À notre avis, plusieurs des faits mentionnés dans l’article « Un déficit sous-estimé de 10 milliards » de Francis Vailles doivent être rectifiés.

D’abord, il est impératif de mentionner que l’essentiel de l’article repose sur la remise en question de notre méthodologie (et non pas de la validité de nos calculs), qui est celle de la commission Bélanger-Campeau, reprise par François Legault. Pour bâtir son argumentaire, Francis Vailles met donc de côté cette méthodologie, qui a pourtant été approuvée au fil du temps par des centaines d’experts et tout récemment par six économistes de renom, de divers horizons politiques et idéologiques, qui ont tous signé notre document. En quelques jours, il a donc établi sa propre méthodologie selon laquelle il aurait fallu faire nos calculs et selon laquelle, selon ses dires, il aurait fallu ajouter 10 milliards de déficit à notre travail. Ainsi, cette chronique semble avoir été titrée avec l’objectif de présenter en vérité absolue une affirmation qui est en réalité une opinion de l’auteur.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Lisez la chronique « Budget de l’an 1 du PQ : un déficit sous-estimé de 10 milliards » de Francis Vailles

Sur l’élimination des chevauchements : si certaines des critiques de Vailles sont débattables car elles reposent essentiellement sur son désir d’introduire de nouvelles bases méthodologiques, son argumentation sur les chevauchements est à notre avis erronée. « En ramenant les chevauchements au niveau de 2005, les économies fondent de 3,5 milliards, somme qui vient s’ajouter au déficit », nous dit-il. On ne peut pas sérieusement défendre l’idée qu’on devrait ramener le niveau des chevauchements en pourcentage à celui de 2005, alors que la taille de l’État fédéral a augmenté de 40 % en seulement 8 ans et qu’elle a augmenté dans plusieurs des ministères où les chevauchements sont les pires. La méthodologie utilisée tient compte de cette évolution. Par ailleurs, nous sommes d’avis que le chiffre utilisé pour comparer les économies liées à l’élimination des chevauchements et aux gains d’efficacité dans l’exercice Legault devrait être de 2,4 milliards plutôt que de 1,9 milliard, comme ce dernier excluait les gains d’efficacité et que notre chiffre de 8,8 milliards les inclut.

Pour la dette, l’auteur souligne que nous avons pris un pourcentage inférieur à notre poids démographique. Pourtant, la méthodologie est basée sur le droit international en vigueur (Convention de Vienne sur la succession d’États). Comme le Québec ne reprend que 16,97 % des actifs, sa part de reprise de la dette fédérale est aussi moins élevée. Moins d’actifs, moins de passifs.

Maintenant, sur les taux d’intérêt. Pour la part de la dette fédérale, nous avons pris les taux d’intérêt en vigueur pour le fédéral. Pour la part de la dette québécoise, nous avons pris les taux d’intérêt en vigueur pour le Québec. L’auteur nous reproche d’avoir pris le même pourcentage que le fédéral pour les créances fédérales qui nous appartiennent. Il est impossible de prédire exactement les pourcentages des taux d’intérêt auxquels un Québec indépendant pourra emprunter. Généralement, les États indépendants ont de meilleurs taux d’emprunt que les provinces. Pourtant, nous n’avons pas diminué le taux qui nous est attribué pour la dette d’un Québec province.

L’autre critique concerne le Fonds des générations. On ne peut pas l’inclure puisqu’il comporte un aspect politique et que le modèle ne prend pas en considération les décisions politiques.

Par exemple, François Legault a diminué les versements pour faire des baisses d’impôt. De plus, dans le budget 2023, le gouvernement ne fait pas de réels versements au Fonds des générations parce qu’il puise davantage d’argent (2,5 milliards) qu’il en met (2373 milliards).

Plus largement, si parfois la méthode peut nous avantager légèrement, elle peut parfois nous désavantager également. À titre d’exemple, pour comparer les déficits d’un Québec pays à ceux d’un Québec province, notre méthode nous désavantage, puisqu’elle prend en compte la comptabilité gouvernementale fédérale qui prévoit soudainement, à des fins politiques, de très petits déficits pour les exercices de 2027 et 2028. Il appert que M. Vailles n’a retenu que les hypothèses en dehors de la méthodologie Legault qui nuisent au bilan financier d’un Québec indépendant.

Pour conclure, le propre de ce travail demeure de faire des hypothèses qui par définition demeurent des hypothèses. Mais au moins, nos hypothèses sont cohérentes avec les méthodes du passé et ont été vérifiées par six économistes de renom. Il y a plusieurs des points de Francis Vailles qui méritent une réflexion ou un débat légitime. Ce avec quoi nous sommes en désaccord complet, c’est de présenter sa nouvelle méthodologie comme un fait et d’y coller de nouveaux calculs pour essayer de nous désavantager et de présenter notre travail méthodologique, fondé sur Bélanger-Campeau, comme moins valable que ses propres interprétations. À notre avis, le titre « Un déficit sous-estimé de 10 milliards » induit le lecteur en erreur, puisqu’il présente l’affirmation comme un fait incontestable, alors que ce n’est pas le cas.

Ce texte est une version abrégée d’un plus long texte publié par l’auteur sur les réseaux sociaux.

Réplique de Francis Vailles

Contrairement à ce que vous affirmez, je n’ai contesté ni votre méthodologie ni la part du fédéral que vous attribuez au Québec. Mes observations m’ont plutôt fait constater trois choses.

D’abord, vous omettez d’inclure dans votre déficit de l’an 1 les versements au Fonds des générations et la provision pour éventualités, qui rendent les chiffres incomparables à ceux d’aujourd’hui. En quoi est-ce une opinion, une nouvelle méthodologie ?

Deuxièmement, votre calcul des frais d’intérêt sur la dette est tout sauf prudent, un principe de base en comptabilité. Ainsi, vous faites l’hypothèse que la cote de crédit du Québec, avec l’indépendance, deviendrait semblable à celle du Canada (AAA), ce qui permettrait de payer des frais d’intérêt très bas sur la part fédérale. Or, le Québec a une économie moins prospère, et cette cote parfaite de AAA n’est partagée que par neuf pays. Dois-je rappeler qu’au lendemain du Brexit, en 2016, la cote du Royaume-Uni a brusquement reculé (de AAA à AA), sans jamais retrouver le niveau précédent ? Est-ce une opinion, une méthodologie ?

Enfin, pour les chevauchements, économies et gains d’efficacité, vous les estimez à 10,9 milliards dans votre budget de l’an 1, ce qui équivaut à 35 % des dépenses transférées du fédéral, un chiffre très costaud. Je les ai ramenés à 24 %, et en 2005, François Legault les avait estimés à 21 %.

Tous ces éléments m’ont fait dire que vous sous-estimez le déficit d’environ 10 milliards. Avant de publier, j’aurais aimé interroger vos experts sur ces estimations et sur la méthodologie, qui comprennent forcément de nombreuses hypothèses, mais vous avez préféré ne pas les rendre disponibles.

Soumettez votre lettre