Un matin de janvier, à bord d’un téléphérique à la station de Jay Peak dans le Vermont, j’ai remarqué un jeune garçon portant un casque fluo, à côté de son père. Comme moi, le petit skieur de 10 ans avait hâte de skier dans le pied de poudreuse tombé la veille. Je lui ai demandé pourquoi il aimait Jay Peak.

« C’est à cause du Jay Cloud », m’a-t-il répondu, évoquant le célèbre nuage qui enneige généreusement la montagne. « C’est ici qu’il y a la meilleure neige », a-t-il dit comme s’il s’agissait d’une évidence. Et comme si c’était arrangé avec le gars des vues, le bleu du ciel est passé au blanc et le téléphérique s’est retrouvé dans une mini-tempête de neige.

La réputation de Jay Peak, le domaine skiable le plus au nord du Vermont, est intimement liée au Jay Cloud. La station, située à 8 km du Québec, affirme recevoir plus de neige – presque 9 mètres, en moyenne – que toute autre station américaine à l’est des Rocheuses, et même plus que bien des stations de l’Ouest, comme Park City, dans l’Utah, et Steamboat Springs, au Colorado.

Mais un autre nuage a plané pendant des années sur Jay Peak : ses anciens propriétaires ont perpétré la plus grande fraude de l’histoire de l’industrie du ski et la plus grande fraude de l’histoire du Vermont.

En 2016, la Securities and Exchange Commission a saisi Jay Peak Resort et accusé ses propriétaires, le président Bill Stenger et un homme d’affaires de Miami, Ariel Quiros, d’avoir escroqué 200 millions de dollars américains à des investisseurs étrangers dans une fraude à la Ponzi. M. Stenger et M. Quiros ont été condamnés à la prison. La station est restée ouverte sous séquestre fédéral, avant d’être vendue pour 76 millions de dollars américains à l’automne 2022 à Pacific Group Resorts, une société établie à Park City.

À ce moment, Jay Peak était devenue une station moderne et étincelante. Trois hôtels, une patinoire, un parc aquatique couvert de 60 000 pieds carrés, une salle d’escalade, un cinéma, plusieurs complexes de condos et de nombreux bars et restaurants ont été construits depuis 2009, en grande partie avec l’argent des investisseurs escroqués. Les bâtiments et les attractions grouillent de visiteurs.

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Le parc aquatique couvert de 60 000 pieds carrés du centre de villégiature Jay Peak

« Si vous n’êtes pas venu à Jay Peak depuis dix ans, vous ne reconnaîtrez pas l’endroit », jure Steve Wright, directeur général de la station.

Mais le nuage du scandale a été plus lent à se dissiper ailleurs dans la région. De nouveaux hébergements et équipements améliorent Jay Peak Resort, mais la promesse de créer des milliers d’emplois dans cette partie du Vermont – la plus pauvre de l’État – est restée lettre morte. Dans la ville voisine de Newport, à 30 km en voiture de Jay Peak, il y a toujours un trou en plein centre-ville.

Poudreuse, défis et scandales

Le ski à Jay Peak a commencé en 1957, son sommet escarpé devenant accessible au milieu des années 1960 grâce à l’installation d’un télésiège et de l’unique télécabine du Vermont. Dans les années 1970, l’hôtel Jay a ouvert ses portes avec 48 chambres donnant sur les pentes.

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Vue de la station de Jay Peak

Au début des années 2000, Jay Peak était réputé parmi les skieurs pour sa poudreuse et ses défis. La moitié de la clientèle est canadienne (Montréal est à deux heures de route). Mais les remontées mécaniques et les hôtels étaient « plutôt mal en point », explique M. Wright, qui a été engagé en 2004 par M. Stenger, lequel dirigeait la station depuis les années 1980.

L’auberge de style tyrolien était défraîchie et un article de journal avait décrit le domaine skiable comme minable, ringard et miteux.

C’est alors que quelqu’un a flairé de l’argent facile : M. Stenger s’est tourné vers une mesure fiscale fédérale, le Programme EB-5 d’immigrant investisseur, qui offre aux étrangers le statut de résident – la fameuse carte verte – en échange d’un investissement de 500 000 $ US s’il crée des emplois dans une zone économiquement défavorisée comme le Northeast Kingdom, dans le nord du Vermont.

En 2008, M. Stenger s’est associé à M. Quiros pour acheter Jay Peak Resort. Quelques années plus tard, ils ont acquis le Burke Mountain Resort, tout près. Ils ont levé la somme colossale de 350 millions de dollars américains auprès d’investisseurs EB-5 pour moderniser les installations des deux stations.

