Le Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada (STTRC) n’a pas manqué à son « devoir de représentation juste » envers Pascale Nadeau, conclut le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) dans une décision rendue mercredi dernier et que La Presse a pu consulter.

L’ex-cheffe d’antenne du Téléjournal reprochait au syndicat affilié à la FNCC-CSN d’avoir agi de « manière arbitraire » et de « mauvaise foi » dans la foulée de son départ tumultueux du réseau public à l’été 2021. Le Conseil rejette ces accusations.

Dans sa plainte, l’ancienne journaliste plaidait que son conseiller syndical, MJulien Boucher-Carrier, avait été de mauvais conseil et qu’il avait trop tardé à déposer un grief pour congédiement déguisé et atteinte à la réputation. Ledit grief a été enregistré au-delà du délai de prescription prévu par la convention collective. Mme Nadeau espérait que sa cause contre son employeur, grâce à une décision favorable du CCRI, puisse être entendue en arbitrage en dépit de son dépôt tardif. Il faudra maintenant d’autres arguments pour convaincre l’arbitre.

D’emblée, le Conseil a rejeté la plainte de l’ancienne tête d’affiche de Radio-Canada contre le STTRC « au motif qu’elle a été déposée à l’extérieur du délai de 90 jours prescrit ». Le tribunal quasi judiciaire a tout de même souhaité se prononcer sur le fond.

Au cœur du litige : un grief de « congédiement déguisé » que Mme Nadeau souhaitait déposer contre Radio-Canada, une demande formulée auprès de son syndicat le 16 mars 2021, les 7 et 8 juillet 2021 ainsi que le 24 août 2021. Ce n’est que le 25 août 2021 que le STTRC a amendé un grief existant pour y inscrire la question du « congédiement déguisé ».

Un tribunal d’arbitrage a conclu que ce motif aurait dû faire l’objet d’une plainte distincte. Un deuxième grief a donc été déposé le 16 février 2022, mais le délai de prescription de 30 jours inscrit à la convention collective était échu.

Selon Mme Nadeau, le syndicat a notamment erré « en refusant de faire une enquête sérieuse et des vérifications concernant la jurisprudence applicable afin de déterminer si elle était victime d’un congédiement déguisé ». Le STTRC a reconnu avoir commis une erreur à l’été 2021, tout en plaidant que celle-ci ne justifiait pas une plainte au CCRI.

De l’avis du Conseil, « le syndicat a démontré qu’il comprenait la situation de la plaignante, a obtenu les détails relatifs à l’affaire, a exprimé son interprétation du concept juridique de congédiement déguisé, a analysé à maintes reprises si le grief était bien fondé à la lumière de cette interprétation et était ouvert à ajuster sa décision si la plaignante apportait de nouveaux faits ».

« Ceci démontre que le syndicat a tiré des conclusions réfléchies », écrit l’autrice de la décision, Sylvie M. D. Guilbert, avocate et vice-présidente du CCRI.

Plainte pour diffamation

Retour en arrière. Le 17 février 2021, Pascale Nadeau a été suspendue sans solde pendant un mois à la suite d’une enquête interne déclenchée par une dénonciation anonyme pour « comportement déplacé ». Cette « sanction disciplinaire » a mené au dépôt d’un premier grief, le 25 février.

Le 5 août 2021, Radio-Canada a annoncé le « départ à la retraite » de sa cheffe d’antenne, alors en congé de maladie depuis plusieurs mois. Pascale Nadeau a soutenu avoir été poussée vers la sortie, ce qui a mené au dépôt d’un deuxième grief pour « congédiement déguisé ».

Mme Nadeau a aussi demandé à son syndicat, le 24 août 2021, de formuler une plainte contre son employeur pour diffamation et atteinte à la réputation en lien avec des déclarations publiques et des tweets qui mentionnaient que l’ex-cheffe d’antenne avait fait « plusieurs victimes ».

Dans un premier temps, l’avocat Julien Boucher-Carrier avait erronément soutenu que seule la Cour supérieure avait compétence pour trancher les affaires de réputation et de diffamation. Après que Mme Nadeau a sollicité l’avis d’un « avocat personnel », ces questions ont finalement été ajoutées au grief pour « congédiement déguisé » du 16 février 2022, au-delà du délai de prescription.

Dans sa décision, le Conseil rappelle que « le syndicat a le droit de faire des erreurs qui autrement sont dénuées de mauvaise foi ou de conduite arbitraire ».

« Dans le présent dossier, le Conseil est d’avis que le syndicat n’a pas fait une enquête bâclée ou superficielle sur la question d’atteinte à la réputation ou de diffamation, peut-on lire dans la décision. Au contraire, selon le Conseil, le syndicat a fait une analyse adéquate dans les circonstances du présent dossier. »

Les audiences sur le fond du premier grief, qui concerne la suspension, sont toujours en cours. Le deuxième grief doit aussi être évalué par un arbitre.

Jointe par La Presse, l’avocate de Pascale Nadeau dans ce dossier, Sophie Cloutier du cabinet Poudrier Bradet, se dit « déçue et très étonnée » de la décision du CCRI. « Mais pour nous, ça ne s’arrête pas là, explique-t-elle au téléphone. Mme Nadeau a très hâte que les griefs soient entendus par l’arbitre sur le fond. »

Le fait que sa cliente devra maintenant travailler au côté du syndicat – avec lequel elle était en confrontation – dans ces dossiers n’est-il pas… étrange ? « C’est la vie », laisse-t-elle tomber.

Résumé de la saga

  • Février 2021 : Pascale Nadeau est suspendue après une dénonciation anonyme pour « comportement déplacé ». Un premier grief est déposé par le Syndicat des travailleuses et travailleurs de Radio-Canada (STTRC).
  • Été 2021 : Radio-Canada annonce le départ à la retraite de Mme Nadeau après un long congé de maladie. L’ancienne cheffe d’antenne y voit un « congédiement déguisé ».
  • Février 2022 : Le syndicat dépose un second grief pour congédiement déguisé, atteinte à la réputation et diffamation après le délai de prescription.
  • Avril 2022 : Mme Nadeau porte plainte contre son syndicat, qui aurait failli à son devoir de « représentation juste ».
  • Juin 2023 : Le tribunal conclut que le STTRC n’a pas manqué à ses obligations.