(Montréal) Des camionneurs canadiens vont « perdre des emplois payants » à cause de la concurrence « déloyale » des « chauffeurs inc. », prévient le patron du géant québécois du camionnage TFI International.

Le président et chef de la direction, Alain Bédard, a même admis se poser la question sur l’avenir des activités canadiennes de l’entreprise montréalaise, lors d’une conférence téléphonique, vendredi, visant à discuter des résultats de l’entreprise.

« C’est la question que nous nous posons, a répondu le dirigeant. Est-ce qu’on veut avoir 200 millions d’actifs dans une industrie où nous concurrençons des gars qui ne sont pas équitables, qui ne paient pas d’avantages sociaux à leurs employés ? »

Le « chauffeur inc. » fait référence à une classification fautive des travailleurs comme indépendants, ce qui signifie que l’entreprise ne verse pas d’avantages sociaux et n’assure pas de protections de base du travail, même si le camionneur travaille pour un seul employeur.

Cette situation est dénoncée par de nombreux acteurs de l’industrie, dont l’Association du camionnage du Québec (ACQ) et le Groupe Robert.

Au Québec, près de 2 milliards en cotisations n’ont pas été versés à l’État québécois depuis le début du phénomène, il y a 12 ans, selon un mémoire déposé en novembre par l’ACQ. L’estimation est basée sur une modélisation du cabinet Cain Lamarre.

L’impossibilité de plus petites entreprises à concurrencer les « chauffeurs inc. » pourrait offrir des occasions de petites acquisitions pour TFI, mais dans l’ensemble, le contexte réglementaire est défavorable pour la société, estime M. Bédard.

« L’ensemble de la taille de nos activités va diminuer [à plus long terme] et des gens vont perdre des emplois payants à cause des chauffeurs inc. », met-il en garde.

Ce n’est pas la première fois que le dirigeant dénonce la concurrence « déloyale » des chauffeurs inc. Il a manifesté son impatience devant la réponse des gouvernements.

Après des années et des années, les élus continuent de faire des promesses, mais ils ne livrent pas la marchandise.

Alain Bédard, président et chef de la direction de TFI International

À Québec, le ministre du Travail, Jean Boulet, dit prendre la situation « très au sérieux ». « Mon ministère est en train d’analyser quelle serait la meilleure manière de modifier le cadre législatif afin de l’adapter aux cas qui échappent aux inspecteurs de la CNESST [Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail] », écrit-il dans une déclaration.

L’an dernier, la CNESST avait mis en place une ligne de dénonciation pour contrer le phénomène. « Grâce à ces dénonciations, des vérifications ont été effectuées auprès d’entreprises de transport afin de constater l’application des lois en matière de financement pour le volet santé et sécurité du travail », ajoute le ministre.

Il y a un an, le bureau du ministre fédéral du Travail, Seamus O’Regan, a affirmé que le gouvernement se concentrait sur une « approche axée sur l’éducation pour mettre fin à cette pratique discriminatoire ».

« Les employeurs qui continuent d’enfreindre sciemment la loi après avoir été informés et sensibilisés seront tenus responsables », avait déclaré Hartley Witten, attaché de presse du ministre du Travail fédéral, dans un courriel en mai de l’an dernier.

Il n’a pas été possible d’obtenir une réaction immédiate du cabinet du ministre du Travail fédéral.

Résultats inférieurs aux attentes

TFI a dévoilé des résultats inférieurs aux attentes des analystes au cours des trois premiers mois de l’année dans un contexte difficile pour l’industrie du camionnage.

Je n’aurais jamais anticipé que l’année 2024 serait aussi difficile. Si vous m’aviez demandé mes prévisions il y a six mois, je n’aurais jamais prévu que ça serait si mauvais. C’est probablement un des pires marchés des 30 dernières années.

Alain Bédard, président et chef de la direction de TFI International

L’industrie du camionnage subissait déjà un vent de face en 2023 en raison du ralentissement économique qui freine la demande et de l’inflation qui exerce une pression sur les coûts, notamment les salaires.

Au premier trimestre, le bénéfice net de l’entreprise a diminué de 17 % pour s’établir à 92,8 millions. Le bénéfice ajusté dilué par action est de 1,24 $. Les revenus, pour leur part, s’établissent à 1,87 milliard, comparativement à 1,85 milliard à la même période l’an dernier.

Avant la publication des résultats, les analystes anticipaient un bénéfice par action de 1,36 $ et des revenus de 1,9 milliard, selon la firme de données financières Refinitiv.

Même s’ils sont inférieurs aux attentes, les faibles résultats étaient attendus et sont semblables à ceux du reste de l’industrie, estime Kark Gupta, de la Banque Scotia. Par contre, ce revers éclipse les progrès opérationnels au sein des activités américaines, ajoute-t-il. « La direction note une inflexion positive aux États-Unis avec une amélioration du service qui a conduit à une augmentation du poids et des revenus par livraison. »

M. Bédard a réitéré les grandes lignes de la stratégie de l’entreprise, qui a mis la main sur une ancienne division de United Parcel Service (UPS) aux États-Unis en 2021. Les indicateurs opérationnels de cette division sont inférieurs à ceux des activités canadiennes de l’entreprise et de l’industrie.

Depuis plusieurs trimestres, TFI déploie ses énergies à rendre cette division plus efficace.