Un compte à rebours préoccupant guette la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) en Inde. Azure Power Global, qui a reçu près de 600 millions du bas de laine des Québécois, s’approche d’une radiation en Bourse en plus d’échauder ses créanciers. Rien pour redonner de la vigueur à ce placement de l’institution québécoise qui a fondu comme neige au soleil.

L’histoire jusqu’ici

  • Août 2022
    Azure annonce le départ inattendu de son patron et de potentielles irrégularités internes. Son action s’effondre de 44 % à la Bourse de New York.
  • Janvier 2023
    On découvre de nouveaux squelettes dans le placard chez Azure. L’entreprise prévient qu’elle pourrait manquer d’argent pour financer ses ambitions. L’enquête interne se poursuit.
  • Mai 2023
    On ignore toujours l’ampleur des irrégularités internes, mais un nouveau patron et un responsable des finances sont nommés.

Le producteur indien d’énergie solaire – contrôlé par la Caisse avec sa participation de 53 % – est dans la tourmente depuis août dernier en raison d’allégations soulevées par un lanceur d’alerte à propos d’irrégularités et de pratiques douteuses. Les détails d’une enquête interne et les résultats passés au peigne fin par un vérificateur externe pour l’exercice terminé le 31 mars 2022 se font toujours attendre.

Grâce à un délai obtenu en février dernier, Azure doit déposer ces documents avant le 15 juillet. Il ne lui reste donc qu’une semaine. Autrement, la Bourse de New York aura le droit d’entreprendre des démarches pour radier l’entreprise. Ce scénario semble de plus en plus probable.

« Selon nous, le risque de radiation est très élevé, souligne la firme Lucror Analytics. Nous estimons que la compagnie dispose d’un accès très limité à des capitaux pour refinancer sa dette. »

Encore des risques

La tournure des évènements vient même d’inciter Fitch Ratings à faire passer la cote de crédit d’Azure de « BB- » à « B ». Cela signifie qu’il s’agit d’un investissement « hautement spéculatif » qui présente un risque de défaillance. Il s’agit d’une deuxième décote depuis le début de l’année. Pour l’agence de notation new-yorkaise, la direction du producteur solaire indien fait preuve d’une « incapacité chronique » à faire le point sur ses finances.

Pour Raphaël Duguay, professeur de comptabilité à l’Université Yale, tout cela soulève des questions sur le rôle d’exploitant de la CDPQ dans certaines entreprises – un virage qui s’est amorcé au sein du gestionnaire de régimes de retraite.

C’est un test pour la Caisse, dit-il. On voit qu’ils ont de la difficulté à mettre la maison en ordre. Ce qui se passe est inquiétant. Cela témoigne d’une inhabilité à faire la lumière sur ce qui se passe.

Raphaël Duguay, professeur de comptabilité à l’Université Yale

Au début du mois de mai, le président et chef de la direction de la Caisse, Charles Emond, avait suggéré que ce n’était qu’une question de semaines avant de voir l’entreprise indienne présenter son portrait financier pour l’exercice 2022. Deux mois plus tard, il est toujours attendu.

Lisez l’article « La Caisse joue avec le feu »

Une radiation de la Bourse de New York ferait davantage plonger le titre d’Azure, souligne M. Duguay. Depuis août dernier, l’action de la société, qui se négociait au-delà de 48 $ US à l’hiver 2021, s’est effondrée sur Wall Street. Vendredi, elle a clôturé à 1,68 $ US. Cela confère une valeur de 52,2 millions US (69 millions CAN) aux 34,25 millions d’actions de la Caisse.

Nouvelle tuile

Comme si cela ne suffisait pas, des créanciers qui détiennent pour plus de 750 millions US d’obligations ont retenu les services d’un cabinet d’avocats, Akin Gump Strauss Haur & Feld, parce qu’ils sont préoccupés. Une radiation boursière pourrait placer Azure en situation de défaillance auprès des détenteurs d’obligations. Ce scénario pourrait permettre à ces derniers de précipiter un remboursement des créances.

« Le comité a été formé pour discuter d’une solution équitable pour les investisseurs », a indiqué la firme, dans une déclaration envoyée par courriel à La Presse.

Selon Fitch, une radiation de la Bourse de New York pourrait être considérée comme une situation de défaillance si l’entreprise était incapable de présenter des états financiers audités dans les 60 jours après avoir reçu un avis des créanciers qui détiennent conjointement plus de 25 % des obligations en circulation.

« D’un coup, il faudrait que des centaines de millions de dollars soient remboursés, souligne M. Duguay. Peut-être que ces créanciers vont vouloir des garanties supplémentaires ou exiger d’autres choses. Ils pourraient vouloir devenir actionnaires, ce qui pourrait diluer la participation de la CDPQ. »

Même si 75 % des actions de l’entreprise sont contrôlées par la Caisse et le Régime de retraite des employés de l’Ontario (OMERS), l’institution québécoise a refusé, vendredi, de commenter les problèmes qui s’accumulent chez Azure puisqu’il s’agit d’une « société publique », affirme sa porte-parole, Kate Monfette.

Un nouveau chef de la direction doit entrer en poste à compter de lundi chez Azure.

En savoir plus
  • 22 %
    Participation du Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario (OMERS) dans Azure. L’institution est le deuxième actionnaire en importance.
    Source : OMERS