En un court laps de temps, les principaux commerçants du village estrien de Lawrenceville ont franchi le cap de la soixantaine et ont cherché en vain une relève. La communauté a multiplié les initiatives pour conserver ses commerces. Et son âme.

Où est la relève qui sauvera le village ?

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Avec une population vieillissante, le village de Lawrenceville s’inquiète de voir ses commerces disparaître les uns après les autres, faute d’une nouvelle génération de commerçants.

On ne peut pas le manquer. L’ancien magasin général de Lawrenceville est au centre du village, des préoccupations et des débats.

En toute honnêteté et au risque de peiner ses ardents défenseurs, il faut reconnaître que le bâtiment cubique de deux étages, paré de clins de plastique blanc, ne révèle que bien peu de son charme quasi bicentenaire aux yeux du voyageur qui le voit se dresser au bout de la route 243.

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L’ancien magasin général de Lawrenceville

Mais attention, comme tout ce qui concerne la petite localité estrienne de 640 habitants, nous parlons ici d’âme et de cœur. Il faut voir au-delà des apparences et du revêtement de PVC.

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Le village de l’Estrie a été fondé en 1836.

Population : 618 habitants

(2021, Statistique Canada)

« Ça a presque 170 ans. Les planchers en bois ne craquent pas, c’est solide comme c’est pas possible », constate Pierre-Emmanuel Tessier, un des plus chauds partisans de sa réfection, en parcourant l’étage.

L’édifice est en quelque sorte le symbole des défis du village.

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La rivière locale, connue à Lawrenceville sous les noms de rivière Noire ou rivière Rouge

Lawrenceville a été fondée en 1836 par la famille Lawrence, qui lui a donné son nom et sa première entreprise, une scierie stratégiquement située sur un renflement de la rivière locale, dont le toponyme est incertain. Google Maps l’a opportunément nommée rivière Trempe, tandis que l’usage local hésite entre rivière Noire et rivière Rouge. Erastus Lawrence a construit un magasin général vers 1850, un joli bâtiment aux doubles fenêtres cintrées, qui a perdu plusieurs de ses attributs d’origine au fil des agrandissements.

Son dernier propriétaire a définitivement fermé le commerce vers 2010, moins faute de clients que d’un acquéreur.

Ce n’était que la première d’une série de morts commerciales annoncées.

L’âge de la retraite

« On dirait qu’on a eu une vague où tous les propriétaires de commerce étaient rendus à l’âge de la retraite », observe Dominique Millette, qui nous guidera tout au long de cette journée.

Animatrice du mensuel local, Moulin Express, et membre du clan Millette, enraciné dans le village depuis 150 ans, c’est elle qui a invité La Presse à visiter son village.

« Je vous donne l’exemple du dépanneur, poursuit-elle. François était propriétaire depuis 1987. Il arrivait près de la soixantaine. Il avait aussi une boucherie. Ça faisait bien des heures et il voulait réduire. Il a mis son commerce en vente. Ce n’était pas évident de trouver quelqu’un pour un petit dépanneur dans un milieu comme le nôtre. Il y a eu un ou deux essais infructueux, et il a décidé de fermer. »

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Dominique Millette

La boulangerie du village avait elle aussi éteint définitivement ses fours début 2020. « Encore la même chose. Les patrons arrivaient dans la soixantaine », explique Dominique Millette. « C’est une vague. Le garage, c’est pareil. Serge a 65 ou 66 ans. Chez BMR, Gilles a 67 ans. Comment trouver de la relève pour faire les heures que ces hommes-là faisaient ? »

Le 18 avril dernier au matin, elle nous a accueillis au magasin général.

Derrière la porte d’entrée qui taille un chanfrein sur l’angle de l’édifice, un grand local s’ouvre, où sont entassées des chaises, quelques tables, un comptoir réfrigéré (vide), un ancien comptoir de bois vitré, deux frigos, deux cuisinières. Depuis cinq ans, des évènements sociaux et musicaux s’y tiennent durant la belle saison.

Une odeur sucrée flotte : sur des étagères à roulettes qu’une employée vient d’y pousser, une fournée de pains refroidit sous la brise de deux gros ventilateurs. Le boulanger Yannick Mayrand, nouveau propriétaire de la Boulangerie artisanale de Lawrenceville, occupe un petit local aménagé pour lui à l’arrière.

