Les cravates et les escarpins sont-ils des espèces en voie de disparition ? Chose certaine, le style « mou », gracieuseté de la pandémie, déteint encore aujourd’hui sur les tenues portées à l’occasion des trois journées par semaine passées au bureau où le confort et les chaussures de sport sont maintenant rois et maîtres.

« Des cravates, je n’en vois presque plus », lance spontanément Anne-Marie Henson, associée chez BDO Canada.

Dans son cabinet de comptables, elle a également observé que les femmes délaissaient le veston et que le port du jeans n’était plus l’apanage des « vendredis décontractés », mais de n’importe quelle journée de la semaine.

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Anne-Marie Henson, associée chez BDO Canada

« Il y a deux semaines, j’étais au bureau en jeans, un jeudi. J’ai dit à mon collègue : “Le jeudi est le nouveau vendredi !” », raconte Anne-Marie Henson en riant.

Elle a même vu une employée porter une jupe en jeans, « audace » que peu auraient eue avant la pandémie. Mme Henson souligne même au passage que le look était absolument réussi et de bon goût.

Habitué de voir des gestionnaires en veston-cravate lors de formations qu’il donne en ressources humaines, Alain Gosselin, professeur émérite à HEC Montréal, fait le même constat : « Des cravates, depuis la pandémie, je ne pense pas en avoir vu. »

Et des chaussures plus « habillées », il y en a beaucoup moins, a-t-il lui-même observé en allant magasiner. Celles-ci semblent s’être fait damer le pion par les chaussures de sport.

Les seuls qui ont conservé un code vestimentaire strict : les policiers. Lors d’une récente formation qu’il a donnée à un corps policier dans un centre de villégiature, tous portaient l’uniforme.

Le confort avant tout

La pandémie et son confinement, qui n’obligeaient plus les gens à être tirés à quatre épingles, ont-ils contribué à ce retour au bureau plus décontracté ? « On pense que les gens ont envie d’être plus coquets et de s’occuper d’eux. Mais il y a l’élément confort qui a peut-être changé la donne, reconnaît Lili Fortin, présidente de Tristan. Ils n’ont peut-être plus le goût de s’habiller en mou, par contre, ils ont goûté au confort. »

Elle le voit avec la popularité des vestons plus extensibles qui se portent comme des cardigans, par exemple. « On travaille fort sur les coupes, pour que ça tombe bien et que ça soit confortable. »

La tendance à être habillé un peu plus relax, à mon avis, était là avant la pandémie. Comme avec le reste, la pandémie a eu un effet d’accélération de changements qui étaient déjà en place.

Alain Gosselin, professeur émérite à HEC Montréal

« Outre le fait que notre industrie, qui est créative, faisait déjà dans le mou avant la pandémie, on remarque quand même qu’il existe aujourd’hui un mou premium ! lance pour sa part Katia Aubin, vice-présidente communications et image de marque chez Sid Lee, agence de création multidisciplinaire. On voit toujours un souci du détail qui fait une différence. On peut voir les joggings, mais avec un haut plus chic… ou des chaussures plus recherchées. Les codes de style peuvent varier en fonction des services, les groupes design et architecture présentent souvent une esthétique vestimentaire réfléchie. »

À BDO Canada, Anne-Marie Henson reconnaît que le code vestimentaire au bureau est beaucoup plus flexible qu’avant la pandémie. « Ce qu’on veut c’est que les gens soient présentables et s’ajustent aux besoins des clients. »

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Chez BDO Canada, une firme comptable, le code vestimentaire au bureau est beaucoup plus flexible qu’avant la pandémie.

Et en cette période où les employeurs peuvent avoir du mal à recruter ou à retenir les candidats compétents, un code vestimentaire plus souple qui permet aux gens d’être plus « créatifs » peut permettre d’attirer des employés.

Je pense qu’on commence à réaliser qu’il faut être beaucoup plus flexibles pour garder nos jeunes talents, soutient Mme Henson. Parce que pour eux, la flexibilité, c’est le mode hybride et ça va aussi avec le code vestimentaire.

L’habit fait parfois le moine

La tenue plus décontractée n’est pas nécessairement de mise à toutes les occasions, soutient toutefois Julie Blais Comeau, spécialiste de l’étiquette. Selon la fondatrice de l’entreprise etiquettejulie.com, la profession exercée et les gens rencontrés peuvent faire pencher la balance vers le port du veston.

« Il y en a qui sont très contents de retourner dans les tailleurs, dans les complets », ajoute celle qui donne notamment un atelier intitulé « S’habiller pour réussir ».

Quand notre client nous voit, est-ce que nous avons l’air de ce que nous faisons dans la vie ? Sommes-nous crédibles ? Basé sur notre tenue vestimentaire, est-ce qu’on peut nous faire confiance ? Qu’on soit d’accord ou pas, on est jugé de l’extérieur vers l’intérieur. C’est le premier coup d’œil. Avec cette première impression-là, les gens vont capter s’ils peuvent vous faire confiance.

Julie Blais Comeau, spécialiste de l’étiquette

« Est-ce que la ou le comptable de Lady Gaga peut s’habiller différemment du comptable de quelqu’un qui a une entreprise dans les assurances ? Probablement que oui ! », lance-t-elle en riant.

Que dit la loi sur le code vestimentaire ?

Un employeur peut-il imposer un code vestimentaire ? Oui, mais à certaines conditions. « Lorsqu’un employeur rend obligatoire le port d’un vêtement particulier, il doit le fournir gratuitement à la personne salariée payée au salaire minimum », indique l’article 85 de la Loi sur les normes du travail. « L’employeur ne peut exiger une somme d’argent d’une personne salariée pour l’achat, l’usage ou l’entretien d’un vêtement particulier qui aurait pour effet que la personne salariée reçoive moins que le salaire minimum. » « Les droits de l’employeur de formuler des exigences en matière d’apparence personnelle doivent être conciliés avec le droit des employés à leur intégrité physique (art. 1 de la Charte des droits et libertés de la personne), au respect de leur vie privée (art. 5 de la Charte), à la sauvegarde de leur dignité (art. 4 de la Charte), à leur liberté d’expression ainsi qu’à leur liberté de religion dans certains cas (art. 3 de la Charte) », peut-on également lire sur le site de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés.