Les ventes de fleurs coupées progressent chaque année au Canada. Mais souvent, les fleurs parcourent jusqu’à 10 000 kilomètres avant de se retrouver sur la table de votre salon. Pourtant, de nombreuses cultures existent au pays.

L’Île-du-Prince-Édouard moins loin que l’Équateur

« Chaque année, on cultive plus de 10 millions de tulipes. Quand on prend notre rythme de croisière, on arrive à planter jusqu’à 250 000 tulipes à la main chaque jour », déclare avec fierté Ann Carrière, responsable du développement des affaires de Vanco Flowers Ltd. L’entreprise se trouve à l’Île-du-Prince-Édouard. Ann Carrière vit à Montréal. Elle connaît bien l’entreprise qu’elle a vu grandir au cours de la dernière décennie.

L’entreprise se situe à 20 minutes de voiture à l’est de Charlottetown, capitale de l’île, autrefois appelée « le jardin du golfe ». Initialement productrice de pommes de terre, Vanco Farms a lancé la culture de tulipes en 2006, avec Vanco Flowers.

Tout est cultivé dans des serres gigantesques, de presque 90 000 pieds carrés. Les bulbes sont plantés puis entreposés au froid pendant six semaines pour simuler l’hiver. On les sort ensuite pour les mettre en serre afin de reproduire le printemps et déclencher la pousse. Les centaines de rangées de fleurs sont complètement automatisées, pour les déplacer à tour de rôle, afin d’être coupées à la main. Les tulipes de Vanco Flowers sont vendues au Québec, en Ontario et même dans le nord des États-Unis, et transportées grâce à un parc de camions géré par l’entreprise elle-même.

PHOTO MAÏTÉ BELMIR, COLLABORATION SPÉCIALE

Les cultures de fleurs sont souvent faites en serre. Ici, chez Vanco Farms.

Vanco Flowers a développé un savoir-faire qui lui permet de pallier les enjeux climatiques de la région. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles Bastiaan Arendse, copropriétaire de l’entreprise, est arrivé des Pays-Bas pour apporter son expertise. L’homme est créatif et regorge de nouvelles idées pour développer l’entreprise, comme de cultiver de la paille pour chauffer les serres, ce qui permet à l’entreprise d’être autosuffisante énergétiquement.

Pourtant, en dépit de l’exemple de réussite de Vanco Flowers, l’Île-du-Prince-Édouard n’a pas d’aide consacrée pour soutenir cette industrie, indique Vicky Tse, responsable des communications au ministère du Développement économique, de l’Innovation et du Commerce de l’Île-du-Prince-Édouard.

De la ferme aux grossistes

C’est dans une zone industrielle de Saint-Laurent que se situe l’entreprise FleuraMetz. Il s’agit d’un des neuf grossistes en fleurs au Québec, qui ont pour mission de commander les fleurs, pour ensuite les vendre auprès de 700 fleuristes de la province. Derrière les murs du bâtiment se trouvent les réfrigérateurs où sont conservées les fleurs, des zones de chargement pour les camions et les bureaux administratifs.

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Alex Léveillé, directeur commercial de FleuraMetz

On ne vend pas de fleurs cultivées au Québec. C’est une de nos lacunes. La majorité des fleurs cultivées au Canada ont poussé en Ontario. Cela représente environ 6 % de nos ventes.

Alex Léveillé, directeur commercial de FleuraMetz

L’entreprise est d’ailleurs un des distributeurs des tulipes de Vanco Flowers.

Quelque 30 % des fleurs vendues à FleuraMetz sont importées d’Équateur, explique Alex Léveillé, installé dans une grande salle de réunion qui lui sert de bureau. Au Canada, les importations de fleurs de Colombie et d’Équateur cumulées représentent 70 % des fleurs importées, lesquelles représentent elles-mêmes plus des trois quarts des fleurs vendues. Pour arriver jusqu’au pays, les fleurs sont transportées dans des avions réfrigérés jusqu’à Miami, en Floride. Ensuite, ce sont des camions, eux aussi réfrigérés, qui vont traverser les États-Unis et une partie du pays pour arriver jusqu’aux grossistes du Québec et de l’Ontario.

Avec des exemples de culture en serre à grande échelle dans le pays, on peut imaginer les occasions de développement économique.

Du local aussi pour les fleurs

La région de Niagara, en Ontario, est connue pour sa route des vins, mais on y trouve aussi beaucoup de fermes, dont des cultures de fleurs. Palatine Fruit & Roses cultivait des fruits avant de se lancer dans la culture de roses en champ, au début des années 2000.

Eva Schmitz est la copropriétaire de Palatine Fruit & Roses. Au cours de l’entrevue, elle porte un chandail avec le logo de l’entreprise, et elle a les mains d’une personne qui travaille la terre.

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Eva Schmitz, copropriétaire de Palatine Fruit & Roses

Je suis allée en Allemagne plusieurs fois pour comprendre comment fonctionne la culture de roses en champ. C’était un long apprentissage, mais aujourd’hui nous avons des variétés qui se sont adaptées au climat et à la région.

Eva Schmitz, copropriétaire de Palatine Fruit & Roses

Selon Statistique Canada, l’Ontario était le plus grand cultivateur et plus important vendeur de fleurs coupées au pays en 2022.

