Un mardi sur deux, des experts en ressources humaines répondent à vos questions. Cette semaine, les conseils d’Alain Gosselin, professeur émérite à HEC Montréal.

On entend souvent parler du devoir de loyauté envers son employeur. Alors comment puis-je dénoncer le harcèlement de mon patron ou les pratiques douteuses de mon employeur sans risquer de perdre mon emploi ? – Normand

Nous avons reçu quelques questions touchant le dilemme entre le devoir de loyauté envers son employeur et le droit à la liberté d’expression afin de mettre en lumière des pratiques jugées inadéquates, même illégales, de la part de son patron (harcèlement, intimidation) ou de son organisation (inaction, non-transparence, fraude).

Tous sont indignés face à de telles situations. En même temps, ils ont l’impression de marcher sur des œufs en envisageant de dénoncer publiquement ce type de pratiques. Avec raison, ils craignent les retombées négatives sur leur carrière ou leur emploi. Il y a bien sûr une importante dimension légale à un geste aussi critique que la dénonciation publique en milieu de travail. N’étant pas avocat, je ne me risquerai pas dans cette voie.

Je vais plutôt prendre l’angle de l’opposition à l’autorité, l’acte de courage le plus fréquent en milieu de travail selon les travaux de Jim Detert⁠1. Il s’agit d’un concept plus large qui va d’actes moins engageants ou risqués comme exiger une justification valable à la suite d’un refus de promotion jusqu’à l’opposition ultime, soit la dénonciation publique propre aux lanceurs d’alerte.

Voici une série de suggestions qui, je l’espère, pourront s’avérer utiles en pareilles circonstances.

Avant de s’opposer à son patron ou à son employeur

Rappelons que légalement, tout employé se doit d’être loyal envers son employeur, c’est-à-dire agir avec fidélité, discrétion et bonne foi afin de ne pas lui porter préjudice. Toutefois, il se peut qu’une personne considère de son devoir de s’opposer à des situations intolérables et de défier son patron ou la direction de son organisation. Mais la ligne est mince. Tout est dans la manière de le faire, surtout à une époque où les réseaux sociaux facilitent l’improvisation, les injures et les propos diffamatoires.

Voici des conditions préalables à considérer avant de songer à vous opposer ouvertement et formellement à l’autorité, la prudence étant de mise.

  • Agir de bonne foi en mettant de l’avant la cause d’intérêt public qui pousse à agir. En d’autres mots, n’intervenez pas par esprit de vengeance ou par intérêt personnel.
  • Documenter ses assertions. Être en mesure de justifier l’exactitude de ce qui est avancé par des faits, des écrits, des chiffres à l’appui et se limiter à la situation problématique.
  • Privilégier une démarche progressive. Utiliser les actes à risques élevés comme la dénonciation publique de manière exceptionnelle et en dernier recours après avoir utilisé d’autres moyens à sa disposition (aller voir le patron de son patron, déposer un grief, faire une démarche auprès de l’ombudsman).
  • Agir de façon proportionnée à la situation problématique. Un enjeu marginal (par exemple, contester une mauvaise évaluation de performance) appelle une démarche personnalisée alors qu’un enjeu majeur (par exemple, des actes frauduleux) demande une approche formelle et publique.

Trouver le courage de s’opposer

Même après une préparation adéquate, il est difficile d’agir. Passer de l’indignation à l’opposition ouverte et formelle demande une force de caractère peu commune. Pour s’opposer, il faut d’abord briser les barrières de la peur, car courage et peur sont indissociables. C’est tellement plus facile d’endurer et de ne pas faire de vagues.

Il faut voir le courage comme un muscle qui peut se développer. Voici quelques suggestions pour se tenir debout selon ses convictions et valeurs face à ceux en autorité.

  • Accepter d’assumer ses responsabilités. Cela exige de reconnaître qu’il est temps de faire face au problème et de cesser de blâmer les autres.
  • Choisir ses batailles. Clarifier les causes importantes qui méritent un engagement formel et celles où il faut lâcher prise.
  • Rallier d’autres personnes à sa cause. Vérifier dans quelle mesure sa perception est partagée et mérite une action. Il se peut qu’il soit plus approprié de laisser d’autres porter le message. Certains ont peut-être plus de crédibilité ou sont en meilleure posture, étant moins exposés aux répercussions négatives possibles.
  • Choisir le bon moment. Toute action d’opposition comporte des risques. Reporter pour prendre le temps de bien se préparer et d’aller chercher des alliés n’est pas manquer de courage.
  • Dédramatiser la situation. Éviter les messages saboteurs dans votre discours interne afin de trouver la force et l’énergie de foncer. Imaginer ce qu’un autre pourrait faire dans les circonstances ou se rappeler la justesse de sa cause.
  • Avoir un plan B. Il est probable que tout geste d’opposition sera suivi d’une chaîne d’évènements plus ou moins contrôlables. Il importe donc d’explorer des scénarios (pas seulement négatifs) sur le « puis après ? ». Cela permettra de mieux ancrer sa décision.
  • Faire preuve de résilience. Être courageux, c’est accepter d’être confronté à l’adversité, puisque les risques sont bien réels. Il faudra éventuellement faire preuve de persévérance.

⁠1 Jim Detert, Choosing Courage, Harvard Business Review Press, 2021, 234 p.