L’identification des produits d’ici sur Amazon à la suite d’une entente de collaboration entre le géant des ventes en ligne et l’organisme Les Produits du Québec aura sans doute été « le dernier clou planté dans le cercueil » du Panier bleu, dont les jours semblent désormais comptés, observent les experts interrogés.

« Il y a une donnée qui vient de changer et c’est l’entente qui est survenue entre Amazon et Les Produits du Québec [qui permet aux consommateurs de repérer rapidement les produits locaux] », souligne Bruno Guglielminetti, spécialiste des médias numériques et animateur de l’émission balado Mon carnet. « C’est l’élément clé qui fait qu’à partir de ce moment-là, Le Panier bleu perd de sa pertinence. »

Il rappelle que, selon les dernières données de NETendances, 7 % des ventes en ligne au Québec se font sur Le Panier bleu, contre 46 % sur Amazon. L’expert souligne que les consommateurs ont déjà l’habitude de faire leurs emplettes sur la célèbre plateforme.

« Si l’idée, d’abord et avant tout, c’était de permettre la rencontre entre les produits faits au Québec et les acheteurs québécois en ligne, c’est évident qu’avec la portée d’Amazon, la mission est en partie réussie.

« C’est un peu comme quelqu’un qui s’ouvre une boutique dans le champ et un autre qui ouvre la même boutique dans un centre commercial. Il y a pas mal plus de chances que les gens voient la boutique dans le centre commercial. »

Vers la fin du Panier bleu

Avec cette annonce concernant Amazon, l’organisme Les Produits du Québec, dont les logos sont de plus en plus visibles, vient-il de faire un pied de nez au Panier bleu, plateforme d’achat en ligne regroupant des marchands d’ici, qui se voulait une solution de rechange aux gros détaillants sur le web ? Sur les ondes de différents médias mardi, le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, n’a pas caché la possibilité que l’aventure du Panier bleu puisse bientôt prendre fin. Son sort risque d’être scellé dans les prochaines semaines.

« Effectivement, on peut se questionner sur Le Panier bleu, a reconnu M. Fitzgibbon sur les ondes d’ICI Première. Le Panier bleu a été un élément pour permettre aux commerces d’avoir une plateforme électronique. Amazon, pour moi, c’est une très bonne plateforme. Beaucoup de compagnies québécoises veulent être là. Peut-être qu’à la sortie de la pandémie, Le Panier bleu est moins important qu’il l’était. »

Dans une déclaration officielle, les représentants de la plateforme ont indiqué « avoir pris connaissance de la déclaration du ministre ». « Nous sommes en discussion avec nos investisseurs et nous prendrons une décision à cet effet dans les prochaines semaines. »

Interrogée à ce sujet, l’entreprise Lightspeed, actionnaire minoritaire de la Plateforme Agora inc. – société privée qui gère la place de marché –, a invité La Presse à s’adresser au service des communications du Panier bleu.

En début de semaine, à l’occasion de l’annonce de partenariat entre Amazon et Les Produits du Québec, le ministre délégué à l’Économie, Christopher Skeete, avait trouvé « injuste » l’idée d’affirmer que cette initiative prouvait que Le Panier bleu avait peut-être échoué. « Le Panier bleu, c’est maintenant une entité privée, a-t-il rappelé. Ils ont leur propre stratégie de développement. L’un n’exclut pas l’autre. Il y a assez de place au Québec pour faire la promotion de tous les produits locaux. »

Où a-t-on échoué ?

Créé au début de la pandémie par le gouvernement de François Legault pour stimuler l’achat local, Le Panier bleu a essuyé de vives critiques depuis sa création. Mais qu’est-ce qui a littéralement nui à son succès ? « Je pense que c’est une question de timing et de priorité, affirme M. Guglielminetti. Au départ, l’idée était bonne. Ce qui a tardé, c’est tout le volet transactionnel. Je pense qu’il y a une fenêtre qui a été ratée à ce moment-là. Par la suite, c’est devenu une boutique comme une autre. »

Jacques Nantel, professeur et spécialiste du commerce de détail à HEC Montréal, ajoute pour sa part que la mort du Panier bleu était « prévisible ». « C’était clair qu’on ne serait jamais capable de développer un Amazon québécois », soutient-il.

La logistique que nécessite un site transactionnel était un défi difficile à relever pour la place de marché québécoise. « Mettre ses inventaires en ligne, les rendre disponibles en temps réel, avoir un service de livraison et surtout la capacité d’agir comme maître d’œuvre : tout ça, c’est facile à dire, mais très difficile à faire. Quand tu regardes les coûts pour développer le système correctement, c’était prévisible qu’on n’était pas capable d’aller jusque-là. Impossible. »

Avec la collaboration d’Henri Ouellette-Vézina, La Presse

Le Panier bleu

Lancé en avril 2020 sous forme d’organisme à but non lucratif par le gouvernement de François Legault, Le Panier bleu est passé aux mains du privé en juin 2022 en devenant la propriété de la Plateforme Agora inc. Cette société privée, fondée en février 2021, selon le Registraire des entreprises du Québec, est constituée d’actionnaires minoritaires, dont Desjardins, le Fonds de solidarité FTQ, l’entreprise Lightspeed, qui se spécialise dans le commerce électronique, et le gouvernement du Québec (Investissement Québec). La place de marché est devenue transactionnelle il y a plus d’un an, soit en octobre 2022. La nouvelle version du site représente un investissement total de 22 millions de dollars. À titre d’OBNL, le site avait reçu 4,4 millions en subventions de la part de Québec.