À la traîne de Tesla et des Chinois, de nombreux constructeurs automobiles occidentaux contournent les fournisseurs traditionnels et engagent des milliards de dollars dans des contrats avec des sociétés d’extraction de lithium.

Portant casque et bottes d’acier, des patrons automobiles visitent des mines au Chili, en Argentine, au Québec et au Nevada pour sécuriser leur approvisionnement en lithium, métal clé de l’électrification.

Sans lithium, les constructeurs américains et européens ne pourront fabriquer les batteries des camionnettes, véhicules utilitaires sport (VUS) et berlines électriques nécessaires à leur survie. Les usines d’assemblage qu’ils construisent au Michigan, en Ontario, au Tennessee et en Europe s’arrêteront.

Pénurie de lithium

Les sociétés minières établies n’ont pas assez de lithium pour approvisionner la demande croissante. General Motors prévoit qu’elle produira seulement des véhicules électriques dès 2035. Selon Kelley Blue Book, les ventes trimestrielles de véhicules à batterie aux États-Unis ont augmenté de 45 % entre le 31 mars 2022 et le 31 mars 2023.

PHOTO BRITTANY GREESON, THE NEW YORK TIMES

Une camionnette F-150 Lightning tout électrique à l’assemblage à l’usine Ford de Dearborn, au Michigan

Alors, les constructeurs courent pour damer le pion aux autres et s’assurer un accès exclusif aux petites mines. Mais cette stratégie les expose aux risques et aléas cycliques de l’exploitation minière, parfois dans des pays instables qui protègent peu l’environnement. S’ils se trompent, ces constructeurs pourraient payer le lithium bien plus cher que sa valeur marchande dans quelques années.

Les dirigeants du secteur automobile disent qu’ils n’ont pas le choix : il n’y a pas assez de réserves fiables de lithium, nickel et cobalt pour faire les batteries des millions de véhicules électriques dont le monde a besoin.

Auparavant, les constructeurs automobiles laissaient les fabricants de batteries acheter eux-mêmes le lithium. Mais la pénurie oblige les constructeurs, qui ont les poches plus profondes, à acquérir directement ce métal essentiel et à l’envoyer aux usines de batteries, dont certaines appartiennent aux fournisseurs et d’autres, partiellement ou totalement, aux constructeurs.

On a vite vu qu’il n’existait pas de chaîne de valeur établie capable de soutenir nos ambitions pour les dix prochaines années.

Sham Kunjur, directeur des achats de matières premières liées à l’électrification chez GM

En 2022, GM a conclu un accord avec Livent, une société de Philadelphie, qui lui fournira du lithium provenant de mines d’Amérique du Sud. En janvier, GM a engagé 650 millions de dollars dans Lithium Americas, une société de Vancouver, pour développer la mine de Thacker Pass, au Nevada. GM l’a emporté sur 50 soumissionnaires, dont des fabricants de batteries et de composants, ont déclaré Sham Kunjur et des cadres de Lithium Americas.

Accord entre Ford et la québécoise Nemaska Lithium

Ford a conclu des accords sur le lithium avec la québécoise Nemaska Lithium, la chilienne SQM et l’américaine Albemarle.

« Ce sont des chefs de file mondiaux dans la production de lithium de haute qualité », a dit Lisa Drake, vice-présidente à l’industrialisation électrique chez Ford, à des investisseurs en mai dernier.

PHOTO MARCOS ZEGERS, THE NEW YORK TIMES

La mine et l’usine de lithium de la société SQM à Salar de Atacama, au Chili

Mais des dizaines d’entreprises ouvrent des mines ; en fin de compte, l’offre de lithium pourrait dépasser la demande. Si la production mondiale augmente plus vite que prévu, le prix du lithium pourrait s’effondrer. C’est déjà arrivé. Dans ce cas, les constructeurs auront payé bien trop cher.

Les dirigeants du secteur automobile préfèrent ce risque à celui de manquer de lithium durant cette période critique : leurs entreprises prendraient un retard impossible à rattraper.

Leurs craintes sont fondées. Dans les pays où l’électrification a été la plus rapide, les constructeurs établis ont perdu du terrain. En Chine, où près d’un tiers des nouvelles voitures sont électriques, Volkswagen, GM et Ford ont perdu des parts de marché au profit de rivaux chinois comme BYD, qui fabrique ses propres batteries. Tesla, qui a monté une chaîne d’approvisionnement en lithium au fil des ans, n’a cessé de gagner des parts de marché en Chine, en Europe et aux États-Unis. Tesla est aujourd’hui le deuxième vendeur de voitures neuves en Californie, après Toyota.

Le lithium est abondant, mais pas toujours facile à extraire.

De nombreux pays riches en lithium, comme la Bolivie, le Chili et l’Argentine, ont nationalisé leurs ressources naturelles ou imposé un contrôle des changes limitant les montants que peuvent retirer du pays les investisseurs étrangers. Même au Canada et aux États-Unis, ouvrir une mine peut prendre des années.

Obtenir du lithium et électrifier tout le secteur automobile américain sera difficile.

Eric Norris, président de la division lithium d’Albemarle, principal exploitant américain de lithium

Alors, les constructeurs envoient des représentants partout dans le monde, souvent dans des sites où la production n’a pas encore commencé.

PHOTO DAVID WALTER BANKS, THE NEW YORK TIMES

Gros plan sur une batterie au lithium-ion à l’usine de batteries Mercedes-Benz de Woodstock, en Alabama.

« Certains sont un peu désespérés », dit Amanda Hall, PDG de Summit Nanotech, une jeune pousse canadienne qui planche sur une technologie permettant d’extraire du lithium d’eaux souterraines salines. Les patrons automobiles « essaient de prendre de l’avance sur le problème ».

Dans leur empressement, les constructeurs signent des contrats avec de petites mines qui risquent de décevoir. « Il y a plein d’exemples de cas problèmes », a déclaré Shay Natarajan, partenaire de Mobility Impact Partners, un fonds d’investissement privé en transport durable. La surproduction pourrait faire s’effondrer le prix du lithium, ajoute-t-elle.

Les sociétés minières sont les grandes gagnantes. Leurs contrats avec les constructeurs automobiles leur assurent de gros profits et elles peuvent emprunter ou vendre des actions plus facilement.

Il y a quelques années à peine, le prix du lithium était bas et l’exploitation minière, à peine rentable. Mais aujourd’hui, avec la montée de l’auto électrique, les projets de mine poussent comme des champignons. La plupart sont aux premiers stades de développement et à des années de commencer à produire.

Jusqu’en 2021, « il n’y avait pas de capitaux ou des capitaux à très court terme », dit Ana Cabral-Gardner, codirectrice générale de Sigma Lithium, une société établie à Vancouver qui extrait du lithium au Brésil. « Personne n’envisageait un horizon de cinq ou dix ans. »

L’industrie automobile joue un rôle important en aidant les mines à démarrer, affirme Dirk Harbecke, PDG de Rock Tech Lithium, un futur fournisseur de Mercedes-Benz qui développe une mine en Ontario et une usine de traitement dans l’est de l’Allemagne.

« D’après moi, ce n’est pas une stratégie risquée, dit-il. Je pense que c’est une stratégie nécessaire. »

Cet article a été publié dans le New York Times.

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