Ces initiatives sont tombées de la CIEL.

Que la CIEL soit louée !

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Michel Carbonneau, président et fondateur de la Coopérative d’initiatives entrepreneuriales de Lawrenceville (CIEL), et ancien maire du village

C’est pour insuffler une nouvelle vitalité à la communauté que la Coopérative d’initiatives entrepreneuriales de Lawrenceville (CIEL) a été créée en 2009.

« Tout est parti d’une réunion de garage, qui a eu lieu chez Dominique Millette et son mari Pierre Tessier », raconte son premier président, Michel Carbonneau. « On devait être une bonne dizaine à se réunir à l’initiative de deux ou trois personnes qui se disaient malheureuses de ce qui semblait devenir la fin d’un esprit de village. Il n’y avait plus de restaurant, les commerces étaient menacés. »

Michel Carbonneau est lui-même un bel exemple de l’engagement que Lawrenceville peut susciter chez ses citoyens. Pendant 30 ans professeur à l’Université de Montréal, il a acquis une résidence secondaire à Lawrenceville vers 1970. D’abord conseiller municipal, il a été maire de 2010 à 2017.

16,73 km2

Superficie de la municipalité

283

Nombre de logements privés dans Lawrenceville (2021)

- 2,7 %

Variation de la population entre 2016 et 2021

En 2010, le petit complexe industriel de l’endroit était en bonne partie occupé par le mouleur IPL, qui fabriquait des capots d’engins motorisés pour BRP. L’entreprise, qui employait une centaine de personnes à Lawrenceville, avait le projet d’agrandir pour doubler sa capacité de production.

La CIEL, à qui la municipalité avait confié la responsabilité du motel industriel, y a vu l’occasion d’aménager un café-bistro dans l’ancien magasin général désaffecté, qui aurait servi de cafétéria pour IPL.

Malheureusement, les nouveaux propriétaires d’IPL, vendue entre-temps, ont abandonné le projet, pourtant déjà bien engagé.

« Malgré ce pépin, la coopérative a décidé d’aller de l’avant et d’acheter le magasin général », relate Michel Carbonneau.

Une nouvelle tuile est tombée : l’institution prêteuse a exigé une analyse du sol, lequel s’est révélé contaminé par les anciennes pompes à essence.

« On a été mis devant deux options. Il y avait des citoyens qui estimaient qu’il n’y avait aucun intérêt à sauver cet immeuble-là », poursuit Michel Carbonneau.

Les membres du conseil d’administration de la coop estimaient que l’immeuble du magasin général, même s’il était en mauvais état, avait une valeur patrimoniale, au moins pour les habitants qui habitaient le village depuis longtemps.

Michel Carbonneau, président et fondateur de la Coopérative d’initiatives entrepreneuriales de Lawrenceville (CIEL)

Privée de financement, la petite coop n’avait pas les moyens d’entreprendre les travaux de décontamination. Et ses activités de financement dans le magasin général ne pouvaient se tenir sans décontamination préalable, croyait-on. On tournait en rond.

« On a traîné ce boulet pendant sept ou huit ans, jusqu’à ce que des jeunes ne se laissent pas emprisonner par ce sol à décontaminer. Ils ont dit : “On anime le lieu, on verra après.” »

Un de ces meneurs était Pierre-Emmanuel Tessier, fils de Dominique Millette.

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Fondée en 1891, l’entreprise Millette et Fils fabrique notamment des produits d’emballage sur mesure et des pièces de bois tournées.

Après un séjour de quatre ans à Port-Cartier, il était revenu à Lawrenceville en 2016 pour travailler dans l’entreprise familiale, Millette et Fils.

Pierre-Emmanuel Tessier et Guillaume Roberge, fils du propriétaire de la quincaillerie du village, ont fait avec leurs conjointes le constat que « ça prendrait un endroit pour prendre une bière au village, pour être capables de socialiser », relate Pierre-Emmanuel.

« Il n’y avait plus de lieu de rencontre. Le perron de l’église jouait ce rôle-là, avant. »

Avec une cohorte de bénévoles, ils ont lancé une grande corvée de nettoyage du vieux magasin général et ont demandé les permis nécessaires pour y tenir des évènements de courte durée.

« On a appelé ça Lawmuse-Gueule », dit-il. « Le but de l’activité était de favoriser les rencontres. »

Et aussi d’attirer les récalcitrants sur les lieux du litige, question de leur en faire miroiter le potentiel.

