D’un point de vue économique, 2023 s’annonce comme la première année « normale » – sans confinement notamment – depuis 2019. Quatre ans plus tard, quelle est la nouvelle normalité ? Nos journalistes se penchent sur cette question, sous différents angles. Cette semaine : les pénuries.

Avant la COVID-19, il n’était jamais venu à l’esprit des détaillants qu’ils devraient un jour composer avec une pénurie de bois, de vélos ou de skis de fond. Et c’est pourtant ce scénario qu’ils ont vécu pendant la pandémie. Près de quatre ans plus tard, après le règne des tablettes vides, les magasins regorgent à nouveau de marchandises.

Si on ne manque plus de stocks en magasin et que la chaîne d’approvisionnement semble de nouveau bien « huilée », ce sont le besoin criant de main-d’œuvre ainsi que l’inquiétude des consommateurs face à l’inflation qui différencient l’année en cours de la période prépandémique.

La fin des pénuries

À bien des égards, 2023 marque un réel retour à la normalité dans les magasins. L’année se compare à 2019, selon les détaillants interrogés par La Presse.

Pénurie de charbon pour le barbecue, des vélos que les employés de magasin n’ont pas le temps d’assembler en raison de l’impatience des clients pressés d’aller rouler, des sacs de farine qui disparaissent des rangées d’épicerie en quelques secondes, les pénuries qui ont marqué la pandémie... et l’imagination des consommateurs semblent appartenir au passé.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Cédric Morisset, président de La Cordée

« On est pratiquement de retour à la vie normale, observe Cédric Morisset, président de La Cordée. Le boom du plein air est un peu derrière nous. Il n’y a plus juste ça à faire. Les autres activités comme les tournois de soccer et le voyage à Walt Disney ont repris comme en 2019. »

« Il n’y a plus de délais ni de ruptures de stocks », confirme de son côté Richard Darveau, président de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT).

Ainsi, la chaîne d’approvisionnement, victime de nombreux soubresauts, est de nouveau bien huilée, selon Paul-André Goulet, propriétaire de 10 magasins Sports Experts. Les sandales sont arrivées à temps pour l’été et déjà, M. Goulet reçoit sa marchandise en prévision de la rentrée scolaire.

Les ventes ont également atteint celles enregistrées en 2019 et même plus, assure-t-on du côté de Sports Experts, mais également chez Chaussures Pop et Go Sport.

Selon les chiffres fournis par l’AQMAT, le chiffre d’affaires des quincailleries pour le printemps dernier est comparable à la même période en 2019. Entre les deux, les ventes des marchands ont évidemment fait un bond spectaculaire, puisque la pandémie a créé un engouement pour les rénovations et les aménagements extérieurs. Les bénéfices sont toutefois moindres cette année qu’il y a quatre ans, note Richard Darveau. « Les marges sont réduites en raison du coût plus élevé des marchandises et des salaires et avantages sociaux relevés de 20 %. »

Le vélo, toujours la folie ?

Pendant la pandémie, nombreux sont ceux qui ont fui la morosité ambiante en enfourchant leur vélo. La hausse des ventes et la difficulté d’en trouver à partir de 2020 en sont la preuve. Or, cet engouement s’est-il maintenant essoufflé ? Est-on revenu à des niveaux de vente équivalents à 2019 ? Difficile à dire. Cédric Morisset, de La Cordée, voit davantage une augmentation de la demande pour les accessoires entourant la pratique du vélo. « Nos pièces et accessoires sont en grande demande. Le casque est cassé, il y a une pédale de brisée. »

Paul-André Goulet souligne pour sa part que l’engouement pour les véhicules à deux roues est plus grand qu’en 2019, mais moins intense que pendant la pandémie.

L’inflation

Par contre, une nouvelle venue s’est ajoutée dans le paysage cette année : l’inflation. Résultat, les consommateurs sont encore plus prudents qu’ils ne l’étaient auparavant, en 2019.

Actuellement, on sent qu’avec les taux d’intérêt qui ont monté, les gens font un peu moins de dépenses. Les gens se tournent plus vers nos marques maison que vers les grandes marques.

Claudie Laroche, directrice du marketing de Chaussures Pop et Go Sport

« Maintenant, les gens sont plus soucieux, ajoute également Paul-André Goulet. J’ai hâte de voir les ventes de ski alpin. Et qu’est-ce qui va arriver avec la petite fin de semaine à Tremblant qui coûte 2000 $ avec les billets et l’hôtel », illustre-t-il.

« On sous-estime beaucoup l’impact des paiements d’hypothèque. On sent une influence sur le comportement des clients en magasin. »

Et cette prudence est également palpable au supermarché. « Je transformais plus de lait en 2019. On a atteint le point de rupture en matière de prix. Les gens se tournent vers des fromages moins chers », affirme Luc Boivin, directeur général de la Fromagerie Boivin.

La pénurie de main-d’œuvre

S’il n’y a plus de tablettes vides, la pénurie d’employés, elle, se fait sentir directement sur le plancher. Bien que le phénomène n’ait pas pris naissance pendant la pandémie, le manque de main-d’œuvre est beaucoup plus criant cette année qu’en 2019.

« On dirait qu’en 2019, on ne la voyait pas encore, même si elle se pointait le bout du nez, reconnaît Claudie Laroche. On avait peut-être la tête dans le sable en 2019, on ne la voyait pas tant que ça, mais là on est en plein dedans. Dans les magasins, c’est très difficile. Les propriétaires sont à bout de souffle. »

« C’était moins pire en 2019, soutient également Luc Boivin. On avait beaucoup de monde qui était admissible à leur retraite, mais qui ne la prenait pas. Mais il y a eu la pandémie, les gens ont appris à arrêter et ils y ont pris goût. On a donc perdu plusieurs bons employés. »

800 000 $

C’est le coût de transport que prévoit payer la Fromagerie Boivin d’ici la fin de l’année afin d’acheminer son fromage vers le Centre-du-Québec et Montréal, soit près du double que ce que l’entreprise déboursait en 2019.

10 %-25 %

Le prix des sacs de 200 grammes de fromage en grains de la Fromagerie Boivin vendus en épicerie a augmenté de 10 % à 25 % entre 2019 et 2023.