Face à la hausse des prix, les gens sont nombreux à se tourner vers une formule petit-déjeuner, au détriment des autres restaurants

Les prix augmentent partout, et les menus des restaurants n’y échappent pas. Des clients, ayant du mal à digérer ces factures salées, commencent à déserter les salles à manger, constatent certains restaurateurs, qui appréhendent l’automne à venir.

Dans ce contexte, des établissements à déjeuner font pour leur part le plein de clients. Certains semblent en effet avoir décidé de troquer le souper au restaurant pour un repas de style « deux œufs bacon », souvent moins cher.

« On se demande toujours jusqu’à quel point on peut étirer l’élastique », reconnaît Martin Vézina, vice-président, affaires publiques, à l’Association Restauration Québec (ARQ).

Selon lui, les restaurateurs ont les mains liées en ce moment. « Si on augmente trop nos prix, les clients ne viendront pas. Si on n’augmente pas les salaires, on n’aura pas de personnel. Comment on peut faire ça ? », questionne-t-il.

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Succursale d’un restaurant St-Hubert, à Montréal

« C’est difficile à quantifier précisément. Mais oui, on peut dire qu’on voit une différence sur la fréquentation de la clientèle », ajoute pour sa part Richard Scofield, président et chef de la direction du Groupe St-Hubert.

« Oui, ça nous préoccupe, ajoute-t-il. On entend ce que les gens disent [à propos des prix]. »

De 22 $ à 28 $ en quatre ans

Et les consommateurs n’ont pas rêvé. Manger au restaurant coûte plus cher qu’avant. En 2022, 47,4 % des restaurateurs ont augmenté les prix sur leur menu d’au moins 6 % à 10 %. Cette année, plus de la moitié (56,8 %) ont l’intention de les hausser de 6 % à 10 %, selon les données recueillies par l’ARQ. À titre d’exemple, la salade thaïe au bœuf grillé servie dans les restaurants ZIBO ! coûtait 22 $ en 2019, pour passer à 27 $ l’an dernier. Et aujourd’hui, les clients qui la commandent doivent débourser 28 $. À La Cage–Brasserie sportive, le burger signature (Blitz burger) est passé de 16,75 $ (novembre 2018) à 19,75 $ l’an dernier pour finalement être affiché sur le menu à 20 $ cette année. Pour ajouter du poids à la facture, dans plusieurs restaurants, le prix d’un verre de vin surpasse celui d’une bouteille achetée à la SAQ.

Bien que ces augmentations soient justifiées, selon les restaurateurs, en raison de l’augmentation du prix des denrées et des salaires, certains consommateurs ont tout simplement fait le choix de manger à la maison au lieu de se payer un repas à l’extérieur.

« Il y a des gens qui arrêtent d’aller au restaurant et c’est inquiétant », confirme M. Scofield.

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Richard Scofield, président et chef de la direction du Groupe St-Hubert

Chaque mois, il y a des gens qui renouvellent leur hypothèque. Ils sont pris avec des gros taux. Chaque mois, il y aura de plus en plus de gens qui vont se mettre à réévaluer leur rythme de vie.

Richard Scofield, président et chef de la direction du Groupe St-Hubert

Avec un achalandage plutôt stable depuis la dernière année – qui n’est toutefois jamais revenu à des niveaux prépandémiques –, Benjamin Chèvrefils, vice-président et directeur général du Groupe ZIBO !, s’attend à l’inévitable : le nombre de clients s’attablant dans les restaurants ZIBO ! et Vertigo – deux enseignes gérées par le groupe – va diminuer au cours des prochains mois.

« C’est sûr que ça va tendre vers ça. Ça va arriver éventuellement. Ç’a toujours été la crainte, admet-il. Aller au restaurant, ce n’est pas une dépense essentielle. »

« On s’entend aussi que personne ne va redescendre ses prix, dit-il. Le danger quand on monte constamment, c’est qu’on devient de moins en moins compétitif. »

Il n’y a pas que les chaînes qui remarquent une diminution de l’affluence. Sur la Plaza St-Hubert, à Montréal, le propriétaire du Beaufort Bistro, Jean-François Girard, établit « clairement » un lien entre l’augmentation de la facture et la désertion des clients. Depuis deux ans, les prix sur son menu ont augmenté entre 10 % et 20 %. Parallèlement, il a noté une baisse de l’achalandage, amorcée à la fin de l’hiver dernier. « Les fournisseurs m’en ont aussi parlé. Ils voient une différence dans leurs ventes », souligne-t-il.

Deux œufs au lieu d’un plat de viande

En contrepartie, en raison du contexte, certains restaurateurs qui servent des déjeuners font le plein de clients. C’est le cas de François Roy, propriétaire du restaurant Matinée, à Saint-Jean-sur-Richelieu.

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François Roy, propriétaire du restaurant Matinée

Nos clients nous disent que c’est devenu trop cher, une facture moyenne au restaurant pour souper. Résultat, on a de plus en plus de groupes qui viennent pour des anniversaires. Ils viennent déjeuner parce que c’est moins cher.

François Roy, propriétaire du restaurant Matinée

Il ajoute dans la foulée que son restaurant est souvent « plein à craquer », même les matins de début de semaine.

Bien qu’il soit lui-même dans le milieu, M. Roy confie que « les deux bras lui sont tombés » en recevant l’addition à la fin de son plus récent souper au restaurant. « C’était très cher. »

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Cuisine du restaurant Matinée, à Saint-Jean-sur-Richelieu

Son secret pour conserver et attirer de nouveaux clients : « On a augmenté les prix une seule fois depuis la COVID et seulement sur les assiettes de luxe comme les crêpes et les gaufres. Mes deux œufs tournés bacon, je les ai laissés au même prix. »

Des fermetures à prévoir ?

Selon François Roy, plusieurs restaurateurs risquent malheureusement de jeter l’éponge au cours de la prochaine année. L’automne à venir pourrait être difficile pour plusieurs d’entre eux, croit également Martin Vézina, de l’ARQ.

Selon les données compilées par le Bureau du surintendant des faillites, 262 restaurants ont fermé en 2022, au Québec. Cette année, entre janvier et juillet, 178 ont déclaré faillite. On craint que plusieurs autres viennent gonfler ce chiffre.

En plus des clients qui pourraient être moins nombreux, les restaurateurs qui ont reçu de l’aide du gouvernement fédéral dans le cadre du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC) ont jusqu’au 31 décembre pour payer les deux tiers du prêt, s’ils veulent obtenir un pardon. Au-delà de cette date, ils auront deux ans pour rembourser la totalité de la somme, avec intérêts.

« En plus de leurs frais d’exploitation, ils devront rembourser leur prêt, souligne M. Vézina. Ça, c’est une grosse inquiétude. On pense qu’il y en a qui ne survivront pas. »