(Ottawa) Le gouvernement Trudeau s’apprête à déposer ce jeudi son projet de loi anti-briseurs de grève, largement inspiré de la législation québécoise. Il va plus loin en interdisant d’utiliser des travailleurs de remplacement en télétravail, a appris La Presse. Il prévoit également une pénalité financière de 100 000 $ par jour.

Le ministre fédéral du Travail, Seamus O’Regan, doit déposer son projet de loi à la Chambre des communes ce jeudi. Une conférence de presse est prévue en matinée.

Les présidentes de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), Caroline Senneville et Magali Picard, prévoient d’être à Ottawa pour réagir.

Il s’agit de l’une des demandes les plus importantes de l’entente entre les libéraux et les néo-démocrates qui permet au gouvernement minoritaire de Justin Trudeau de gouverner comme s’il était majoritaire. On chuchote dans les coulisses que le projet de loi répond à la plupart des demandes qu’avait formulées le Nouveau Parti démocratique (NPD). Son chef Jagmeet Singh doit d’ailleurs s’adresser aux médias en compagnie de leaders syndicaux avant le dépôt du texte législatif.

Le projet de loi des libéraux vise à interdire le recours à des travailleurs de remplacement lors d’un conflit de travail dans les secteurs relevant du gouvernement fédéral, comme les télécommunications et les transports.

Il empêcherait un employeur d’avoir recours au télétravail pour contourner cette interdiction, en incluant une définition assez large de ce que constitue un employé.

Lors de la grève des fonctionnaires fédéraux au printemps dernier, une note avait été envoyée aux employés du ministère de l’Emploi et du Développement social pour leur rappeler qu’ils pouvaient choisir de ne pas exercer leur droit de grève et qu’ils pouvaient décider de recevoir leur salaire s’ils continuaient de travailler à distance1. L’Alliance de la fonction publique du Canada avait alors dénoncé cette pratique.

Les contractuels embauchés avant le début des négociations pour le renouvellement d’une convention collective pourraient toutefois continuer de travailler durant une grève ou un lock-out à condition qu’ils n’effectuent pas le travail d’un syndiqué. Il s’agit de l’un des éléments que les syndicats auront à l’œil lors de l’étude du projet de loi.

Pénalité financière importante

Le Conseil canadien des relations industrielles sera également appelé à définir ce qui ferait partie du maintien des activités lors d’un conflit de travail, si l’employeur et le syndicat ne parvenaient pas à s’entendre. Les syndicats craignent que cet élément soit utilisé pour retarder les négociations et diluer l’effet de cette législation.

Une pénalité financière de 100 000 $ par jour est également prévue pour tout employeur qui ferait quand même appel à des briseurs de grève.

« Si nous interdisons une fois pour toutes le recours aux briseurs de grève, nous progresserons vraiment dans la réduction des conflits de travail, la prévention des arrêts de travail et l’instauration d’une économie plus équilibrée en même temps que nous ferons augmenter les avantages et le respect que les travailleurs et travailleuses méritent », a réagi la présidente du Congrès du travail du Canada, Bea Bruske.

Le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, avait déposé son propre projet de loi anti-briseurs de grève il y a environ un an pour maintenir la pression sur les libéraux, la neuvième tentative en 15 ans pour les néo-démocrates. L’entente entre les deux partis précise toutefois que le gouvernement s’engage à « déposer un projet de loi d’ici la fin de 2023 » et non à l’adopter.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, ARCHIVES LA PRESSE

Alexandre Boulerice, chef adjoint du NPD

Les libéraux et les conservateurs avaient voté contre l’une des moutures du projet de loi néo-démocrate en 2016.

Le Bloc québécois compte appuyer celui du ministre O’Regan s’il « respecte l’esprit des demandes des groupes syndicaux au Québec ». La députée Louise Chabot, ex-présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), avait aussi déposé un projet de loi similaire au printemps dernier.

« Le Bloc québécois réclame depuis plusieurs années une loi anti-briseurs de grève afin de protéger le droit légitime de négocier des travailleurs et nous avons même déposé un projet de loi à chaque législature depuis 1990 », a-t-elle rappelé.

La CSN réclamait des sanctions dissuasives, l’interdiction d’avoir recours aux travailleurs de remplacement à distance, l’interdiction de travailler pour les membres d’une unité de négociation en grève ou en lock-out et d’éliminer l’intention de l’employeur pour justifier le recours à des briseurs de grève.

Sur les 10 provinces canadiennes, deux ont déjà des législations qui empêchent le recours à des travailleurs de remplacement : la Colombie-Britannique et le Québec, qui a adopté la sienne en 1977.

1. Lisez « Ottawa propose le télétravail pour éviter la grève »