Consultez le site de Statistique Canada

La ferme d’Eva Schmitz est une des seules à cultiver des roses dans la région de Niagara. Mais la rose est directement en concurrence avec les pays du Sud : « Même si l’on ne sent pas la concurrence à la boutique, on s’en rend vraiment compte lorsque l’on va aux enchères. Les fleurs qui viennent de l’étranger sont un vrai problème. Les gens de Niagara se déplacent à la ferme, mais pour les habitants de Toronto par exemple, c’est plus complexe. Ils font avec ce qu’ils trouvent à proximité de chez eux. »

Malgré les obstacles que le marché rencontre, Eva Schmitz est fière d’avoir réussi à cultiver des roses dans sa région : « Peu importe qui travaille à la ferme, ou quels clients viennent en acheter, toutes les personnes ont le sourire. Les fleurs nous rendent heureuses et heureux. C’est vraiment une chance de travailler avec un produit comme celui-là. »

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Caroline Vouligny, propriétaire de la ferme Pivoine Capano, à Saint-Augustin-de-Desmaures, près de Québec.

Les fleurs coupées du Québec se professionnalisent

Le nombre de fermes florales a triplé en cinq ans au Québec. Dans la majorité des cas, il s’agit de petites entreprises artisanales. Pour autant, l’industrie s’organise et perfectionne son savoir-faire.

« On s’apprête à vivre notre deuxième saison. On sait davantage à quoi s’attendre, on est plus en contrôle et mieux préparés », s’exclame en souriant Caroline Vouligny, propriétaire de la ferme Pivoine Capano, à Saint-Augustin-de-Desmaures, près de Québec. Elle s’est lancée dans l’aventure et a racheté cette ferme en 2021.

La ferme qui se trouve le long du fleuve cultive exclusivement des pivoines. « C’est une fleur hâtive, on a besoin de beaucoup de variétés pour en offrir le plus longtemps possible. » Elle fait pousser plus de 200 variétés, sur un terrain de 1,5 hectare composé de 12 000 plants de pivoine. Au total, la récolte va durer six semaines. Un travail intense accompli dans une courte durée.

Les consommateurs se sont peut-être habitués à trouver des fleurs tout au long de l’année grâce à l’importation, mais Caroline Vouligny ne voit pas la saisonnalité comme une contrainte.

La saison des fraises du Québec, c’est au mois de juin. Le temps des sucres, c’est aussi une courte période. Je pense que ça ajoute quelque chose à l’excitation d’attendre le bon moment. Et on en profite pleinement.

Caroline Vouligny, propriétaire de la ferme Pivoine Capano

Pour elle, l’aspect éphémère d’une fleur locale est synonyme de découvrabilité : « Si on commence à s’intéresser vraiment aux fleurs de saison, on peut en découvrir plein de nouvelles variétés, plutôt que de s’accrocher à une fleur qu’on espère avoir le plus longtemps possible. »

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Les producteurs de fleurs coupées s’organisent ensemble pour accroître leurs marchés. Ici chez Vanco Farms.

Vers une organisation de l’industrie québécoise

Caroline Vouligny est claire : « Chaque ferme est unique, il n’y a pas un modèle de ferme de fleurs. » Récemment, l’entraide et la solidarité entre les fermes se sont développées. Avec le groupe Facebook Les Fermières-Fleuristes du Québec créé il y a quatre ans et qui compte près de 600 membres, les propriétaires de fleurs échangent, partagent leur réalité respective et s’entraident dans leur activité.

« Les producteurs de fleurs coupées sont en train de s’organiser pour mieux collaborer. Un des objectifs est de sensibiliser les fleuristes et des grossistes pour inciter à l’achat local », explique Caroline Martineau, conseillère régionale en agroenvironnement et horticulture ornementale au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ). Quand Caroline Martineau a commencé l’inventaire des fermes de fleurs au Québec il y a quelques années, il y en avait une quarantaine. Aujourd’hui, on compterait plus de 120 productions.

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Les producteurs qui démarrent peuvent profiter du soutien offert aux entreprises agricoles. Ici, un champ de pivoines de la ferme Pivoine Capano.

Le MAPAQ ne propose pas encore d’aide destinée aux fermes de fleurs coupées. Mais les producteurs qui démarrent peuvent profiter du soutien offert aux entreprises agricoles.

« Ce que je remarque, c’est que le milieu s’organise. Avant, chacun était dans ses petites affaires. Mais je pense qu’en se rassemblant, ça va faire plus parler des fleurs d’ici, les faire connaître aux gens », confie-t-elle d’un ton déterminé.

C’est d’ailleurs dans cette démarche qu’est organisée la troisième édition de la Semaine des fleurs cultivées au Québec partout dans la province, qui se termine le 16 juillet. Une belle occasion de valoriser les fleurs d’ici.

Consultez la page Facebook de la Semaine des fleurs cultivées au Québec

Vers une certification Fleurs du Québec

Le logo Aliments du Québec permet de facilement identifier les produits d’ici. Mais selon Caroline Martineau, le marché n’est pas encore assez à maturité pour une certification Fleurs du Québec : « Il faudrait créer un bureau de vérification. Cela engendre des coûts et un cahier des charges contraignant. »

L’identification des fleurs du Québec est aussi une des cinq recommandations proposées par Les producteurs en serre du Québec, dans un rapport publié en décembre 2022.

Consultez le rapport des Producteurs en serre du Québec

La représentante du MAPAQ concède toutefois qu’une valorisation des fleurs du Québec, comme cela est fait pour les fraises du Québec par exemple, est une idée à considérer. Quant à la certification, il faudra encore attendre.

Ce reportage a été rendu possible grâce à une bourse d’excellence de l’Association des journalistes indépendants du Québec.