Le télétravail n’offre pas que des avantages pour les femmes : une nouvelle étude montre que pour une jeune informaticienne, travailler à distance réduit de moitié le mentorat reçu d’informaticiens plus expérimentés. Cet impact du télétravail n’existe presque pas pour les hommes.

« Nous avons été surpris par l’intensité de l’effet du télétravail », a expliqué Emma Harrington, économiste de l’Université de Virginie qui a publié son étude l’automne dernier sur le site du Bureau national de recherches économiques (NBER). « Il était loin d’être évident que le télétravail désavantagerait ainsi les femmes. On aurait même pu penser que ça aurait diminué l’importance du boys club, des relations sociales axées sur des activités plus masculines. Mais finalement, il semble qu’il y ait un problème de communication dans ce type de relation. Certains indices montrent que les femmes sont moins enclines à poser des questions de suivi quand elles ne sont pas physiquement avec leur interlocuteur. »

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Emma Harrington, économiste de l’Université de Virginie

En moyenne, le télétravail diminuait la quantité de mentorat reçue de 22 %. Mais pour les femmes, la diminution était de 44 %, comparativement à 11 % pour les hommes. Et quand le mentor et le jeune employé étaient tous deux des hommes, il n’y avait pas de différence sur le plan du mentorat en télétravail.

L’étude a été menée auprès de 1000 informaticiens d’une « société Fortune 500 de commerce de détail ». Les informaticiens, responsables du site web transactionnel et des bases de données, commentaient entre eux les nouveaux ajouts de lignes de code, dans un but de documentation des systèmes pour leur entretien futur. Une attention particulière était donnée au travail des jeunes employés, par des mentors désignés de façon informelle. La collecte de données des chercheurs s’est échelonnée sur six mois avant et après le début de la pandémie.

Détail important : avant la pandémie, les informaticiens étaient répartis dans deux immeubles, ce qui signifiait que certains ne côtoyaient pas leurs collègues tout au long de la journée. Cela a permis une comparaison avec les effets du télétravail.

Chaleur et compétence

« C’est une étude intéressante », observe Ariane Ollier-Malaterre, professeure au département d’organisation et de ressources humaines de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

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Ariane Ollier-Malaterre, professeure au département d’organisation et de ressources humaines de l’UQAM

En général, dans le milieu du travail, les jugements de compétence dévalorisent les femmes. En présentiel, les jeunes femmes sont vues comme plus chaleureuses, alors ça va compenser pour la perception qu’elles ont moins de compétences. Cette chaleur génère de la sympathie, on se dit : on va aller lui donner du mentorat. Mais à distance, ça ne marche pas.

Ariane Ollier-Malaterre, professeure au département d’organisation et de ressources humaines de l’UQAM

Un bémol, cependant : le télétravail était dans ce cas à temps plein, alors que le mode « hybride » est plutôt recommandé, dit Mme Ollier-Malaterre.

Placide Poba-Nzaou, un collègue de Mme Ollier-Malaterre à l’UQAM, note que l’étude n’a pas été publiée dans une revue avec comité de révision (peer review). Mais il estime que ces résultats montrent l’importance pour les entreprises de mieux encadrer le mentorat.

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Placide Poba-Nzaou, professeur au département d’organisation et de ressources humaines de l’UQAM

« Le télétravail diminue la loyauté envers une entreprise et augmente le taux de roulement des employés dans les secteurs comme l’informatique, où il y a un manque de main-d’œuvre, dit M. Poba-Nzaou. On voit ici que les jeunes employés qui ont reçu beaucoup de mentorat en présentiel, avant la pandémie, ont plus tendance à quitter la firme parce qu’ils sont plus expérimentés. C’est encore plus vrai pour les jeunes femmes que pour les hommes. »

Pourquoi le mentorat n’est-il pas touché dans les relations homme-homme ? « Une hypothèse est que les femmes sont plus sensibles à la perception de leurs commentaires à distance, qu’il s’agisse de l’écrit ou de la vidéo, dit Mme Harrington. On sait que les hommes sont plus à l’affût du non-dit dans les interactions avec des femmes, ça pourrait être exacerbé par la communication à distance. »

Des études ont montré que les Blancs sont moins à l’aise avec des collègues racisés, par peur que certains de leurs commentaires soient mal interprétés, note Mme Harrington. « Peut-être que le même effet joue ici. »

Mme Ollier-Malaterre observe que l’étude des communications écrites n’est pas très avancée. « On a beaucoup moins d’informations. On peut utiliser des points d’exclamation ou des émojis pour signaler la bienveillance, mais ça reste froid par rapport à l’oral. »

Ces résultats ne sont pas encourageants pour l’impact du télétravail sur le sexisme, dit Mme Ollier-Malaterre.

On a aussi des études qui montrent qu’en télétravail, les femmes sont pénalisées parce que souvent, leurs collègues ont l’impression qu’elles vaquent à des obligations familiales au lieu de travailler.

Ariane Ollier-Malaterre, professeure au département d’organisation et de ressources humaines de l’UQAM

Elle cite notamment une étude américaine publiée en 2023 dans la revue Merits, qui note qu’en télétravail, les femmes ont tendance à prendre davantage de responsabilités familiales (durant la pandémie, avec les écoles fermées, notamment) et que le télétravail augmente le sentiment de marginalisation au travail.

Les télé-entrevues

Petite lueur d’espoir, une étude publiée en 2022 dans le Journal of Organizational Behavior montre que les entrevues d’embauche à distance ne pénalisent pas les mères.

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Nicolas Roulin, psychologue à l’Université Saint Mary’s, à Halifax

« Nous avons mis en arrière-plan des signes caractéristiques, comme une tasse La meilleure mère du monde », explique Nicolas Roulin, psychologue à l’Université Saint Mary’s, à Halifax, qui est l’auteur principal de l’étude. « Nos résultats montrent qu’une caractéristique parfois vue négativement en emploi, la maternité, n’est pas négative lors des entrevues d’embauche par vidéo. »

M. Roulin veut maintenant tester la présence de jouets éparpillés dans l’arrière-plan. « Il se peut qu’une mère qui a une maison ordonnée soit vue plus positivement », dit-il.

Il est possible que l’enregistrement de la vidéo soit le facteur clé pour contrer la discrimination. « L’intervieweur ne veut pas être vu comme biaisé contre les mères par un collègue qui regarderait la vidéo de l’entrevue d’embauche par la suite. Ça veut dire qu’il pourrait être bénéfique de filmer les entrevues d’embauche en personne. »

En savoir plus
  • 40 %
    Proportion des travailleuses qui faisaient du télétravail au Québec en 2022
    Source : ISQ
    31 %
    Proportion des travailleurs qui faisaient du télétravail au Québec en 2022
    Source : ISQ