Deux jeunes entreprises québécoises conjuguent leurs efforts pour capturer et séquestrer le CO2

Deep Sky, une jeune entreprise montréalaise qui s’intéresse à la capture du carbone à grande échelle, et Exterra Solutions Carbone, une société qui a mis au point un système novateur de séquestration du dioxyde de carbone, collaborent dans un projet qui pourrait changer la donne environnementale au pays.

L’une capture le CO2, l’autre le séquestre – chasseur de primes et shérif du carbone.

« Deep Sky cherchait une technologie de séquestration et nous, on cherchait un fournisseur de CO2. Ç’a été une très bonne rencontre ! », formule Olivier Dufresne, président d’Exterra.

Elles joignent leurs efforts pour la mise sur pied d’une installation pilote qui utilisera des résidus miniers pour éliminer le CO2 – une technologie mise au point par Exterra.

L’installation, qui devrait être achevée au deuxième trimestre 2024, séquestrera jusqu’à 1000 tonnes de CO2 par an et validera la solution d’élimination du carbone mise au point par Exterra. Elle sera vraisemblablement construite à Thetford Mines.

Un projet ambitieux pour deux entreprises qui ne comptent pas deux ans d’âge.

La jeune Deep Sky

Deep Sky a été fondée en septembre 2022 par Joost Ouwerkerk et Fred Lalonde, cofondateurs de l’application de produits de voyage Hopper, et Laurence Tosi, associé directeur chez la firme d’investissement WestCap.

« On est des gens qui ne connaissent rien au climat, rien », reconnaît Fred Lalonde, toujours président de Hopper. Sensible à l’environnement, il avait instauré en 2019 un programme de plantation d’arbres pour compenser les émissions de gaz à effet de serre (GES) de sa clientèle.

On s’est dit, il faut absolument commencer à développer une infrastructure pour retirer le CO2 de l’atmosphère.

Fred Lalonde, cofondateur de Deep Sky

Notamment financée par Investissement Québec, Deep Sky a pour vocation de fédérer et de mettre à l’ouvrage les meilleures technologies de capture et de séquestration de carbone. L’entreprise ne compte encore qu’une poignée d’employés, mais veut attirer dans son orbite de plus en plus d’experts. Le 3 août, elle a annoncé l’embauche du scientifique Phil de Luna à titre de directeur des technologies du carbone et de directeur de l’ingénierie.

Deep Sky veut devenir la première entreprise de séquestration de carbone de la planète à travailler à l’échelle de la gigatonne – un milliard de tonnes, pas moins.

« Depuis le mois de novembre, peu importe où sur la Terre, s’il y a quelqu’un qui développe une technologie pour capturer ou séquestrer le CO2, on y va, indique Fred Lalonde. On se présente et dans la plupart des cas, on achète des licences ou la capacité. »

L’entreprise a acheté toute la capacité d’enfouissement d’Exterra pour la prochaine année. « Ce sont des gens qui, au lieu d’écrire un énième papier théorique, ont trouvé un hangar, puis ont commencé à écraser de la roche pour voir si ça marchait », apprécie-t-il.

Et la jeune Exterra

Exterra Solutions Carbone est à peine plus âgée : elle a été fondée en décembre 2021 par David Fennell et Olivier Dufresne. Ingénieur minier de formation, Olivier Dufresne est né à Rouyn-Noranda.

PHOTO FOURNIE PAR EXTERRA SOLUTIONS CARBONE

David Fennell et Olivier Dufresne, fondateurs d’Exterra Solutions Carbone

Depuis mon plus jeune âge, je veux changer un peu la face de cette industrie. Avec les problèmes de réchauffement climatique, j’ai voulu combiner les deux : comment on pourrait utiliser les mines et la chaîne de valeur des minéraux pour non pas détruire l’environnement, mais bien le régénérer.

Olivier Dufresne, cofondateur d’Exterra Solutions Carbone

« On a réalisé que la carbonatation naturelle des roches qui réagissent avec le CO2 dans l’atmosphère est une réaction qui est très lente, mais qu’on pourrait très bien la faire rapidement avec des procédés qui existent déjà aujourd’hui, poursuit-il. On s’est lancés dans cette mission. »

Exterra prévoit mettre à profit les résidus miniers de la région de Thetford Mines et de Val-des-Sources, constitués en partie de serpentine.

