(Ottawa) En saupoudrant le pays de milliards de dollars en nouvelles mesures depuis 10 jours en prévision du budget fédéral, le premier ministre Justin Trudeau jette de l’huile sur le feu inflationniste. Au passage, il risque de retarder indûment une baisse du taux directeur de la Banque du Canada dont les Canadiens ont grandement besoin, estime le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre.

Dans une entrevue accordée à La Presse, M. Poilievre a soutenu que le premier ministre est en train de prolonger la misère de nombreux ménages canadiens qui peinent à joindre les deux bouts en refusant d’adopter les mesures de contrôle des dépenses qui s’imposent au sein de l’appareil de l’État fédéral.

Au cours des derniers jours, Justin Trudeau et ses ministres ont annoncé quelque 10 milliards de dollars en nouvelles mesures touchant le logement, les garderies, l’intelligence artificielle et la défense. Ces dépenses seront formellement confirmées dans le prochain budget que la ministre des Finances, Chrystia Freeland, doit déposer à la Chambre des communes le 16 avril. M. Trudeau et son cabinet comptent multiplier les annonces d’ici au dépôt du budget.

« Le premier ministre n’a aucun sens de ce que cela veut dire, la discipline budgétaire. Même si la COVID est terminée, il continue de dépenser sans arrêt. […] Mais chaque dollar qu’il dépense provient des poches des gens qui ont travaillé d’une manière acharnée. Il est un pyromane qui se prend pour un pompier. Il arrose le feu non pas avec de l’eau, mais avec de l’huile. Donc, le feu inflationniste continue de brûler et c’est trop chaud pour les familles et les aînés qui ont de la misère », a fait valoir le chef conservateur.

M. Poilievre a avancé que certains économistes redoutent déjà que le plan budgétaire que le premier ministre et les membres de son cabinet sont en train de dévoiler donne un nouveau souffle à l’inflation et force la Banque du Canada à reporter toute baisse du taux directeur.

C’est du moins le cas de Derek Holt, vice-président et chef des études économiques sur les marchés des capitaux de la Banque Scotia à Toronto. Ce dernier a fait valoir dans une entrevue au Financial Post que la série de dépenses annoncées par les provinces dans leurs budgets et celles qu’annonce le gouvernement Trudeau depuis quelques jours risquent de retarder toute baisse des taux d’intérêt.

Témoignant en février devant le comité des finances de la Chambre des communes, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, avait d’ailleurs formulé un avertissement à l’intention du gouvernement fédéral et de ceux des provinces, les invitant à contrôler leurs dépenses afin de ne pas alimenter l’inflation au pays. Une hausse importante des dépenses pourrait miner les efforts que déploie la Banque du Canada depuis près de deux ans afin de ramener le taux d’inflation dans la fourchette cible de 1 % à 3 %.

« Si les gouvernements devaient augmenter leurs dépenses, cela pourrait commencer à faire obstacle à la baisse de l’inflation et cela ne serait d’aucune utilité », avait-il affirmé devant les membres du comité parlementaire.

La Banque du Canada doit annoncer sa prochaine décision sur le taux directeur mercredi. Le consensus parmi les économistes veut que l’institution fédérale maintienne le taux directeur à 5 %. Mais ils estiment qu’une baisse du taux directeur est dans les cartons pour juin, notamment à la suite du ralentissement de l’économie et de la hausse du taux de chômage le mois dernier.

Discipline budgétaire

En entrevue, M. Poilievre a soutenu que le gouvernement Trudeau doit, de toute urgence, imposer une nouvelle discipline budgétaire à Ottawa. Déjà, les finances publiques sont dans un état précaire, selon lui, en raison des dépenses incontrôlées des huit années de gouvernement libéral.

Il a affirmé qu’un gros voyant rouge devrait clignoter vivement sur le tableau de bord du ministère des Finances : Ottawa va consacrer cette année autant d’argent à payer les frais d’intérêt liés à la dette accumulée qu’il n’en verse aux provinces au chapitre des transferts en santé.

Dans sa mise à jour économique de novembre, la ministre Chrystia Freeland prévoyait que les frais d’intérêt de la dette atteindraient 52,4 milliards en 2024-2025 – une somme équivalant aux transferts fédéraux pour la santé.

Et au cours des prochaines années, les transferts en santé vont augmenter essentiellement au même rythme que les frais de la dette fédérale en raison de la hausse des taux d’intérêt et de l’explosion de la dette accumulée au cours des huit dernières années.

On va donner plus d’argent aux banquiers de Wall Street qu’aux infirmières et aux médecins à cause des dettes énormes de Justin Trudeau. Il faut éliminer le gaspillage.

Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur

M. Poilievre a réaffirmé son intention, s’il prend le pouvoir à l’issue du prochain scrutin prévu en octobre 2025, d’adopter une loi obligeant le cabinet à trouver un dollar d’économie pour chaque dollar de nouvelle dépense.

À ceux qui l’accusent de vouloir imposer l’austérité, M. Poilievre réplique : « Je trouve cela ironique parce que les Canadiens vivent déjà l’austérité dans leurs finances personnelles. Le gouvernement Trudeau, lui, vit dans l’abondance, mais les familles et les aînés vivent l’austérité, tout comme les deux millions de Canadiens qui se rendent à une banque alimentaire chaque jour. C’est cela, l’austérité. »