S’il ne perd rien en raffinement dans l’assiette, le crabe est plus accessible que jamais à la poissonnerie : son prix est à la baisse depuis le début de la saison. Pour le plus grand bonheur des gourmands, moins pour celui des pêcheurs québécois, dont certains vivent une crise inquiétante.

On le sait, les prix des produits de la pêche sont hautement volatils, mais on voit rarement des réductions aux comptoirs des poissonniers lorsqu’il s’agit de crustacés prisés comme les crabes. Pourtant, cette année, c’est le cas : les consommateurs peuvent s’attendre à payer pratiquement la moitié du prix de détail de 2022 pour le produit frais.

À la poissonnerie Odessa de la rue Molson, à Montréal, tous les crabes des neiges se sont envolés durant le week-end pascal. « On est habitués de voir une petite augmentation du prix, chaque année », explique la gérante de la poissonnerie, Marie-Christine Chayer. Les baisses sont beaucoup plus rares.

Il faut dire que l’année dernière, les prix étaient si élevés que, aussi tentante soit-elle, la chair de crabe a perdu de l’intérêt.

« On était au début de l’inflation alimentaire, après la COVID, rappelle Marie-Christine Chayer. Les gens n’étaient pas contents et en ont peu acheté. »

Résultat : il est resté du crabe de l’année dernière, congelé. Ce qui explique que la petite bête fraîche se détaille maintenant beaucoup moins cher. Chez Odessa, il faut payer autour de 12,99 $ la livre pour le crabe vivant et 22,50 $ pour les sections préparées. C’est une réduction d’au moins 40 % comparativement au prix affiché l’année dernière, explique la gérante du commerce.

Des pêcheurs à quai

Les amateurs vont se réjouir de mettre la main sur du crabe à ce bas prix, mais ça n’est pas du tout la fête du côté des pêcheurs. Sur une partie de la Côte-Nord, la saison est compromise. Les pêcheurs estiment que ça ne vaut carrément pas le coût de mettre les bateaux à l’eau. Les usines de transformation leur offrent entre 2,25 $ et 2,50 $ la livre pour leurs crabes. Les pêcheurs demandent pratiquement un dollar de plus. La situation est tendue. Il y a 39 propriétaires dans cette région, la zone 16 de pêche.

Du côté de la Gaspésie, dans la zone 17 de l’estuaire du Saint-Laurent, la pêche au crabe des neiges est commencée depuis la fin de mars. Les pêcheurs ont accepté le prix des transformateurs, certains espérant qu’il sera haussé en cours de saison. Des observateurs en doutent : avec leur stock des années précédentes à écouler, les usines ne bonifieront sans doute pas leur offre pour de nouveaux crustacés.

De leur côté, les industriels estiment que la saison sera mauvaise, financièrement, pour tout le monde.

Les prises, elles, sont bonnes, nuance le directeur général de l’Association des capitaines propriétaires de la Gaspésie, Claudio Bernatchez. La qualité et l’abondance ont ceci de bon, dit-il : cela va convaincre des consommateurs d’ici qui avaient cessé d’en acheter, parce que les prix étaient trop élevés, de revenir vers un produit de la mer local.

Mardi matin, 5 h, c’était le début de la saison pour les pêcheurs de la plus importante région, la zone 12 qui s trouve le long du littoral Nord de la Gaspésie, mais qui englobe aussi uene partie de la Côte-Nord, de l'Est du Nouveau-Brunswick jusqu'à l'Île du Prince-Édouard et aux Îles-de-la-Madeleine. Claudio Bernatchez explique que les pêcheurs qui ont des quotas plus importants peuvent rentabiliser leurs activités, ce qui est plus difficile lorsque les quantités à capturer sont petites.

La pêche au crabe fonctionne par quota au Québec. C’est-à-dire que les pêcheurs ont des droits de pêche établis selon des relevés scientifiques de la saison précédente, notamment. La saison est terminée lorsque la quantité de crustacés maximale est récoltée. Les quotas ne sont pas transférables, d’une zone à l’autre, mais un propriétaire peut louer son droit de pêche à un collègue de la même zone.

Pratiquement le tiers du crabe québécois est certifié durable, dont tout celui pêché dans les zones 16 et 17.

En savoir plus
  • 60 %
    Le crabe représente 60 % des exportations totales de tous produits marins du Québec ; 97 % du crabe des neiges qui quitte le Québec part pour les États-Unis.
    Source : Ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec
  • 14 %
    Entre 2010 (3,97 $/kg) et 2021 (16,30 $/kg), le prix au débarquement du crabe des neiges a plus que quadruplé, suivant un taux de croissance annuel moyen de 14 %.
    Source : Institut de recherche en économie contemporaine, 2022