La femme d’affaires Marilou est connue pour Trois fois par jour, ses recettes et ses chansons. Directrice invitée de la section Affaires, elle a confié à nos journalistes et chroniqueurs la mission de répondre à ses interrogations d’entrepreneure.

Le mot de Marilou

Souvent, je pense au bagage que mes parents m’ont légué. Je retrouve en moi le côté entrepreneurial et organisé de ma mère, puis la ténacité et la débrouillardise de mon père. J’essaie de prendre cet héritage et de l’emmener plus loin, tout en faisant mon propre chemin. Comme femme, je rencontre plusieurs défis, comme celui de devoir constamment prouver ma crédibilité, et ce, même si je travaille dans des domaines où plusieurs femmes sont en poste.

Qu’en est-il des femmes qui vivent ce genre de défis, mais dans des milieux où la majorité sont des hommes ? Et qu’en est-il des femmes qui reprennent l’entreprise de leur père ? Doivent-elles travailler encore plus fort pour prouver leur crédibilité ?

Trois femmes au volant de concessions automobiles. Elles ont dû se dépasser pour prendre leur place. Nous les avons réunies pour échanger sur leur parcours.

Une rencontre entre trois femmes propriétaires de concessions automobiles. Dans ce milieu très largement masculin, elles sont aussi rares que des Ferrari à Fermont.

Impossible de réunir les trois femmes dans le même lieu : elles sont éparpillées en région. Ce n’est probablement pas un hasard, d’ailleurs : la consolidation des concessions y est plus rare.

C’est donc par visioconférence qu’elles se sont rencontrées, le 12 octobre dernier.

Nos invitées

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Nathalie Aumont, présidente et propriétaire de Joliette Toyota

PHOTO MARC-ANDRÉ COUTURE, FOURNIE PAR ARNOLD CHEVROLET BUICK GMC CADILLAC

Valérie Tremblay, présidente-directrice générale d’Arnold Chevrolet Buick GMC Cadillac, au Saguenay

PHOTO FOURNIE PAR HYUNDAI RUBY AUTO

Ruby Routhier, propriétaire et directrice générale de Hyundai Ruby Auto, à Thetford Mines

À elles trois, elles réunissent plus de 100 ans d’expérience dans le milieu automobile. Et les trois y ont grandi : leur père avait fondé la concession dont chacune a pris le volant.

Nathalie Aumont et Valérie Tremblay se connaissaient déjà. Elles sont toutes deux mentores du programme Accélérateur Femmes en automobile, une initiative de la Banque Scotia qui a ce but : « créer des liens entre les jeunes femmes qui commencent dans l’industrie et nous, qui avons de l’expérience en tant que femmes », explique Valérie Tremblay. « Parce qu’il n’y en a pas beaucoup, on va se le dire. Moi, quand j’ai commencé, je n’avais pas ce privilège de partager, de me confier, de poser des questions à quelqu’un. »

Elles n’ont jamais rencontré Ruby Routhier. « On connaît sa fille ! », lance toutefois joyeusement Nathalie Aumont.

Cassy Cloutier, directrice commerciale chez Hyundai Ruby Auto, a été admise au programme Accélérateur en janvier 2023.

Plongées dans le bain

Les trois femmes ont été initiées au métier à la manière d’Obélix : elles sont tombées toutes jeunes dans la marmite de passion magique.

Le père de Ruby Routhier avait commencé à travailler à 16 ans comme conseiller aux ventes, avait ouvert un commerce de voitures d’occasion à 21 ans, puis obtenu une concession Datsun en 1969.

« Dès mon jeune âge, je voulais travailler pour lui, je lui disais que je voulais être sa secrétaire. »

« On a un parcours qui est tellement semblable, Mme Routhier et moi ! constate Nathalie Aumont. Mon père a ouvert la concession Joliette Toyota en 1977. »

Elle est fille unique. « Ma mère faisait la comptabilité, ce qui fait que le garage était ma deuxième maison. J’ai été élevée ici. »

Comme à la maison, elle faisait le ménage le vendredi après-midi, après l’école.

« J’ai dit à mon père que j’aimerais ça, prendre la relève. »

Intense surprise paternelle.

« Parce que j’étais une fille, il ne me voyait pas vraiment là. »

Valérie Tremblay prend le relais : « Moi aussi, j’ai passé les congés d’été à aller faire du classement et à répondre au téléphone », raconte-t-elle.

Sans être chaotiques, les premiers kilomètres ont été cahoteux.

« Ce n’était pas évident, entame Ruby. Quand j’ai annoncé à mon père que j’étais enceinte, il m’a dit : “Tu règles ça, tu trouves un remplaçant, tu le formes.” C’était une mentalité. Mon père a 87 ans. Je n’étais pas la fille qui était protégée par son père.

— Ça, c’est bien, lance Valérie Tremblay. Moi, ça a été la même chose. »

Ruby s’est d’abord concentrée sur la comptabilité, mais ses responsabilités se sont rapidement élargies.

« À partir de 1989, mon père m’envoyait déjà aux rencontres de Hyundai », décrit-elle.

« Il m’a mise au front de bonne heure. Avec le recul, je trouve que parfois, j’ai manqué d’outils », confie-t-elle sous le hochement compréhensif de Nathalie.

Des formations avec Hyundai, il y en avait peu. J’ai pris ma place, mais je trouvais ça dur. Dans les meetings de Hyundai, j’étais la seule femme, je ne parlais pas. Mais j’écoutais beaucoup, par contre.