Mais les deux hommes n’avaient pas que le ski en tête. Un projet plus ambitieux – et plus farfelu – visait l’implantation d’une société de biotechnologie à Newport, une ville ouvrière de 4400 habitants, et le réaménagement du centre-ville, avec un hôtel-boutique, un centre de conférence et un port de plaisance sur le lac Memphrémagog. Ils ont promis 10 000 emplois directs et indirects, la transformation des domaines skiables en stations quatre saisons et la revitalisation du Northeast Kingdom, la région la plus pauvre du Vermont et dont la population a l’âge médian le plus élevé.

Il s’est avéré que M. Quiros avait acheté la station avec des fonds d’investisseurs destinés à la construction d’hôtels, puis qu’il avait continué à réorienter indûment des fonds provenant de projets ultérieurs dans le cadre d’un système de type Ponzi, afin de se couvrir. Lorsque la SEC et la police du Vermont l’ont démasqué, on a appris que M. Quiros et M. Stenger avaient détourné 200 millions de dollars américains, dont 50 millions que M. Quiros avait dépensés pour des achats de luxe, tel qu’un appartement à Trump Place New York.

M. Stenger, qui n’a pas été accusé d’avoir personnellement profité du scandale, a néanmoins été inculpé par la SEC pour avoir participé à un « système frauduleux massif échelonné sur huit ans » qui a « systématiquement pillé » les investisseurs étrangers.

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Au début des années 2000, Jay Peak était réputé parmi les skieurs pour sa poudreuse et ses défis.

« Je suis indigné par ce qu’il a fait et on a abusé de moi », a récemment déclaré M. Stenger au sujet de M. Quiros, qui a été condamné à cinq ans de prison pour fraude électronique et blanchiment d’argent. M. Stenger a été condamné à 18 mois de prison pour avoir présenté des documents falsifiés. Il a purgé une peine de neuf mois et a été libéré en mars dernier. « J’ai honte de ne pas l’avoir vu plus tôt », a déclaré M. Stenger.

L’avocat Michael Goldberg, qui a traité des centaines d’affaires de fraude à la Ponzi et représenté de nombreux clients de Bernie Madoff, le financier et architecte de la plus grande pyramide de Ponzi de l’histoire, a été nommé séquestre fédéral de Jay Peak en 2016.

Jay Peak a été « à un moment donné l’exemple de tout ce qui marche bien dans le programme EB-5 », a déclaré M. Goldberg. « Quand tout s’est effondré, il est devenu l’exemple de tout ce qui est mauvais dans le monde des EB-5. »

Après la fraude

Les nouveaux propriétaires de Jay Peak ne prévoient pas de changements majeurs. « Nous sommes très conscients de la fidélité de la clientèle et de l’ambiance unique qui règne ici », a déclaré Mark Fischer, de Pacific Group Resorts. « Nous ne voulons pas changer cette culture. »

Chris Young, directeur de l’école secondaire North Country High School, située à proximité, est un skieur de longue date de Jay Peak.

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Le ski à Jay Peak a commencé en 1957, son sommet escarpé devenant accessible au milieu des années 1960 grâce à l’installation d’un télésiège et de l’unique télécabine du Vermont.

« Je ne pense pas que l’ambiance de Jay ait changé. Au contraire, elle s’est améliorée », a-t-il déclaré.

Mais les blessures causées par le scandale sont encore visibles dans les environs. Burke Mountain Resort, où M. Quiros et M. Stenger ont construit un hôtel, est toujours sous séquestre fédéral (M. Goldberg s’attend à ce que le domaine skiable soit vendu cette année). À Newport, le trou béant rempli de mauvaises herbes défigure encore le centre-ville. Un pâté de maisons entier a été rasé en 2015 pour faire place à l’hôtel et au centre de conférence promis par M. Stenger et M. Quiros. La parcelle doit être vendue bientôt par le séquestre fédéral.

Le résultat pour les investisseurs étrangers est mitigé : 80 % des investisseurs EB-5 de Jay Peak ont reçu une carte verte, a indiqué M. Goldberg, mais aucun des 121 investisseurs de Burke n’en a reçu une. Il travaille à leur obtenir une carte verte, a-t-il déclaré. De nombreux investisseurs ont perdu de l’argent.

N’est-il pas ironique qu’un des fruits de la fraude à Jay Peak soit un centre de villégiature moderne et prospère ?

« Il n’y a pas d’incompatibilité entre la fraude et la beauté du produit final », a déclaré M. Goldberg en plaisantant.

Cet article a été publié dans le New York Times.

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