Un des modèles de leadership qui m’a inspiré au cours de ma carrière est issu du courant du leadership conscient, selon lequel chacun possède à des niveaux différents trois dons fondamentaux, soit le don du cœur, le don de la pensée et le don de la volonté.

Ces dons sont de formidables leviers pour mener à bien des projets, mais il y a fort à parier que les employés préfèrent rester à distance d’un dirigeant aux dons remarquables lorsque ceux-ci sont mal intégrés dans l’exercice du leadership au quotidien. Prenons un dirigeant qui a un don évident de volonté, qui aime être en contrôle, en charge, qui a plein d’idées et qui veut les réaliser. Ce dirigeant travaille avec énergie, prend des risques et fait tout ce qu’il faut pour atteindre des résultats remarquables et constants.

PHOTO MATHIEU BÉLANGER, ARCHIVES LA PRESSE

Yvon Charest, ex-président et chef de la direction d’Industrielle Alliance

Mais un don de volonté mal intégré mène au contrôle excessif, au besoin de toujours pousser ses idées, d’être tourné vers soi et d’oublier son équipe rapprochée en lui mettant une pression constante sans d’aucune façon être à son écoute.

Je pose la question suivante à ce dirigeant : aimerais-tu travailler pour toi-même ? Pour quelqu’un qui n’aura aucun intérêt pour tes idées, aucune considération pour tes limites, mais seulement pour tes bras ?

Il importe de jeter un coup d’œil à l’équilibre sécurité/risque : d’un côté, la sécurité de continuellement pousser et de tout contrôler au risque que l’équipe demande de travailler pour un autre dirigeant ; de l’autre, le risque de donner de l’air à l’équipe dont le niveau d’engagement pourrait mener à des résultats surprenants.

Prenons maintenant le cas d’un dirigeant choyé par la vie par une capacité d’intelligence supérieure, une pensée qui va d’emblée à l’essentiel ainsi qu’une facilité d’appréciation face aux situations inédites. Ce dirigeant à l’esprit fort règle des problèmes complexes, voire des problèmes que les autres ne voient pas, et est capable de détachement émotif et d’esprit critique.

Mais ce don cognitif mal intégré mène à critiquer ou corriger les propos d’autrui, à soulever des failles de logique et à avoir toujours raison. L’entourage soulèvera des manques de tact, se plaindra d’une personne arrogante qui rabaisse autrui et, à la limite, parlera d’un génie sans âme. Il y a fort à parier que ce dirigeant soit peu consulté et qu’il se prive de la lumière d’autrui.

Dans ce cas-ci, l’équilibre met en opposition, d’un côté, la sécurité de conserver l’image de supériorité au risque de relations humaines difficiles et, de l’autre côté, le risque de se montrer vulnérable en consultant des gens moins doués, ce qui pourrait apporter un éclairage pertinent et complémentaire, donner de l’information utile et valoir une réputation plus humaine.

Prenons enfin le cas d’un dirigeant qui a, comme on dit, le cœur sur la main. Grâce aux aspects positifs du don du cœur, ce dirigeant est au service d’autrui. Il possède le réflexe clé du gestionnaire qui passe du JE au TU, il reconnaît les besoins et ressent les émotions des membres de son équipe rapprochée et investit temps et énergie dans le développement de leurs compétences.

Mal intégré dans la gestion quotidienne, ce don amène le dirigeant à vouloir plaire et être apprécié. Il prendra des décisions pour de mauvaises raisons, comme les attentes d’un collaborateur ou de son équipe, au détriment du bien-être de l’organisation. Il sera porté à fermer les yeux et aller dans le sens du courant. L’entourage sera porté à dire que ce dirigeant n’a pas de colonne vertébrale ou qu’il est incapable de décider dans des situations de faible consensus.

L’équilibre met ici en opposition, d’un côté, la sécurité de faire partie de la gang au risque de prendre de mauvaises décisions ou, de l’autre côté, le risque d’être rejeté. Or, l’expérience et les recherches démontrent qu’une équipe a beaucoup de respect au fil du temps pour un dirigeant qui assume pleinement ses responsabilités et prend des décisions en temps opportun.

Il est parfois difficile d’utiliser ses dons de la bonne façon sans tomber dans « le côté obscur de la force », comme il est dit dans un film américain célèbre. Montesquieu disait : « pour faire de grandes choses, il ne faut pas être un si grand génie ; il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux ». Voici une belle invitation au génie de la volonté d’aller à l’écoute de son équipe, au génie de la pensée de se rapprocher des gens et au génie du cœur de mieux équilibrer le volet humain versus l’atteinte des résultats.