La Caisse de dépôt et placement pourrait augmenter son rendement de plus de 20 milliards de dollars dans la prochaine décennie grâce à son désinvestissement du secteur du pétrole et du gaz. C’est du moins ce qu’affirme l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques dans une nouvelle étude. Le bas de laine des Québécois a toutefois perdu de « 10 à 20 milliards » en n’agissant pas plus tôt, ajoute l’organisme.

La Caisse a vendu ses dernières actions d’entreprises détenant des réserves de carburants fossiles en 2022. Sur 10 ans à compter de ce moment, et en tenant compte de rendements composés, le portefeuille de la Caisse « sans pétrole » obtiendrait « un rendement supplémentaire de 22,7 milliards de dollars », mentionne l’étude, signée Eve-Lyne Couturier.

Pour ses calculs, elle se base sur la comparaison entre deux indices : MSCI World, un portefeuille diversifié d’actions mondiales, et MSCI World sans carburants fossiles, qui exclut les entreprises détenant des réserves de pétrole, de gaz et de charbon.

Depuis leur création, les deux indices ont connu des rendements annuels de 11, 12 et 11,60 % respectivement, une différence de près d’un demi-point de pourcentage en faveur du portefeuille sans hydrocarbures.

« Ça permet de voir que ce ne sont pas des investissements qui ont de l’avenir, puisqu’on s’en va vers une économie plus sobre en carbone », dit Eve-Lyne Couturier.

L’IRIS arrive à « plus de 850 millions » en rendement annuel supplémentaire sur la base du portefeuille d’actions actuel de la Caisse, évalué à 180 milliards au 31 décembre 2022. Elle y ajoute des rendements composés pour arriver à 22,7 milliards.

Des milliards évaporés

Après les fleurs, le pot : en n’agissant pas plus vite, le gardien des cotisations de retraite et d’assurances publiques québécoises a perdu des milliards en rendements, affirme l’IRIS. Car entre 2011 et 2022, alors que la Caisse détenait toujours des actions de producteurs pétroliers, MSCI World sans carburants fossiles a surpassé l’indice MSCI World 8 années sur 12.

« Les placements en actions de la Caisse ont sous-performé en raison des investissements dans le secteur des énergies fossiles, occasionnant des pertes de l’ordre de 10 à 20 milliards de dollars », avance le rapport.

En entrevue avec La Presse, le chef de l’investissement durable de la Caisse, Bertrand Millot, juge qu’il est « très, très difficile de commenter les calculs de l’IRIS ». « C’est une question d’opportunité, de gestion de portefeuille. »

La Caisse estime tout de même que la comparaison entre la performance de ses actifs « verts » et ceux des entreprises d’hydrocarbures inclus dans l’indice MSCI World confirme qu’elle a pris la bonne décision en désinvestissant le secteur.

« Au niveau des rendements de notre portefeuille global, sur cinq ans, nos investissements en énergie renouvelable ont généré plus de 18 % alors que les producteurs pétroliers dans l’indice ont fait environ 8 % », signale la directrice des relations avec les médias, Kate Monfette.

Toujours dans l’industrie des hydrocarbures

Par ailleurs, l’IRIS note que la Caisse possède toujours des investissements dans 15 entreprises actives dans le transport de carburants fossiles, l’électricité thermique, ainsi que les services d’ingénierie et de forage pour la recherche d’hydrocarbures. Parmi ces sociétés figurent par exemple les transporteurs de gaz et de pétrole Énergir, Enbridge et TransCanada Corporation, mais aussi des entreprises d’électricité thermique et de forage.

Ces sociétés représentaient 9,2 milliards de dollars pour la Caisse au 31 décembre 2022, soit 2,3 % de son actif net total, ou 5,1 % de son portefeuille d’actions, selon les calculs de La Presse.

L’IRIS croit que la Caisse a de sérieuses décisions à prendre au sujet de ses investissements dans ces sociétés.

« Pour les entreprises qui œuvrent dans les énergies fossiles (transport, distribution, production d’électricité, services connexes) et qui sont incapables d’avancer concrètement et rapidement dans la décarbonation de leurs activités, la CDPQ devrait opter pour le désinvestissement, comme elle l’a fait pour les producteurs de pétrole et de gaz naturel », argue l’autrice Eve-Lyne Couturier.

Certaines des sociétés dont la Caisse est actionnaire ont construit des infrastructures devant s’amortir au-delà des 20 prochaines années. Pour les rentabiliser, elles misent sur un approvisionnement continu en pétrole et en gaz, alors que pour respecter les cibles de réduction des émissions, il doit diminuer radicalement.

Selon l’IRIS, ces infrastructures risquent de devenir des « actifs échoués » : des investissements qui perdent de leur valeur à cause d’un changement majeur dans la donne – ici, la baisse de consommation d’hydrocarbures.

L’organisme mentionne par exemple l’investissement de la Caisse dans Cheniere Energy inc. La société texane de gaz liquéfié a inauguré relativement récemment, en 2016 et en 2018, deux nouveaux terminaux d’exportation en Louisiane et au Texas.

« Ce cas de figure milite pour une remise en question de la participation de la CDPQ dans cette entreprise », écrit Eve-Lyne Couturier dans son étude.

Au 31 décembre 2022, la Caisse détenait pour 108,7 millions de dollars en actions de Cheniere, cotée à la Bourse de New York.

À la Caisse, Bertrand Millot assure que le bas de laine des Québécois porte une grande attention au risque d’échouage des actifs.

« Ils ont raison : il faut faire très attention, dit-il. Et on regarde toutes ces questions-là de façon très ordonnée. »

La Caisse signale d’ailleurs qu’elle a dégagé une enveloppe de 10 milliards pour investir dans les efforts de transition des industries plus polluantes.

Le bon pari, croit un expert

Associé directeur dans la firme d’investissement durable Nordis Capital, François Bourdon croit que le désinvestissement des entreprises impliquées dans les hydrocarbures est le bon pari.

« Je pense que ça va être rentable de le faire, parce qu’avec le temps, le pétrole et le charbon seront moins utilisés », dit-il.

Il fait un parallèle avec les cigarettiers, dont la plupart des titres sous-performent par rapport aux grands indices. « Certains vont mieux faire, mais il va y avoir moins de capitaux dans ces industries et on verra une décroissance », dit-il.

La tendance s’accentuera à mesure que le coût marginal de production des énergies renouvelables continuera de diminuer.

François Bourdon note tout de même qu’en 2024, l’actualité politique américaine pourrait donner un coup de main à l’industrie des carburants fossiles : « Évidemment, si Donald Trump est élu, il va peut-être y avoir un boost. »

Précision : Une version précédente de ce texte indiquait que les placements dans 15 sociétés liées aux hydrocarbures que la Caisse de dépôt et placement détient toujours dans son portefeuille valent 3,6 milliards de dollars. En fait, ces placements valaient 9,2 milliards au 31 décembre 2022. Nos excuses.

En savoir plus
  • 18 %
    Rendement de la Caisse sur cinq ans de ses investissements en énergie renouvelable alors que les producteurs pétroliers dans l’indice ont fait environ 8 %.
    Caisse de dépôt et placement du Québec
    31 %
    Baisse des émissions de gaz à effet de serre des actifs et sociétés présents dans le portefeuille de la Caisse, de 2017 à 2022
    Source : Rapport d’investissement durable 2022