(Montréal) Le syndicat représentant les débardeurs du port de Montréal affirme avoir mis fin à une pratique d’embauche de longue date qui a été critiquée pour favoriser le népotisme – au point où les enfants d’âge préscolaire des travailleurs étaient inscrits sur une liste d’employés potentiels.

Pendant des décennies, l’Association des employeurs maritimes (AEM) qui utilisent le port a embauché des débardeurs à partir d’une liste fournie par le syndicat – une liste créée en demandant à chaque membre du syndicat de fournir un seul nom.

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Mais l’AEM a soutenu que la liste était une recette pour le népotisme, avec pour résultat peu de candidates ou de membres de minorités ethniques, et dans certains cas des enfants qui sortaient à peine de leurs couches.

En avril, un arbitre du travail a ordonné une série de changements après avoir constaté qu’il était impossible pour les personnes d’inscrire leur nom sur la liste à moins d’avoir un lien de parenté avec les débardeurs actuels.

« Il est apparu que cette liste contenait presque exclusivement les noms des membres de la famille de chacun des débardeurs, sans aucune vérification du mérite ni de la capacité de ces personnes à faire le travail de débardeur », a écrit Nathalie Faucher dans sa décision.

Elle a estimé que la liste équivalait à de la discrimination en matière d’emploi fondée sur la situation familiale, ce qui est interdit par la Charte canadienne des droits et libertés.

Dans une autre décision sur le sujet l’année dernière, Mme Faucher avait souligné l’affirmation de l’employeur selon laquelle « certains candidats figurant sur la liste maîtresse du syndicat sont actuellement des enfants de moins de trois ans ».

Depuis 2015, 50 % des débardeurs ont été embauchés à partir de la liste du syndicat – auparavant, toutes les embauches étaient tirées de la liste.

Des « mesures fortes pour briser le cycle »

Mme Faucher a constaté que même si le processus a fait l’objet de critiques depuis le début des années 1980, les tentatives précédentes visant à modifier le système ont donné lieu à de longs conflits. « Des mesures fortes devront être prises pour briser ce cycle de discrimination systémique », a-t-elle écrit.

Le syndicat affilié au Syndicat canadien de la fonction publique avait soutenu qu’aucune question n’avait été posée sur la relation entre la personne ajoutée à la liste et le membre qui la proposait, et qu’il n’était donc pas au courant de l’existence de liens familiaux. Cependant, Mme Faucher a constaté que ces liens allaient souvent de soi.

Le syndicat a également affirmé que la contestation de la liste par l’association était une tentative de court-circuiter les prochaines négociations contractuelles.

Le porte-parole Michel Murray a déclaré que le syndicat respectait pleinement la décision de l’arbitre rendue en avril, qui lui ordonnait de prendre plus d’une douzaine de mesures pour permettre à toute personne qualifiée d’inscrire son nom sur la liste. L’arbitre a également nommé un contrôleur indépendant pour s’assurer que ses ordonnances étaient respectées.

M. Murray a déclaré que la liste remonte à l’époque où « les compagnies maritimes demandaient aux débardeurs actifs de faire en sorte que les membres de leur famille se joignent au marché du travail lorsque le port de Montréal était occupé ».

Chaque travailleur ne pouvant inscrire qu’un seul nom sur la liste, « il n’était pas rare que des mineurs soient répertoriés, étant donné que cela pouvait prendre plusieurs années avant que l’employeur ne lance un appel à candidatures », a-t-il expliqué mardi dans un courriel.

L’Association des employeurs maritimes a déclaré qu’elle ne remettait pas en question la prérogative du syndicat de choisir les travailleurs, mais que le processus devait être conforme aux lois sur les droits de la personne et à la convention collective.

« Nous sommes évidemment satisfaits de la décision arbitrale dans le dossier du népotisme. L’inclusion, l’égalité et l’accessibilité pour tous sont des valeurs importantes pour l’AEM », a déclaré Isabelle Pelletier, vice-présidente aux communications et aux affaires publiques de l’association.

Enjeux centraux lors des négociations

John Corey, président de l’Association canadienne de gestion du fret, a déclaré que, comme d’autres sociétés cotées en bourse, les grandes compagnies maritimes doivent rendre compte de la diversité et de la gouvernance dans leurs états financiers.

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« Ils ont l’obligation de rendre compte de ces questions à leurs actionnaires, il est donc beaucoup plus difficile pour une entreprise de dire qu’elle va simplement embaucher des amis et des parents. Les temps ont changé », a-t-il déclaré mercredi dans une entrevue.

Pier-Luc Bilodeau, professeur en relations industrielles à l’Université Laval, a expliqué que des systèmes par lesquels les employeurs embauchent des candidats sélectionnés par les syndicats existaient dans d’autres ports nord-américains, ainsi que pour les machinistes et dans l’industrie de la construction, même si cette pratique a été interdite dans le secteur de la construction au Québec.

« En tant que groupe, nous voulons nous assurer que la génération après nous, nos enfants, puisse avoir la possibilité d’avoir de bons emplois – c’est la logique qui sous-tend l’approche du syndicat », a-t-il résumé mercredi dans une entrevue.

Bien que la présence de jeunes enfants sur la liste puisse paraître choquante, elle suit la même logique : les syndiqués ne savent pas quand davantage de travailleurs seront nécessaires et veulent s’assurer que leurs enfants figureront en tête de liste lorsqu’ils seront en mesure de pourvoir des emplois au port.

Jean-Claude Bernatchez, professeur de relations de travail à l’Université du Québec à Trois-Rivières, a déclaré que l’organisation du travail au port de Montréal sera probablement l’un des enjeux centraux alors que le syndicat entame jeudi les négociations avec l’AEM.

« Les syndicats veulent conserver le nombre d’emplois qu’ils ont à Montréal. Il y a environ 1400 débardeurs et ils veulent garder leurs salaires, ils veulent garder leurs méthodes, donc ils sont résistants au changement », a-t-il déclaré.

« Quant à l’employeur, il veut réduire ses coûts, il veut introduire la technologie autant que possible pour rendre les choses plus efficaces », a-t-il ajouté.