Des plans B pour faire transiter des marchandises ailleurs sur la côte sont déjà en place advenant une nouvelle grève au port de Montréal. Pendant ce temps, le coup d’envoi des négociations entre les débardeurs et l’employeur, mercredi, a donné lieu à un « cheap shot » patronal, déplore le syndicat.

Afin de prendre le pouls de l’industrie, La Presse a recueilli les témoignages de gestionnaires dans l’industrie maritime. Ceux-ci ont demandé de ne pas être identifiés pour des raisons concurrentielles ainsi que par crainte de représailles.

« Le Canada a désormais une réputation en matière de perturbations portuaires, explique l’un d’entre eux. Un conteneur met 60 jours à débarquer à Montréal depuis l’Asie. Si vous passez une commande et qu’une grève éclate alors que le navire n’est pas encore arrivé, qu’est-ce que vous faites ? »

Plusieurs éléments incitent les entreprises à s’y prendre à l’avance. Les grèves survenues en 2020 et en 2021 au port de Montréal ont été évoquées à maintes reprises. De plus, le port de Vancouver – le plus important au pays – a aussi été paralysé par un débrayage pendant 13 jours en juillet dernier. Les relations de travail ne sont pas au beau fixe.

Dans l’est du pays, les options de rechange sont essentiellement les ports situés à Halifax, Saint John (Nouveau-Brunswick), New York, New Jersey et Baltimore – des endroits où il y a de la capacité disponible pour accueillir plus de conteneurs. Un détour est toujours plus coûteux pour un expéditeur, mais entre une facture plus salée et une rupture de service, on opte généralement pour le premier scénario.

« Les clients exigent un service ponctuel, affirme l’une des personnes interrogées par La Presse. Donc oui, on se tournera vers des [solutions de rechange]. Je suis préoccupé avec les négociations à Montréal, mais j’espère que les deux parties s’inspireront de l’arbitrage à Vancouver. »

Quelques mois

Dans la métropole, le contrat de travail des quelque 1100 débardeurs qui chargent et déchargent la marchandise dans les terminaux portuaires vient à échéance à la fin de l’année. En principe, un débrayage ne peut survenir avant le début de 2024.

L’Association des transitaires internationaux (ATIC) espère que le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) et l’Association des employeurs maritimes (AEM) seront rapidement en mesure de rassurer l’industrie.

« Nous prévoyons que nos membres commenceront à se tourner vers d’autres ports environ six semaines avant la fin décembre s’ils estiment que les négociations ne progressent pas suffisamment », souligne Julia Kuzeljevich, directrice des affaires réglementaires de l’Association, dans un courriel.

L’Association des employeurs maritimes, c’est quoi ?

C’est l’employeur des débardeurs, qui chargent et déchargent les navires. L’Association négocie et administre les contrats de travail de ses membres à Montréal, Contrecœur, Trois-Rivières, Bécancour, Hamilton et Toronto.

La dernière grève au port de Montréal avait pris fin au printemps 2021 avec l’adoption d’une loi spéciale par Ottawa. Le 9 décembre 2022, l’arbitre André G. Lavoie avait décrété les modalités du contrat de travail des débardeurs, en renvoyant la balle aux deux parties. Des questions comme les horaires et la sécurité d’emploi – au cœur de l’impasse – doivent être réglées à la table des négociations, affirmait M. Lavoie.

C’est donc dans ce contexte que le SCFP et l’AEM doivent négocier. Le contexte économique fait également en sorte que les volumes affichaient un recul de 2,6 % à la fin de juillet. La baisse était beaucoup plus marquée du côté des conteneurs, avec un déclin de 13 %.

« La concurrence est de plus en plus intense, explique un gestionnaire maritime. À New York et au New Jersey, on a investi des milliards dans les infrastructures (approfondir l’accès aux quais et améliorer le réseau ferroviaire) pour améliorer la connectivité avec le Midwest. »

En entrevue, mercredi, le représentant syndical Michel Murray a laissé entendre que des conteneurs auraient déjà été détournés vers Halifax et Saint John « pour faire baisser le volume à Montréal ». Interrogé, il a reconnu ne pas avoir de preuves pour appuyer son « hypothèse ».

De la tension

Le syndicat est sorti déçu de sa première rencontre avec l’AEM, même si le ton a été « cordial », affirme M. Murray. Il reproche à l’Association de ne pas avoir déposé « ses demandes à incidence [financière] » – ce qui concerne des aspects comme le régime de retraite et les heures supplémentaires. Le SCFP en avait pourtant fait la demande en juin dernier, plaide-t-il.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Michel Murray, représentant syndical des débardeurs

« On a trouvé ça un peu cheap shot de [la] part [de l’employeur], dit M. Murray. Si tu veux négocier, il faut avoir le portrait en entier. C’est comme cela que c’est parti. »

Le son de cloche était différent du côté de l’AEM, qui s’est montrée « satisfaite de ce premier rendez-vous ».

« À ce stade-ci des négociations, c’est-à-dire la première rencontre, notre cahier de demandes est complet », a-t-elle indiqué.

L’Association affirme qu’elle ne commentera plus publiquement les pourparlers.

L’histoire jusqu’ici : Le conflit entre les débardeurs et l’AEM :

10 août 2020 : une grève générale illimitée est déclenchée.

21 août 2020 : une trêve de sept mois intervient.

26 avril 2021 : nouvelle grève générale illimitée.

30 avril 2021 : Ottawa force un retour au travail avec une loi spéciale.

9 décembre 2022 : un arbitre tranche sur une nouvelle convention collective.

En savoir plus
  • 150 000 $
    Salaire moyen d’un débardeur au port de Montréal en 2023.
    Association des employeurs maritimes
    18 %
    Hausse salariale sur cinq ans (rétroactive au 1er janvier 2019) obtenue par les débardeurs en décembre 2022
    LA PRESSE