Ruby Routhier, propriétaire et directrice générale de Hyundai Ruby Auto, à Thetford Mines

Elles relevaient toutes trois un double défi : être une femme et être la fille du proprio. « C’est partir avec deux prises en partant », reconnaît Nathalie Aumont.

« Quand tu entres comme “la fille de”, tu ne pars pas nécessairement avec des points », euphémise Valérie, pendant que ses deux collègues opinent du chef.

Elle avait commencé sa carrière chez Arnold GM comme conseillère technique.

J’étais au service et il y a des monsieurs qui ne me prenaient pas au sérieux. Il y en a qui ne voulaient carrément pas me parler. Ils me disaient : “T’es pas secrétaire, ici ?” C’est fou ! Et aujourd’hui, on voudrait toutes avoir des femmes au service !

Valérie Tremblay, présidente-directrice générale d’Arnold Chevrolet Buick GMC Cadillac, au Saguenay

Valérie Tremblay est ensuite devenue directrice du service à la clientèle, puis directrice du service.

L’expérience venant, « je trouvais que je pouvais me permettre de donner mon avis. » « Quelquefois, ça n’a pas plu à certains, souligne-t-elle sous le gloussement compréhensif des deux autres. Mais je n’ai pas lâché pour autant. »

Nathalie Aumont prend le relais.

« Moi, je suis entrée par les ventes », dit-elle.

« Quand j’ai commencé, j’avais 23 ans, je suis sûre que vous m’auriez donné 40 ans. Je m’habillais avec un tailleur et un chemisier avec la boucle. Il fallait que j’aie l’air 10 ans plus vieille que ce que j’étais.

Il fallait que je le connaisse, mon produit, sur le bout des doigts. Quand je disais quelque chose, il fallait que ça soit crédible parce que les clients me posaient des questions pour essayer de me mettre en boîte.

Nathalie Aumont, présidente et propriétaire de Joliette Toyota

Elle a bientôt remplacé son père comme représentant de concessionnaire à l’association de publicité de Toyota.

« À l’époque, quand on allait à nos meetings, tous les concessionnaires Toyota avaient des vestons corporatifs rouges. Mais il n’y avait pas de tailles de femme. J’arrivais là et j’étais comme le canard noir au travers des autres. J’ai dit : “Non, ça ne marche pas.” Je suis allée m’acheter un tailleur rouge, pour ne pas passer comme la disparate. »

Ces excellents groupes Excellence

« C’est vrai, ce que Mme Routhier dit, confirme Nathalie Aumont. On n’avait pas de formation à l’époque. On a appris sur le tas. Moi, ce qui m’a formée, c’est les groupes Excellence. »

Les groupes Excellence sont des regroupements de 12 concessionnaires de différents constructeurs qui se réunissent trois fois par année avec un modérateur pour passer en revue leurs résultats et méthodes.

« C’est beaucoup d’entraide et d’échange, décrit la femme d’affaires. Corrigez-moi si je me trompe, les filles, mais je dirais qu’un bon 75 % des concessionnaires participent à ce genre d’activités. »

Les filles ne l’ont pas corrigée.

« La plus belle chose qui me soit arrivée, c’est de faire partie d’un groupe Excellence », acquiesce Valérie Tremblay.

La formule voulait que les participants soient assis selon leurs résultats, du plus faible, à droite, au plus fort, à gauche.

« Quand je suis arrivée, j’étais à droite. Mais ça m’a motivée. Quand je me suis dégênée et qu’on voyait que je commençais à monter dans le rang, j’ai dit aux deux meilleurs, qui sont devenus des amis : “Mon but dans la vie, c’est d’aller vous accoter.” Et c’est ce qui est arrivé. Mais on s’entraide, aussi. Pour moi, c’est mon plus bel accomplissement de carrière, je pense. »

Relève et casquettes

« Il faut être réaliste : la majorité des femmes qui se retrouvent en automobile aujourd’hui sont des relèves », soulève Nathalie Aumont.

Ce qui constitue un autre bel enjeu, qu’elle vit personnellement.

Un de ses deux fils, celui dans les veines duquel coule de l’huile à moteur (c’est son expression), l’a rejointe chez Joliette Toyota.

« Gérer en tant que femme, mais aussi gérer des relèves, c’est tout un défi, déclare l’entrepreneure. On gère les émotions. Je vais vous montrer quelque chose, vous allez comprendre très bien. »

Elle fait glisser sa chaise jusqu’à un tiroir, d’où elle extrait trois casquettes.

« On a trois chapeaux. Moi, j’ai les trois P, et nos enfants ont les trois E. »

Elle enfile une casquette sur laquelle est inscrit le mot « proprio ».

« Moi, initialement, je suis un proprio. Et je suis aussi un patron. Et je suis aussi un parent », énumère-t-elle, en montrant les trois casquettes dûment identifiées.

Son fils a les trois mêmes, marquées « éventuel patron », « employé » et « enfant ».

« Le problème dans les relèves, c’est que les chapeaux se mélangent, dit-elle. La relève ne sait plus qui parle.

— J’adore ! lance Ruby, le visage réjoui. Pouvez-vous remettre votre casquette ? Je voudrais vous photographier, je vous trouve extra !

— Nathalie, montre-les-moi encore ! », renchérit Valérie, qui photographie elle aussi son écran avec son cellulaire.

« C’est souvent le problème, on mêle les émotions, reprend Nathalie. De prime abord, on est des mamans ! »

À preuve : « Un jour, la blonde de mon fils venait de le laisser et il est entré dans mon bureau avec sa casquette “enfant” : “Est-ce que je peux parler à ma mère ?” »

Consultez l’ensemble des textes de notre section spéciale « Marilou Bourdon, directrice invitée »