Ils croyaient pouvoir réunir entre 30 et 60 personnes pour leur premier évènement, tenu durant l’été 2018. « La première soirée, on en a eu plus d’une centaine. On a manqué de bière en une heure. »

Ce succès a donné confiance à un groupe d’investisseurs privés, qui leur a consenti un prêt sans intérêt pour 15 ans. « Ça nous a permis de rénover la section pour la boulangerie. »

Le loyer de celle-ci a contribué à regarnir la caisse de l’organisme, qui a pu refaire la fenestration du rez-de-chaussée de l’édifice en 2022.

La CIEL veut trouver un locataire pour le rez-de-chaussée, pour ensuite aménager des bureaux professionnels à l’étage grâce au loyer supplémentaire. Mais il est difficile d’attirer des candidats avant que l’édifice soit retapé.

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Pierre-Emmanuel Tessier, président du C. A. de la CIEL

Ce n’est pas donné à tout le monde de s’installer dans un petit village. Aujourd’hui, ce qu’on cherche à vendre à des locataires potentiels, c’est : si tu cherches des clients, on les connaît, on va te les présenter. Si tu cherches des partenaires, on les connaît, on va te les présenter. Ne t’inquiète pas, si tu as besoin d’installations de plomberie ou d’électricité, on les connaît tous, ces entrepreneurs-là, on va te les présenter.

Pierre-Emmanuel Tessier, président du C. A. de la CIEL

Entre-temps, pour engranger des fonds, la CIEL s’appuie sur Lawmuse-Gueule.

« Je suis en train d’organiser la sixième édition pour cet été, indique Pierre-Emmanuel Tessier. Ça répond très bien. »

La coop prévoit céder l’édifice lorsque sa rentabilité sera assurée. « Et peut-être se lancer ensuite pour un autre bâtiment, dit-il. Il y a d’autres commerces ici qui vont avoir besoin d’une relève. »

« La CIEL a de la job pour longtemps ! »

Virée à Lawrenceville

Une visite guidée permet de mieux comprendre les défis de la petite communauté… et de rencontrer d’étonnants personnages.

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Survol des commerces et établissements du village qui malgré l’adversité parviennent à exister.

Le boulanger

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Yannick Mayrand, boulanger

Une odeur alléchante flottait dans le magasin général. « Le mardi, ça sent toujours bon », lance le boulanger Yannick Mayrand.

Mardi est le jour des tortillons à la cannelle.

« J’ai acheté il y a trois ans », raconte-t-il, alors que la sonnerie du four retentit. « La boulangerie avait 30 ans. Le propriétaire voulait prendre sa retraite et moi, je voulais changer ma vie. »

Il avait travaillé 20 ans en informatique.

Il habite à Bromont. Pendant huit mois, il a fait le trajet quotidien jusqu’à Montréal-Nord pour suivre un cours de boulangerie. Il avait l’intention d’ouvrir son propre commerce, mais s’est aperçu que les institutions financières se montraient frileuses devant les fours à pain.

Je suis retourné travailler pour remplir mon petit cochon, et un an plus tard, j’ai sorti mon petit cochon et j’ai acheté l’affaire.

Yannick Mayrand, boulanger

Le 2 octobre 2020, il a racheté l’équipement de l’ancien boulanger de Lawrenceville, qui travaillait dans une rallonge de sa maison. Un mois plus tard, Yannick Mayrand s’installait dans le local aménagé pour lui par la CIEL.

« C’était tout délabré. Ils ont fait un miracle, ici. Toute la partie arrière est refaite à neuf. »

Pour l’instant, son modèle d’affaires s’appuie sur la distribution dans les épiceries fines des environs. Mais bientôt, il entend bien servir directement la population locale, dans le magasin général.

L’école

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L’institutrice Joëlle Bergeron donne une leçon à ses élèves sur le cycle de croissance des légumes à l’aide d’un grand écran interactif.

L’école Saint-Laurent, construite en 1959, compte deux classes et une maternelle qui accueillent cette année une trentaine d’élèves. Elle est périodiquement mise en péril.

