Malgré une année où la prise de risque a été plus élevée et qui s’est soldée par une perte de 224 millions, la moitié des dirigeants les mieux payés chez Investissement Québec (IQ) gagnent plus de 1 million de dollars. La performance ne se mesure pas par le rendement, rétorque le président-directeur général de la société d’État, Guy LeBlanc.

Le bras financier de l’État québécois n’a pas été épargné par la volatilité et la détérioration des conditions économiques. Une augmentation des provisions pour pertes – une somme de 130 millions a été mise de côté – et une baisse de la valeur des placements ont fait en sorte que la société d’État a dégagé un rendement négatif de 4,8 % au terme de l’exercice terminé le 31 mars dernier.

« On ne mesure pas la performance d’IQ par son rendement, a affirmé M. LeBlanc, mardi, en visioconférence. Contrairement aux autres fonds d’investissement, on mesure notre performance essentiellement par le rôle que l’on joue dans l’économie et auprès des entreprises. »

La société d’État a surtout insisté sur l’aspect théorique de la perte de 224 millions. Il ne s’agit pas de la « performance définitive de la valeur des placements », ont fait valoir ses dirigeants. Ceux-ci ont aussi mis l’accent sur le rendement échelonné sur cinq ans, qui atteint 6,3 %. Cela dépasse le coût moyen des fonds propres qui est équivalent au taux d’emprunt du gouvernement (2,1 %), a fait remarquer M. LeBlanc.

Pendant l’année financière 2022-2023, IQ a réalisé 1293 interventions financières, soit 189 de moins par rapport à l’exercice précédent. Elles totalisent une valeur de 1,9 milliard, en recul comparativement aux 2 milliards comptabilisés en 2021-2022.

« Il a fallu être plus proactif dans le marché, explique M. LeBlanc. Avec le contexte, des entreprises ont dû reporter leurs projets. Il a fallu travailler deux fois plus fort pour les convaincre d’investir parce que certaines compagnies n’investissaient pas. »

Spéculatif

IQ prend aussi plus de risques lorsque vient le temps de prêter de l’argent. Environ 58 % du portefeuille de prêts était de « qualité moyenne ou faible » l’an dernier, comparativement à 46 % en 2021-2022. Il s’agit d’investissements qualifiés de spéculatifs – cote de crédit allant de B+ à CCC+ – par les grandes agences de notation comme Standard and Poor’s.

Interrogé, le grand patron d’IQ a répondu que 93 % des interventions de l’organisation sont effectuées auprès d’entreprises qui comptent moins de 200 salariés, en ajoutant que celles-ci n’étaient pas aussi bien cotées par rapport aux grandes entreprises.

« La taille des entreprises est un facteur, dit M. LeBlanc. Cela ne veut pas dire que ce n’est pas [le prêt] de qualité. »

Professeure de sciences comptables à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et spécialisée en gouvernance, Saidatou Dicko est en partie d’accord avec l’argument selon lequel la performance d’IQ dépasse les frontières de son rendement. Sans s’avancer sur l’aspect de la rémunération, elle souligne que le mandat consiste à « prendre des risques » à l’endroit d’entreprises n’ayant pas encore atteint leur « phase de rentabilité ».

« Cela pourrait amener des investissements un peu plus risqués et forcément un niveau de pertes plus élevé que les années précédentes dans un contexte économique plus instable », souligne-t-elle.

Nouvelle prime

Le dernier exercice marque également un tournant en matière de rémunération chez IQ avec le versement de primes à long terme, qui découlent de résultats enregistrés depuis 2019-2020. Cela a permis à trois des hauts dirigeants les mieux rémunérés de toucher une paye globale – qui tient compte du salaire de base, des primes et autres avantages – supérieure à 1 million.

Ensemble, les six principaux patrons ont eu droit à un traitement de 5,9 millions, en hausse de 23 % par rapport à l’exercice 2021-2022. M. LeBlanc a obtenu 1,06 million. Comment justifier ces émoluments à la lumière des résultats de la dernière année ? M. LeBlanc s’est tourné vers le plan stratégique 2020-2023 de l’organisation.

« Sur 18 indicateurs de performance, 12 ont été atteints ou dépassés, a-t-il dit. Les cibles que nous n’avons pas atteintes, c’est généralement par un faible écart. »

Le plan stratégique d’IQ ratisse cependant beaucoup plus large que l’aspect de la performance financière. On y recense par exemple des objectifs en matière du nombre de projets financés concernant la productivité et les ventes générées à l’international par des entreprises soutenues par IQ.

Signe que le thème de la rémunération est délicat, IQ avait tenu une séance de breffage technique sur la question avant de dévoiler ses résultats. À la lumière de la performance financière, les primes annuelles totaliseront moins que les 860 000 $ versés l’an dernier. Selon Marie Zakaïb, première vice-présidente, ressources humaines et communications internes, la somme pourrait être amputée de 50 %.

En savoir plus
  • 7,4 milliards
    Actif d’IQ au 31 mars, en hausse de 9 % sur un an
    source : investissement québec
    234 millions
    Frais d’administration en 2022-2023, en augmentation de 12 %
    source : investissement québeC