(Tokyo) C’était la fin d’un nouvel été long et chaud à Tokyo, et les salarymen de la ville regardaient leur garde-robe avec effroi.

Chaque année, de mai à septembre, les salarymen, les employés et cadres non dirigeants des entreprises et des administrations japonaises, réputés pour leur conservatisme, abandonnent leurs costumes sombres et classiques pour des tenues plus décontractées. Exit les cravates et les chemises amidonnées, place aux polos à manches courtes et aux chemises en lin, et même, à l’occasion, aux vêtements hawaïens. Puis, à l’approche du mois d’octobre, la formalité reprend ses droits, même si les températures ne sont pas radicalement plus fraîches.

Cette métamorphose fait partie d’une initiative japonaise connue sous le nom de « Cool Biz », une description optimiste de ce qui pourrait tout aussi bien s’appeler « bureau chaud ». Depuis le 1er mai, les lieux de travail règlent leurs thermostats à 28 degrés Celsius, une proposition qui fait transpirer dans l’humidité de Tokyo.

Aussi inconfortables soient-ils, les bureaux japonais offrent un modèle de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les pays du monde entier, ces dernières ayant contribué à des vagues de chaleur record et à des phénomènes météorologiques extrêmes. Selon l’agence météorologique japonaise, le mois d’août a été le plus chaud jamais enregistré au Japon, et les températures maximales quotidiennes à Tokyo sont restées supérieures à 32 degrés Celsius jusqu’à la fin du mois de septembre.

PHOTO NORIKO HAYASHI, THE NEW YORK TIMES

Depuis le 1er mai, les lieux de travail au Japon règlent leurs thermostats à 28 degrés Celsius.

Cool Biz est l’une des nombreuses initiatives simples et rentables d’économie d’énergie au Japon, un pays pauvre en ressources qui dépend des importations de combustibles pour près de 90 % de ses besoins énergétiques. Ces mesures ont permis de maintenir la consommation d’énergie par habitant du Japon à environ la moitié de celle des États-Unis, selon les statistiques de l’Institut de l’énergie, établi à Londres.

Contrairement aux travailleurs japonais, les Américains ont été hostiles à l’idée de l’inconfort thermique. Pendant le choc pétrolier des années 1970, le président Jimmy Carter est devenu la risée du pays pour avoir osé demander aux gens de baisser le thermostat et d’enfiler une couche supplémentaire pendant l’hiver. En été, de nombreux bureaux américains sont encore si froids que les employés ont recours à des chauffages d’appoint et portent des chandails chauds.

Au féminin

Au Japon, Cool Biz est devenu particulièrement populaire auprès des femmes, qui ont tendance à porter des vêtements plus légers et se plaignent souvent des températures froides nécessaires pour rendre les complets confortables pour leurs collègues masculins. Les femmes sont encore largement sous-représentées dans les postes de décision dans les bureaux japonais.

Aujourd’hui, plus de 86 % des lieux de travail participent au programme Cool Biz, selon une enquête du ministère de l’Environnement. Le succès du programme a été obtenu sans aucune règle ni incitation financière, a déclaré Yusuke Inoue, directeur du bureau de promotion du mode de vie sans carbone du ministère.

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Cool Biz est devenu particulièrement populaire auprès des femmes, qui ont tendance à porter des vêtements plus légers et se plaignent souvent des températures froides nécessaires pour rendre les complets confortables pour leurs collègues masculins.

Au lieu de cela, le gouvernement a encouragé les hommes politiques et les chefs d’entreprise à se débarrasser de leur veston et de leur cravate, adoptant ainsi un comportement qui s’est rapidement généralisé. En adoptant des vêtements plus légers, les gens ne voulaient plus que le thermostat soit réglé à un niveau aussi bas, a souligné M. Inoue.

Tatsuya Murase, 29 ans, qui travaille pour une société de transport maritime, a confirmé que les clients s’attendaient désormais à une tenue moins guindée.

« Aujourd’hui, lorsque je rends visite à mes clients, tous semblent être très flexibles et généreux en ce qui concerne le style sans veston », a indiqué M. Murase, qui portait une chemise boutonnée à carreaux bleus et blancs lorsqu’il a quitté deux collègues près de la gare de Tokyo la semaine dernière.

Keita Janaha, 34 ans, directeur adjoint d’une banque locale, a affirmé que certains de ses collègues masculins trouvaient le bureau trop chaud, mais qu’il était acceptable pour les clients qui arrivaient de l’extérieur par temps froid.