« Il faut avoir de bonnes idées pour la garder », indique Dominique Millette. « Depuis au moins une dizaine d’années, la municipalité s’implique. Elle a une entente avec la commission scolaire pour l’entretien extérieur, tondre le gazon, ouvrir la cour l’hiver. »

Dans sa classe, l’institutrice Joëlle Bergeron donne une leçon sur le cycle de croissance des légumes sur un grand écran interactif. Hormis une petite malade, tous ses élèves y sont : deux garçons et sept filles de 3e et 4e années sont assis en cercle sur le plancher.

Joëlle Bergeron enseigne à Lawrenceville depuis une quinzaine d’années.

J’ai seulement deux niveaux, cette année. L’année prochaine je vais en avoir trois, l’année dernière j’en avais quatre.

Joëlle Bergeron, enseignante de l’école Saint-Laurent

Le directeur de l’école, Benoit Berthelot, partage son temps avec l’école de Bonsecours. L’exiguïté des lieux nécessite quelques compromis créatifs. « Dans mon local de direction, j’ai un tipi », annonce-t-il. En effet, dans un coin de son bureau de direction, une petite tente conique est dressée, munie d’un matelas et d’une peluche. « Chaque matin, il y a un élève qui commence sa journée dans le tipi pour sa routine. »

Le dépanneur

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Marie-Josée Roy, propriétaire du dépanneur le Coin du dep

Faute d’acquéreur, le dépanneur de Lawrenceville avait fermé ses portes en 2019. De sa survie dépendait l’existence du bureau de poste qu’il accueillait.

« Pour nous, c’était une inquiétude, relate Dominique Millette. Est-ce qu’on allait garder notre bureau de poste ? »

Marie-Josée Roy avait travaillé pendant 16 ans dans le dépanneur, avant de quitter le commerce en 2015 pour se consacrer à l’aménagement paysager. Elle a reconstitué l’inventaire, renouvelé les permis et rouvert le commerce en novembre 2020.

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Le Coin du dep abrite le bureau de poste du village.

Elle l’a appelé le Coin du dep, plutôt que le Dépanneur du coin, comme le lui suggéraient ses enfants. « Le dépanneur du coin, ça aurait pu être n’importe où. » Ce coin-là était unique.

Deux petites tables et des chaises occupent l’avant du dépanneur.

Vu que le perron de l’église est inexistant depuis un bout de temps, les bla-bla-bla et les rencontres se font ici.

Marie-Josée Roy, propriétaire du Coin du dep

La dynamique grand-mère, dont les portraits des petits-enfants émaillent le mur du commerce, consacrait jusqu’à tout récemment plus de 80 heures par semaine à son commerce. « Maintenant, je prends le dimanche. Et ça fait du bien ! »

Son rire résonnait encore quand nous sommes sortis.

« Elle est toujours souriante, toujours prête à rendre service », lance Dominique Millette. « C’est une perle. Et pour nous, c’est ce qui sauve et le dépanneur et le bureau de poste. »

L’usine

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Millette et Fils compte BRP parmi ses principaux clients.

« J’ai des racines très profondes, déclare Dominique Millette. Ma famille est ici depuis 150 ans cette année. Je suis née ici, moi. »

Elle est liée à la principale industrie de la petite localité. « C’est mon arrière-grand-père qui a fondé l’entreprise Millette et Fils avec son frère. »

Près de 135 ans plus tard, elle est toujours détenue par la famille des fondateurs.

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L’usine Millette et Fils

« Mon père, c’était la troisième génération. »

Au milieu des années 1960, l’arrivée du plastique leur a soustrait plusieurs de leurs contrats.

« Ça les a beaucoup affectés. Mon père a offert à ses cousins de tout racheter. Il est devenu propriétaire unique. Il a été très chanceux. Il était à Valcourt, un jour, et il a rencontré un gars : “Eille, toi, Millette, tu travailles le bois ? Chez Bombardier, on a besoin de quelque chose pour expédier nos motoneiges.” »

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Millette et Fils emploie une soixantaine de personnes.

La fabrication de caisses de bois pour BRP est devenue la principale activité de l’entreprise, qui emploie actuellement une soixantaine de personnes à Lawrenceville.

Sur cette lancée, Millette et Fils est devenue, à son échelle, une entreprise internationale. Quand BRP a ouvert deux usines au Mexique, Millette et Fils a fait de même pour lui fournir ses caisses.

Mon mari et mon frère ont pris la suite de papa. Et depuis deux ans, ce sont mes deux grands garçons qui sont en train de reprendre ça.

