Le nombre des licenciements a doublé entre janvier et juin au Québec par rapport à l’an dernier, un signal que des entreprises se serrent la ceinture dans un contexte inflationniste et de montée des taux d’intérêt. Si le marché du travail demeure globalement stable, une trame de fond semble en train de s’installer.

Pas moins de 7380 personnes ont perdu leur gagne-pain ou appris qu’elles le perdraient bientôt, a constaté La Presse en compilant les données sur les avis de licenciements publiés mensuellement par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. C’est deux fois plus que les 3700 licenciements comptabilisés au cours de la même période en 2022.

« Il y a clairement des choses qui se passent, souligne l’économiste en chef du Mouvement Desjardins, Jimmy Jean. C’est clair que l’environnement est difficile pour les entreprises exposées, par exemple dans des secteurs sensibles aux taux d’intérêt. Ce n’est pas la même réalité partout. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Jimmy Jean est économiste en chef et stratège chez Desjardins.

À quatre reprises depuis le début de l’année, de mauvaises nouvelles ont été annoncées à au moins 1000 salariés au cours du même mois. Cela n’était pas arrivé en 2022. Un sommet (2045 personnes) a même été recensé en avril dernier, dans la foulée de l’annonce de la fermeture de l’usine de transformation des viandes d’Olymel à Vallée-Jonction en Beauce, qui mettra la clé sous la porte d’ici la fin de l’année. Quelque 1000 emplois seront perdus.

M. Jean s’est montré prudent dans ses commentaires. La cadence des licenciements ne se reflète pas encore dans les données sur l’emploi et l’échantillon ne concerne qu’un semestre, précise-t-il.

L’économiste en chef chez Desjardins reconnaît néanmoins que les constats de La Presse allument quelques voyants jaunes économiques.

Les intentions d’embauche s’affaiblissent chez les entreprises d’après la plus récente enquête de la Banque du Canada tandis que leurs finances se fragilisent. La preuve : en mai dernier, le nombre de dossiers d’insolvabilité des entreprises québécoises affichait une progression de 33 % sur un an.

« Cela pourrait être un facteur à l’origine d’une augmentation des licenciements », dit M. Jean.

En dépit du climat d’incertitude, le marché du travail fait preuve de résilience. En mai dernier, le taux de chômage était demeuré inchangé, à 4 %. Pendant le premier semestre, il ne s’est perdu que 5000 emplois dans la province lorsque l’on comptabilise les postes à temps plein et partiel. De plus, selon les plus récentes données de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), il y aurait quelque 196 500 postes vacants – un nombre élevé en dépit d’un recul de 12 % par rapport à l’an dernier. On aura le plus récent portrait sur le marché du travail ce vendredi, puisque Statistique Canada publiera les données de l’Enquête sur la population active pour le mois de juin.

Les compressions survenues aux quatre coins de la province ne sont pas encore assez importantes pour se refléter dans les données sur le chômage, souligne Alexandra Ducharme, économiste de la Banque Nationale.

« On voit que les personnes sont licenciées, mais probablement qu’elles se retrouvent du travail ailleurs, analyse-t-elle. C’est un marché de l’emploi encore serré, mais ce sont des données [les licenciements] qui témoignent d’une tendance. Elles sont intéressantes. On va commencer à les regarder. »

Contexte différent

Sur le terrain, l’humeur semble changer chez un nombre grandissant d’employeurs. Présidente et stratège en ressources humaines chez Équipe Drouin RH, Marie-Ève Drouin est bien placée pour le constater. Les petites et moyennes entreprises (PME) de moins de 60 employés représentent le gros de sa clientèle. L’inflation et l’économie ont détrôné la pénurie de main-d’œuvre chez bien des entrepreneurs, affirme la gestionnaire.

Depuis le début de l’année, Mme Drouin dit accompagner des clients qui doivent procéder à des réductions d’effectif, ce qui était plutôt rare ces dernières années.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE DROUIN RH

Marie-Ève Drouin est présidente et stratège en ressources humaines chez Équipe Drouin RH.

« En début d’année, les gens étaient très prudents parce qu’ils voyaient un ralentissement, mais se disaient : “ Moi, je ne veux pas être le premier à licencier des employés ”, explique-t-elle. Avec la hausse des taux d’intérêt [qui fait grimper les coûts d’emprunt], j’ai des entreprises qui disent : “ Au point où j’en suis, je n’ai plus le choix. ” »

Chez Altrum, une firme spécialisée dans les ressources humaines, la directrice Julie Lajoie ne s’est pas retrouvée dans cette situation. Elle a néanmoins observé des changements depuis le début de l’année. Le marché de l’emploi est toujours « serré », mais le bassin de candidats semble finalement s’élargir lorsque vient le temps de recruter, explique Mme Lajoie.

« On a eu accès à un peu plus de candidatures, souligne la directrice d’Altrum. C’est aussi un plus grand nombre de candidatures de qualité, qui correspondent aux exigences du poste. Je peux dire que l’on a constaté une amélioration dans les six derniers mois. »

Mme Lajoie est du même avis que l’économiste de la Banque Nationale. Pour le moment, les personnes qui perdent leur travail ne semblent pas rester au chômage bien longtemps. Reste maintenant à voir comment se déroulera la deuxième moitié de 2023. Personne n’a de boule de cristal pour le savoir, rappelle Mme Lajoie.

En savoir plus
  • 400
    Avec la fin des activités chez Medicago à Québec, près de 400 personnes ont perdu leur emploi depuis le début de l’année
    Source : ministère DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE
    3,9 %
    Creux record du taux de chômage dans la province. Il a été enregistré en janvier dernier ainsi qu’en novembre 2022.
    Source : INSTITUT DE LA STATISTIQUE DU QUÉBEC