PHOTO FOURNIE PAR EXTERRA SOLUTIONS CARBONE

Un fragment de serpentine. La partie qui affleurait à l’air libre s’est couverte de carbonate avec les années. « La minéralisation complète de la roche en milieu naturel prendrait des milliers d’années. Notre procédé unique en instance de brevet, grâce à l’intégration de nouvelles technologies, permet de produire ces carbonates en quelques heures seulement », explique Olivier Dufresne.

« On vient extraire le magnésium ou le calcium de cette roche et on le dissout dans l’eau, décrit-il. On enlève ensuite les solides et on vient introduire du CO2 dans cette solution. »

À la sortie de ce réacteur, le CO2 est amalgamé sous forme de carbonate. Cette poudre blanchâtre peut ensuite être enfouie dans les puits de mine désaffectés.

Le procédé offre aussi des avantages collatéraux.

« Avec notre procédé, on vient détruire à 100 % les fibres d’amiante », informe Olivier Dufresne. De surcroît, « on travaille en ce moment sur l’intégration de la production d’un concentré de nickel qu’on va pouvoir extraire de ces résidus ».

Fred Lalonde compare le procédé aux projets islandais d’injection de CO2 dans le sol volcanique. « Au lieu d’amener le CO2 à la roche volcanique, on amène la roche volcanique au CO2 », formule-t-il.

« Ce qui est magique avec ça, c’est que pour une tonne de roches volcaniques, on capture un petit peu moins qu’une tonne de CO2. Ce qui est moins magique, c’est le coût, concède M. Lalonde. C’est beaucoup plus cher parce qu’on déménage des roches et on les broie plutôt que d’injecter. Mais l’avantage immense, c’est qu’Exterra a déjà tous les permis. Alors qu’aucun puits d’injection n’a encore été approuvé au Canada ou au Québec, ce procédé-là est disponible dès maintenant. »

D’où certaines ambitions.

De profonds débouchés

Déjà testée en laboratoire, la technologie d’Exterra sera éprouvée au début de 2024 au Carrefour d’innovation sur les matériaux de la MRC des Sources (CIMMS) à raison de 100 tonnes par an, avec du CO2 capturé dans une usine d’éthanol.

La deuxième phase de validation fait l’objet de l’entente avec Deep Sky, qui fournira les 1000 tonnes de CO2 qui seront traitées dans l’usine aménagée l’été prochain.

« Cette usine de démonstration sera ensuite transformée en centre de R et D où nous pourrons recevoir différents types de résidus minéraux comme des résidus de mine de nickel, des scories d’acier, etc., pour optimiser les paramètres opérationnels, ce qui permettra l’utilisation de notre technologie dans d’autres sites », informe Olivier Dufresne.

« On voit notre technologie être utilisée dans tous les sites où il y a de la production de résidus miniers. Au Québec, par exemple, on a 2 milliards de tonnes de résidus miniers qui sont du type à recevoir du CO2, ce qui nous donnerait plus de 625 millions de tonnes de capacité de stockage de carbone. »

Ambitions mondiales

Deep Sky a elle aussi de vastes ambitions.

« À plus long terme, la vision, c’est d’exporter partout dans le monde », déclare Fred Lalonde.

Deep Sky a annoncé en juillet une entente avec la start-up californienne Captura pour la création d’une station de capture de carbone océanique dans l’est du Québec.

Un autre site se consacrerait à la capture du CO2 dans l’atmosphère.

On n’est pas dans une logique d’échelle, on va faire quelques milliers de tonnes par année, mais le but est d’arriver à opérationnaliser tout ça, d’avoir des données sur la fiabilité, les coûts d’opération.

Fred Lalonde, cofondateur de Deep Sky

Dans une organisation intégrée de bout en bout, il espère à terme capturer et séquestrer quelque 250 000 tonnes de CO2 par année dans une usine qui nécessiterait un investissement de 300 à 500 millions.

« Ça ferait du Québec la capitale mondiale du retrait de CO2, dit-il. On a déjà complété le financement pour la première phase. Ça va être au moins 50 millions. »

Il voit grand, indéniablement.

« Au Québec, on a la géologie. On a des surplus hydroélectriques, malgré ce qu’on a entendu dans les médias. On a un potentiel éolien et on est voisin de l’Ontario, qui a un surplus nucléaire énorme. On est quand même relativement proche de l’Alberta où on pourrait séquestrer à grande échelle, dans les mille milliards de tonnes. Le Canada est en fait l’Arabie saoudite de la séquestration de CO2. »

Aujourd’hui Thetford Mines, demain le monde.