Dominique Millette

Alexis et Pierre-Emmanuel Tessier constituent la cinquième génération de ce qu’on pourrait appeler une dynastie, si ce n’était que le mot a une connotation aristocratique totalement étrangère à la sympathique famille.

La quincaillerie

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Gilles Roberge, l’un des propriétaires de la quincaillerie BMR Matériaux Lawrenceville

Les principaux commerces s’alignent devant l’église comme dans une chanson des Colocs. Leur disparition aurait laissé un trou béant au cœur du village.

Pierre Tessier, qui s’est joint à sa femme Dominique pour terminer la tournée, nous mène à la quincaillerie BMR Matériaux Lawrenceville. Elle a été fondée en 1988 par 12 actionnaires. Il en reste trois, dont Gilles Roberge et son fils Guillaume.

Mon gars s’en va. Il est en amour avec une fille de Trois-Rivières. Je perds ma relève. Et je vais avoir 68 ans.

Gilles Roberge, l’un des propriétaires de la quincaillerie BMR Matériaux Lawrenceville

Il a quatre employés à temps plein. L’un d’eux, Daniel, a 63 ans. Un autre, Alain, travaille pour lui depuis 32 ans. Une jeunesse, celui-là : il a 54 ans.

Au fil des agrandissements contraints par son petit terrain, le magasin semble avoir poussé au hasard. Dans les pièces de l’étage et du sous-sol, toutes les tablettes sont pleines à ras bord.

« On cherche des actionnaires, annonce Gilles Roberge. Je veux modérer, mais pas lâcher complètement. Parce que ce n’est pas évident, reprendre tout ça. »

Y a-t-il des gens intéressés ?

« On a une réunion demain soir. On va voir ça. J’aimerais une fusion avec un gros. On est petit. On livre jusqu’à Saint-Hyacinthe. Quand j’ai deux gars qui partent en camion, quelquefois, je me ramasse tout seul.

« J’aimerais finir de travailler le vendredi midi cette année, puis le jeudi midi l’an prochain. Mais je ne veux pas arrêter, je vais m’ennuyer chez nous. »

Le garage

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Serge Lussier, du garage homonyme

Le Garage Serge Lussier est installé tout à côté de la quincaillerie.

Son propriétaire fait de la mécanique générale – c’est-à-dire absolument tout. À notre arrivée, une femme d’âge mûr récupérait sa voiture. Une autre (voiture) attend une réparation dans le garage. Des pneus neufs prêts à être installés s’empilent dans la réception.

« J’aimerais ça m’asseoir », lance Serge Lussier, les mains noires de cambouis, après l’introduction de Pierre Tessier. « J’ai acheté quand j’avais 28 ans, et j’ai 64 ans. »

Faute de personnel, il travaille maintenant seul, dès 6 h 30. « Il n’y en a pas de problème. Il rentre tous les matins ! », dit-il à propos de lui-même. Un pince-sans-rire.

« C’est tellement un bon service ! », intervient Dominique Millette. « Le nombre de fois que Serge m’a dépannée, pour mon tracteur à gazon, ma souffleuse ! Des grands souliers à chausser ! »

Il cherche à vendre ?

« En principe, c’est fait », répond-il, en regardant Pierre Tessier.

Ah bon ?

« Vous êtes pas mal les premiers à l’apprendre », confirme celui-ci.

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Pierre Tessier, copropriétaire de Millette et Fils

On ne veut pas perdre notre garage. Les jeunes n’ont pas l’argent pour acheter un garage.

Pierre Tessier, copropriétaire de Millette et Fils

Le garagiste, fidèle à son métier, fait une mise au point : « Il y en a un qui était intéressé, mais il s’est séparé, et c’est sa femme qui avait l’argent. »

Pierre Tessier et son beau-frère Stéphane Millette, copropriétaires de Millette et Fils, veulent racheter le garage.

« Le comptable a appelé hier », confie encore Pierre Tessier. « On a trouvé des jeunes. Les pourparlers sont faits. Ils veulent voir combien ça leur coûterait. Nous, on loue au coûtant, pour leur donner une chance, pour qu’ils puissent reprendre le garage. Nous, tout ce qu’on veut, c’est conserver le service. »

Une location avec promesse d’achat, en quelque sorte.

Une promesse faite à Lawrenceville.

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