La taxe québécoise sur les carburants, qui n’a pas bougé depuis 10 ans, doit être augmentée si l’État veut faire face au déficit d’entretien du réseau routier, au développement des transports en commun et respecter ses engagements climatiques.

Une telle mesure, aussi impopulaire soit-elle, est nécessaire si le gouvernement est cohérent avec ses obligations et ses engagements en matière environnementale, conclut une étude signée par Luc Godbout, Michaël Robert-Angers et Camille Lajoie, de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

« On est devant un mur, expliquent deux des auteurs, Luc Godbout et Michaël Robert-Angers, dans un entretien avec La Presse, en parlant des investissements qui devront être financés par le Fonds des réseaux de transport (FORT), dont les revenus sont insuffisants.

Le FORT est alimenté depuis 2010 par les revenus de la taxe sur le carburant, par les droits sur les permis de conduire et les immatriculations et par une partie des revenus de la vente de droits d’émission de gaz à effet de serre, selon le principe de l’utilisateur-payeur.

Or, les dépenses du FORT augmentent beaucoup plus vite que les revenus des taxes qui l’alimentent, et le gouvernement du Québec a indiqué dans son dernier budget que le fonds sera déficitaire au cours des cinq prochaines années. Le « trou » devrait atteindre 1,7 milliard en 2027-2028.

« Comme le gouvernement financera ces investissements de toute façon, il devra prendre l’argent ailleurs, à même les revenus de la taxe de vente par exemple, ce qui va à l’encontre du principe de l’utilisateur-payeur », analyse Luc Godbout.

Un rendement décroissant

Même si le prix de l’essence augmente, la valeur des recettes tirées de la taxe québécoise sur les carburants a diminué en proportion du prix de l’essence, de même qu’en proportion du produit intérieur brut, constate l’étude.

La taxe sur les carburants représentait 1 % du PIB québécois en 1981 et cette proportion n’était plus que de 0,42 % en 2022. L’étude fait le même constat au sujet de la taxe d’accise fédérale sur l’essence, qui n’a pas augmenté depuis 28 ans et dont l’importance est passée de 0,34 % du PIB à 0,19 % entre 1981 et 2022.

Selon les chercheurs, ces deux taxes spécifiques devraient au moins être indexées pour améliorer le signal de prix et pour être cohérentes avec les objectifs des gouvernements.

Plus élevé qu’ailleurs au Canada ?

La taxe québécoise sur les carburants est de 19,2 cents le litre, le niveau le plus élevé au Canada. D’autres taxes s’ajoutent, dont la taxe d’accise fédérale, la taxe carbone et les taxes de vente. Au total, les taxes comptent pour 36 % du prix hors taxes d’un litre d’essence au Québec. Le prix de l’essence à la pompe n’est pourtant pas le plus élevé au pays, précisent les chercheurs. En avril 2023, le litre d’essence coûtait plus cher qu’au Québec dans quatre provinces, soit la Colombie-Britannique, le Nouveau-Brunswick, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-et-Labrador.

Ailleurs dans le monde, les taxes spécifiques sur l’essence sont largement utilisées pour financer le transport routier, souligne l’étude. Les taxes spécifiques sur l’essence (fédérale et provinciale) au Québec sont parmi les plus faibles des pays de l’OCDE, à l’exception des États-Unis.

Vers une taxe sur le kilométrage

Il y a d’autres solutions pour financer le déficit du Fonds des réseaux de transport, selon les chercheurs. L’augmentation des droits d’immatriculation en est une, de même qu’un prélèvement additionnel sur les grosses cylindrées.

Éventuellement, une taxe sur le kilométrage devrait s’imposer, parce qu’il y aura moins de véhicules à essence et que les revenus de la taxe sur les carburants vont se tarir.

On en parle depuis longtemps, mais actuellement, le coût d’administration élevé est une entrave à l’imposition d’une taxe sur le kilométrage, selon Michaël Robert-Angers. « On espère qu’il y aura des avancées technologiques qui rendront la chose possible », dit-il.

D’ici là, le relèvement ou au moins l’indexation des taxes spécifiques sur l’essence est incontournable, selon le coauteur de l’étude et lui.

Un marché efficace

L’étude de la chaire en fiscalité et en finances publiques établit que les taxes de vente, qui rapportent plus quand le prix du pétrole brut monte, jouent un rôle mineur dans l’augmentation du prix à la pompe. Les variations du prix des carburants proviennent essentiellement du coût du pétrole brut, estiment les chercheurs.

Ainsi, lors de la flambée des prix en 2022, « des montants plus élevés de taxes à la consommation (TPS et TVQ) ont été prélevés relativement à cette hausse, mais ces prélèvements ont joué un rôle limité ».

De même, les raffineurs ne peuvent pas être montrés du doigt lorsque les prix à la pompe augmentent. « Malgré le nombre restreint de raffineries au Québec, ce marché est concurrentiel », souligne l’étude, qui précise que le coût du raffinage dans le prix du litre d’essence est resté stable entre janvier 2018 et février 2023, alors que les prix à la pompe ont beaucoup fluctué.

Consultez l’étude de l’Université de Sherbrooke