Les origines du Cool Biz

Le Cool Biz trouve ses racines dans les années 1970, lorsque les Japonais suivaient certains des conseils que les Américains boudaient. Néanmoins, l’apparition du premier ministre Masayoshi Ohira en veston à manches courtes – le « look économie d’énergie », comme l’appelaient les journaux – était considérée comme trop inesthétique pour être tolérée.

Yuriko Koike, aujourd’hui gouverneure de Tokyo, a introduit le Cool Biz dans les bureaux du gouvernement en 2005, alors qu’elle était ministre de l’Environnement. Cette initiative coïncidait avec les engagements pris par le Japon dans le cadre du protocole de Kyoto, l’accord international de 1997 visant à réduire les gaz à effet de serre.

Tirant les leçons de la débâcle du complet « safari » d’Ohira, le gouvernement s’est engagé dans une campagne de sensibilisation pour convaincre les employés de bureau qu’il était acceptable d’abandonner leur veston et leur cravate habituels, même lorsqu’ils rencontraient des clients.

Le nom du programme a été choisi parmi 3200 suggestions. Le premier ministre de l’époque, Junichiro Koizumi, a donné l’exemple en adoptant un look suave et approprié. Les fonctionnaires ont même persuadé Kenshi Hirokane, auteur d’une bande dessinée populaire sur les salarymen, de faire porter des manches courtes à ses personnages.

Si l’initiative a suscité des plaintes de la part des fabricants de cravates, qui ont fait état d’une baisse des ventes, elle a été une aubaine pour des détaillants tels qu’Uniqlo, avec sa collection de vêtements décontractés et bon marché, fabriqués dans des tissus légers qui évacuent la transpiration. Ses polos sont désormais l’uniforme d’été de facto de nombreux employés de bureau.

Le programme a connu un tel succès qu’il a conduit à une « décontraction » plus large du style estival au Japon, a indiqué W. David Marx, auteur d’une histoire culturelle de la mode masculine japonaise, Ametora : How Japan Saved American Style.

« Il s’agit d’une technique de protection de l’environnement, mais aussi, à titre personnel, je pense que tout le monde se rend compte qu’il fait trop chaud pour porter des complets », a-t-il déclaré.

Plus difficile en hiver

La contrepartie hivernale du Cool Biz, Warm Biz, lancée au même moment et encourageant les lieux de travail à maintenir les thermostats à un niveau bas, a eu moins de succès. Même sa mascotte – un adorable ninja – a eu du mal à persuader les employés de bureau de s’emmitoufler dans des écharpes et des couvertures et de grelotter à leur bureau.

Cool Biz a prospéré tout en évoluant. En 2011, après que la catastrophe nucléaire de Fukushima a incité le Japon à fermer les réacteurs dans tout le pays, le pays a de nouveau assoupli les normes vestimentaires et a appelé ses citoyens à réduire encore davantage l’utilisation des climatiseurs afin d’éviter les coupures d’électricité.

Le « Super Cool Biz » a permis de sauver le réseau électrique, mais n’a peut-être pas été très bénéfique pour la productivité, selon une étude qui a révélé que les travailleurs devenaient moins productifs à chaque degré supplémentaire au-dessus de 25 degrés Celsius. Plus inquiétant encore, une étude a établi un lien entre la réduction de la climatisation des habitations et l’augmentation de la mortalité due aux coups de chaleur chez les personnes âgées.

L’année dernière, les étés japonais étant de plus en plus longs et chauds, le ministère de l’Environnement a supprimé la période de campagne officielle, encourageant les lieux de travail à passer naturellement de Cool Biz à Warm Biz au fur et à mesure que les températures diminuaient. Néanmoins, la plupart des employés de bureau enfilent leur tenue décontractée en mai et reviennent à une tenue plus formelle à la fin du mois de septembre. Certaines municipalités ont déclaré qu’elles poursuivraient le programme Cool Biz jusqu’en octobre.

Masato Ikehata, porte-parole d’Itochu, une entreprise qui a assoupli sa politique en matière de costumes d’affaires en 2017, a déclaré que l’entreprise avait mis en place des « compartiments froids » spéciaux où les employés et les clients pouvaient se rafraîchir après être entrés dans le bâtiment et avant de tenir des réunions dans les espaces de bureau plus chauds.

La montée en flèche des températures a entraîné une série d’autres adaptations. Des climatiseurs personnels accrochés à des cordons, des ventilateurs électriques portatifs et des colliers remplis de compresses froides sont des accessoires courants. Les ouvriers du bâtiment et les livreurs ont pris l’habitude de porter des gilets dans lesquels sont cousus deux petits ventilateurs électriques.

La version originale de cet article a été publiée par le New York Times.

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