Dans le contexte actuel, devrait-on vendre ou louer son condo ? C’est ce que cherche à savoir une lectrice qui vient de tomber amoureuse et envisage de déménager avec l’élu de son cœur.

La situation

Évelyne* vit seule dans son condo et n’a pas d’enfants. Elle a rencontré Philippe*, qui habite dans sa maison jumelée. Le nouveau couple n’a pas l’intention de partir à la recherche d’un nouveau nid familial. Évelyne veut simplement déménager chez son chum.

« C’est ma première et unique propriété, nous écrit Évelyne. Est-ce que ce serait mieux de vendre mon condo et de profiter de cet argent ? Ou de le louer et de profiter de cette nouvelle entrée d’argent ? »

Avant de faire son choix, Évelyne a besoin de quelqu’un pour l’aider à comprendre l’impact fiscal de sa décision. Car à vue de nez, on ne peut qu’imaginer des hypothèses et se laisser influencer par les croyances non vérifiées de tout un chacun.

Évelyne a quand même de bons revenus. Est-ce qu’elle changera de taux d’imposition en rajoutant ceux de la location du condo ? Car dans le marché actuel, elle pourrait le louer 3000 $ par mois.

« Et puis quels sont les autres avantages de la vente versus la location ? » se questionne-t-elle.

Il faut aussi préciser qu’Évelyne est une retraitée âgée de 75 ans. Se lancer dans la gestion d’immeubles ou faire des opérations immobilières de vente-achat (flips) ne fait pas partie de ses plans. Son horizon de placements à la Bourse s’est également rétréci.

Les chiffres

TABLEAU

Valeur marchande du condo : 650 000 $ 

Aucune hypothèque

Revenus déclarés en 2022 : 99 000 $ 

Pension d’employeur : 6000 $ par mois

RRQ et PSV : 10 000 $

CELI : 65 000 $

FERR : 365 000 $

L’analyse

Brigitte Felx, planificatrice financière et première directrice régionale, stratégie de distribution-entreprise, gestion mondiale d’actifs à la Banque Royale du Canada (RBC), a fait quatre scénarios.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Brigitte Felx, planificatrice financière et première directrice régionale, stratégie de distribution-entreprise, gestion mondiale d’actifs à la Banque Royale du Canada

« Il faut tenir compte de l’âge, affirme-t-elle. À 75 ans, on est établi, mais on ne prend pas autant de risques que quand on a un horizon de travail devant soi. L’exercice doit être fait en fonction de l’âge et des objectifs de la personne. »

Et si elle vendait le condo ?

Supposons qu’elle obtient son prix : 650 000 $. « Qui dit vente dit investissement. La valeur, on va l’investir », explique Brigitte Felx.

« Vu son âge, elle a un profil d’investisseur sécuritaire. L’IQPF suggère de travailler avec des rendements de 3,2 %, une inflation de 2 % et une espérance de vie de 95 ans », rappelle-t-elle.

Le taux d’imposition marginal actuel d’Évelyne est de 41,12 %.

Dans le premier scénario de vente, elle ne prend que les revenus de placements et laisse le capital investi.

« C’est un scénario qui s’apparente à la location, parce qu’elle récolte des revenus. Avec le rendement de 3,2 %, elle obtient 20 800 $ de revenus annuels qui s’ajoutent à ses 99 000 $ pour un total de 119 800 $ de revenus imposables. »

Le taux d’imposition marginal augmente et passe de 41,12 % à 45,71 %.

Dans le deuxième scénario de vente, Évelyne utilisera les 650 000 $ au complet sur 20 ans, capital et intérêts. À 96 ans, le fruit de la vente du condo sera consommé.

« Elle aura 33 482 $ par année de plus, indexé à 2 % par année, qu’elle pourra utiliser pour des soins de santé, un peu de luxe et peut-être des voyages. »

J’ai investi son capital dans des certificats de placements garantis qui génèrent des intérêts, ce qui signifie qu’elle sera imposée sur les revenus de placements.

