le même phénomène et je serais bien embêté de vous dire pourquoi. Est-ce que les gens ont conservé un lien d’emploi plus fort qu’ailleurs avec leurs employeurs ? Les entrepreneurs ont-ils été plus patients ? », se demande-t-il.

François Dupuis, économiste en chef du Mouvement Desjardins, fait valoir que le marché du travail de chaque province vivait des situations différentes avant la crise. Et il juge difficile de bien interpréter les mouvements en ce moment. À preuve, bien des économistes ne s’attendaient pas à un tel rebond de l’emploi (le consensus des économistes pour le Canada tablait sur un recul de 500 000 emplois, et non une hausse de 290 000).

Il y a des mouvements étranges de l’emploi dû à la particularité de la crise. En tout cas, il y a de bonnes nouvelles au Canada, aux États-Unis et même en Europe, où le taux de chômage a monté moins que prévu.

François Dupuis, économiste en chef du Mouvement Desjardins

La particularité de la crise, en effet, rend difficile l’interprétation des données. Et les chiffres d’un seul mois de l’enquête de Statistique Canada doivent être jugés avec prudence. Tout de même, le phénomène Québec est frappant.

Certaines raisons pourraient être avancées. La première : le Québec a commencé plus rapidement son déconfinement progressif, fait remarquer M. Dupuis. De fait, dès le 20 avril, le Québec a permis la reprise de la construction domiciliaire et le 11 mai, celle de l’ensemble de cette industrie.

Cette explication n’est toutefois que partielle, puisque l’Ontario, de son côté, n’avait pas poussé la construction résidentielle au confinement. Et je compare mai 2020 à mai 2019, ce qui aurait normalement pour effet d’annuler cette différence.

Autre raison possible : le Québec a un secteur public ou quasi public généralement plus étendu, et il est probable que cette caractéristique ait permis de freiner la chute du taux d’activité, puisque la plupart des employés du public ont conservé leur emploi.

Il y a aussi, bien sûr, la crise pétrolière en Alberta, qui frappe le marché du travail au-delà de la pandémie et du confinement, et qui rend nos comparaisons avantageuses.

On verra comment se passera la suite des choses. Il faut attendre avant de trop se réjouir, puisqu’un emploi sur cinq au Québec est dans des secteurs comme l’hôtellerie, la restauration, les arts et spectacles et le commerce de détail. Et dans le commerce, justement, les entreprises qui se protègent des créanciers en vertu de la Loi sur la faillite se multiplient (Aldo, Sail, etc.).

Caisse : « indécent »

J’ai reçu un courriel au vitriol cette semaine de la part de Philippe Gabelier, qui a été vice-président aux affaires institutionnelles de la Caisse de dépôt et placement du Québec pendant 18 ans, soit de 1985 à 2003.

Le sujet : la rémunération des hauts dirigeants de la Caisse.

Ma chronique du mercredi 3 juin a révélé que le nouveau PDG, Charles Émond, avait touché 3,5 millions en 2019 alors qu’il était premier vice-président.

Surtout, j’ai confirmé qu’un autre cadre supérieur, Stéphane Etroy, des placements privés, avait pu empocher ses bonis de 1,9 million même s’il avait quitté l’organisation avant le 31 décembre, date où les dirigeants de la Caisse doivent normalement être en poste pour avoir droit aux bonis.

 > Lisez la chronique

Cette rémunération est le symbole éloquent de la perfidie et de l’avidité des gestionnaires mercenaires de la haute finance.

Philippe Gabelier, ancien vice-président aux affaires institutionnelles de la Caisse de dépôt et placement du Québec et membre du comité de direction de la Caisse de 1995 à 2002, dans un courriel

« Qui plus est, ces dirigeants n’ont d’autres risques à gérer que leur propre image… ils n’ont pas un sou au bâton, comme le dit l’expression. Au contraire, même face à l’échec, ils quittent [la Caisse] avec un pont d’or qui trône au-dessus d’une rivière d’argent. C’EST INDÉCENT ! »

« À une certaine époque, les valeurs et l’engagement à l’égard de l’économie québécoise et de ses déposants constituaient notre première motivation à la Caisse », ajoute-t-il.

Ouch !

1. La comparaison entre février 2020 et mai 2020 donne des constats semblables, mais celle des deux mêmes mois d’une année différente a été préférée, car elle permet de contrer l’effet des saisons.