Le Port de Montréal peine à convaincre le secteur privé de financer son expansion à Contrecœur. Dans l’espoir d’y arriver, l’agence fédérale se résigne à prendre plus de risques et assumera l’entière responsabilité de la partie « en eau » de ce mégaprojet dont la facture a explosé à 1,4 milliard.

Ce qu’il faut savoir

Le Port de Montréal veut prendre de l’expansion à Contrecœur.

La facture explose à 1,4 milliard, et il faut un nouvel appel d’offres.

Ottawa injecte 150 millions dans le projet. Québec a mis 130 millions.

Si l’Administration portuaire de Montréal (APM) a finalement obtenu le coup de pouce financier de 150 millions qu’elle attendait du gouvernement Trudeau, elle doit une fois de plus retourner à la table à dessin parce que les choses ne se déroulent pas comme prévu.

Ainsi, l’appel de propositions mis de l’avant par l’ancien président-directeur général de l’Autorité Martin Imbleau – dans lequel l’objectif consistait à obtenir une solution clés en main en matière de conception, de construction, de financement, d’exploitation et d’entretien – a été torpillé.

« On répond à ce que le marché veut présentement », a défendu la présidente-directrice générale par intérim de l’APM, Geneviève Deschamps, en entrevue avec La Presse, en compagnie du vice-président du projet Contrecœur, Paul Bird.

Le résultat est ce qui a été prononcé comme une « approche hybride ».

Cela signifie que l’APM sera maître d’œuvre de tout ce qui concerne le dragage du fleuve Saint-Laurent et de la construction des quais. Elle dit être en train de finaliser les négociations avec un « entrepreneur général » ainsi qu’un « bureau d’ingénierie ».

L’autre volet se déclinera sous la forme d’un appel de propositions sur invitation, qui sera lancé l’an prochain, pour déterminer le partenaire privé responsable de la construction du terminal, soit la cour de conteneurs, les bâtiments et la connexion ferroviaire, notamment.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Geneviève Deschamps, PDG par intérim de l’Administration portuaire de Montréal, et le ministre fédéral des Transports, Pablo Rodriguez

« On nous pousse dans une direction qui nous dit : nous sommes prêts à investir pour la partie sur terre, mais pas pour la partie dans l’eau. Le risque de construction est trop élevé. Le risque est pris en charge par l’APM. »

Visiblement, les trois consortiums retenus en mai 2022 – dont deux groupes internationaux – n’étaient plus enclins à partager les risques financiers pour la totalité du projet. En septembre dernier, La Presse rapportait que l’intérêt des deux consortiums étrangers, Ports America Holdings et Terminal Investments Limited, s’était estompé.

« Le changement des conditions de marché [la montée des taux d’intérêt] fait effectivement partie des raisons pour lesquelles il faut faire évoluer le processus », affirme Mme Deschamps.

Plus de place

Le terminal de Contrecœur doit pouvoir manutentionner annuellement 1,15 million de conteneurs « équivalents vingt pieds » (EVP). Actuellement, le port de Montréal peut accueillir jusqu’à environ 2 millions de boîtes métalliques. Avant même la première pelletée de terre, le projet fait face à d’importants dépassements de coût. Il coûtera au moins 1,4 milliard, comparativement à la prévision précédente qui oscillait entre 750 et 950 millions.

Le montage financier n’est toujours pas complet. Ottawa mettra 150 millions, le gouvernement Legault contribuera à hauteur de 130 millions, et la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) doit aussi offrir 300 millions en prêts.

PHOTO ARCHIVES FOURNIE PAR LE PORT DE MONTRÉAL

Le site prévu de l'expansion du port, à Contrecœur

En entrevue, M. Bird a laissé entendre que l’APM injectera environ 150 millions, ce qui suggère que le partenaire privé devrait arriver avec environ 670 millions. Reste à voir si ce scénario se concrétisera ou si l’agence fédérale devra délier davantage les cordons de la bourse.

« C’est lorsque l’on aura le prix final des coûts de construction que l’on déterminera quelles sont les contributions additionnelles, si elles sont nécessaires », affirme M. Bird.

Malgré l’annulation du processus qui avait été lancé en novembre 2021, Mme Deschamps et M. Bird assurent que l’APM ne repart pas de zéro. Tout le travail en amont réalisé depuis les 24 derniers mois entourant l’ingénierie et la conception pourra être réutilisé, affirment-ils.

Des limites

Spécialiste du transport et professeur à l’Université Hofstra, à New York, Jean-Paul Rodrigue estime que ce nouvel écueil dans le dossier du terminal de Contrecœur témoigne des limites du port de Montréal, qui ne peut accueillir des porte-conteneurs transportant plus de 6000 boîtes métalliques.

Les méganavires qui peuvent accueillir plus de 10 000 conteneurs EVP et qui sont de plus en plus en vogue dans le monde entier ne peuvent accoster dans la métropole.

« Mon hypothèse, c’est que le port de Montréal n’est pas assez grand en termes de potentiel commercial pour justifier des investissements massifs de grandes firmes commerciales, dit M. Rodrigue. Si c’était un projet [Contrecœur] à fort potentiel, il y aurait eu de l’argent. C’est la malédiction de la taille du port. Il n’est pas assez grand pour attirer les grands opérateurs à travers le monde qui ont les reins suffisamment solides. »

Le plus récent échéancier entourant la mise en service progressive des activités du terminal de Contrecœur est vers la fin de 2026. À écouter Mme Deschamps, cette cible pourrait de nouveau changer. À son avis, on aura « une meilleure idée » sur « l’échéancier total » pendant le premier trimestre 2024.

Une autorisation attendue de Pêches et Océans

Parallèlement aux enjeux financiers, l’APM attend toujours le feu vert du fédéral pour empiéter sur l’habitat essentiel du chevalier cuivré, menacé de disparition. Ottawa a protégé une partie de l’habitat de ce poisson sur lequel empiète partiellement le chantier proposé. Le Port de Montréal doit donc obtenir un permis de Pêches et Océans Canada en vertu de la Loi sur les espèces en péril. Interrogé, le ministre Pablo Rodriguez s’est dit convaincu que cela n’était qu’une formalité. La Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec) voit les choses d’un autre œil : « Les annonces répétées d’investissement avant même que le projet n’ait obtenu toutes les autorisations démontrent le parti pris du gouvernement et contribuent à miner l’indépendance de la fonction publique », dénonce son directeur général, Alain Branchaud.

En savoir plus
  • - 14,5 %
    Recul du volume de conteneurs enregistré à Montréal de janvier à août
    Source : Administration portuaire de montréal
    40 kilomètres
    Distance entre la métropole et Contrecœur
    Source : administration portuaire de montréal