Brigitte Felx, planificatrice financière et première directrice régionale, stratégie de distribution-entreprise, gestion mondiale d’actifs à la RBC

Le taux d’imposition marginal reste à 45,71 %.

Dans le troisième scénario de vente, Évelyne décide d’avoir une planification successorale même si elle n’a pas d’enfants. Elle pourrait faire des legs particuliers à des membres de la famille ou à des œuvres de charité. La retraitée investirait alors les 650 000 $ sans jamais toucher ni au capital ni aux revenus.

Dans 5 ans, le portefeuille atteindrait 742 400 $ et dans 10 ans, 829 000 $.

« Cependant, elle doit déclarer quand même ses revenus, même si elle ne prend pas l’argent », précise Brigitte Felx.

Le taux d’imposition marginal reste le même à 45,71 %.

Et si elle louait son condo ?

Quand on fait une analyse comme celle-ci, on calcule les dépenses qu’entraîne la location, soutient la spécialiste. Que ce soient les charges de copropriété, les frais de publicité, d’assurances, d’honoraires professionnels de notaire ou d’avocat, les coûts de réparation, d’entretien et les impôts fonciers.

Ce sont des dépenses qu’Évelyne peut déduire de ses revenus de location, qui peuvent grimper jusqu’à 50 % du loyer de 3000 $.

Avec un revenu imposable net de dépenses de 18 000 $, qu’on ajoute aux 99 000 $, elle atteint les 117 000 $ de revenus.

Curieusement, son taux marginal d’imposition est toujours le même que dans les trois scénarios de vente.

Brigitte Felx, planificatrice financière et première directrice régionale, stratégie de distribution-entreprise, gestion mondiale d’actifs à la RBC

« On vient de réaliser que sur le plan fiscal, il n’y a aucune différence entre vendre et louer son condo », insiste Brigitte Felx.

La liste du locateur hésitant

Pour Évelyne, les vrais enjeux sont donc ailleurs. Brigitte Felx en a dressé une liste. Ce sont des questions qu’Évelyne doit se poser, mais aussi quiconque pris dans ce dilemme.

Les avantages de la location ? Elle garde son immeuble qui va prendre de la valeur dans le temps. En cas de séparation, elle peut retourner dans son condo. Si elle le vend, il est possible qu’elle ne retrouve pas le même type de propriété, car le marché change et évolue.

« C’est peut-être cet aspect qui pourrait l’inciter à le louer, suggère Brigitte Felx. Elle pourrait certes en racheter un autre si elle garde l’argent de la vente, mais trouvera-t-elle exactement ce qu’elle veut ? »

Comme elle a 70 ans et plus, elle peut reprendre le condo même si son locataire a aussi 70 ans et plus. La loi interdit aux propriétaires de déloger des locataires à partir de cet âge. Si elle avait 60 ans, c’est un aspect qu’elle aurait eu à considérer.

Les désavantages de la location ? Trouver le bon locataire qui va payer ; répondre aux demandes incessantes d’un locataire stressant ; la possibilité que le condo se déprécie à cause du marché, des travaux majeurs à faire ou de l’entretien ; le fait que cet actif immobilier n’est pas liquide en cas d’urgence.

Évelyne doit surtout réfléchir à ces deux grandes questions : a-t-elle les ressources et les capacités pour répondre aux besoins d’un locataire ? Recherche-t-elle la paix d’esprit ?

« Ce sont ces facteurs humains qui vont contribuer à lui faire prendre une décision, qu’elle seule pourra prendre et non le planificateur », conclut Brigitte Felx.

Avant de faire ses boîtes pour déménager chez son chum, Évelyne doit absolument régler quatre affaires importantes. Une autre liste que quiconque emménage à deux devrait réaliser : un contrat de vie commune, un inventaire des besoins de chacun au moment du déménagement, un mandat de protection et un testament.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.