(Ottawa et Montréal) L’Administration portuaire de Montréal (APM) est loin d’être seule à taper du pied devant la lenteur du gouvernement Trudeau à confirmer qu’il investira dans le projet du terminal portuaire de Contrecœur. Les gens d’affaires s’impatientent aussi. Et cette impatience déborde les frontières du Québec.

Le Toronto Region Board of Trade joint sa voix à celles du Conseil du patronat du Québec et de Manufacturiers et Exportateurs du Québec pour exhorter le gouvernement Trudeau à annoncer sans tarder qu’il appuie le financement du projet de terminal de conteneurs industriels à Contrecœur, une demande que tente de faire cheminer l’APM depuis des mois.

Le montage financier de Contrecœur a été chamboulé par l’inflation. Résultat : la facture initiale ne tient plus. L’APM lance un appel pressant à Ottawa pour s’assurer que ce projet, jugé essentiel pour la chaîne d’approvisionnement à Montréal et dans l’est du pays, voie le jour.

« Le mouvement efficace des marchandises est essentiel pour Toronto et le sud de l’Ontario, où se trouve 40 % de la base de l’industrie manufacturière du Canada. L’agrandissement du port de Montréal est applaudi par Toronto comme une première étape importante dans la résolution des problèmes de compétitivité et de congestion auxquels nous faisons face », a affirmé la présidente et directrice générale du Toronto Region Board of Trade, Janet De Silva, dans un courriel à La Presse.

Les propos de Mme De Silva démontrent sans l’ombre d’un doute que l’Ontario et le Québec ont la même lecture au sujet de l’importance de ce projet pour l’économie du pays et la chaîne d’approvisionnement. Près de 30 % des marchandises qui aboutissent en Ontario transitent d’ailleurs par le port de Montréal.

Dans un discours qu’il a prononcé cette semaine devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le président-directeur général de l’APM, Martin Imbleau, a abordé la question d’un rapprochement avec l’Ontario.

Ce qui se passe d’intéressant, c’est que l’Ontario vient de se réveiller et se dit : “Nous, un port, on n’a pas ça, on a besoin du port de Montréal et quand on regarde les générations à venir, on est inquiets pour la capacité.”

Martin Imbleau, président-directeur général de l’APM

« Ils viennent de se dire : “On va développer notre propre stratégie maritime.” Mes équipes et moi avons rencontré des représentants du ministère des Transports en Ontario et nous allons les aider à développer leur stratégie maritime », a aussi relevé M. Imbleau.

Le mois dernier, l’APM a obtenu 75 millions de dollars supplémentaires de Québec pour mener à bien le projet. Mais Ottawa tarde à annoncer ses couleurs. Des pourparlers sont en cours entre les dirigeants de l’APM et le gouvernement Trudeau. Selon nos informations, une somme d’environ 150 millions est au cœur des négociations. On espérait une annonce dans le dernier budget fédéral, déposé le 28 mars. Mais la déception était au rendez-vous. La ministre des Finances Chrystia Freeland n’a annoncé aucune somme dans son budget.

Selon M. Imbleau, il faut s’entendre d’ici la fin du mois pour que le projet puisse être mis en branle vers la fin de l’année, comme prévu.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Martin Imbleau, président-directeur général de l’Administration portuaire de Montréal

« Le calendrier, il faut le maintenir parce qu’en 2027, on arrivera au maximum de la capacité », a affirmé le président-directeur général de l’APM mardi.

L’effet inflationniste

Le projet Contrecœur, qui doit voir le jour en banlieue de Montréal, coûtera plus cher que l’estimation allant de 750 à 950 millions préalablement évoquée. M. Imbleau n’a pas voulu chiffrer l’ordre des dépassements de coûts, qu’il impute aux pressions inflationnistes. Parallèlement au financement, l’APM attend toujours le feu vert du fédéral pour empiéter sur l’habitat essentiel du chevalier cuivré, un poisson menacé de disparition.

En débloquant une nouvelle enveloppe dans son budget déposé le mois dernier, le gouvernement Legault appuie le projet à hauteur de 130 millions. La Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) doit aussi offrir 300 millions en prêts. L’APM ainsi que son partenaire privé – qui devrait être sélectionné au cours de l’été – viendront compléter le montage financier.

Un appui financier du gouvernement Trudeau, combiné à l’effort supplémentaire de Québec, permettrait d’absorber les effets de l’inflation, selon M. Imbleau.

Selon le président du Conseil du patronat du Québec, Karl Blackburn, le projet Contrecœur est crucial au moment où l’on déploie d’importants efforts pour consolider la chaîne d’approvisionnement sur le continent nord-américain et que l’on tente de réduire toute dépendance envers des régimes autoritaires comme la Chine et la Russie.

« Les chaînes d’approvisionnement ont été lourdement affectées au cours des dernières années. Mais on sait qu’elles sont importantes pour la vitalité et la croissance de notre économie. Le projet Contrecœur est névralgique pour nos chaînes d’approvisionnement, et particulièrement au Québec. Et de tels projets sont longs à réaliser. On a de la misère à s’expliquer la lenteur de l’évolution du dossier de la part du gouvernement fédéral », a-t-il affirmé.

La présidente-directrice générale de Manufacturiers et Exportateurs du Québec, Véronique Proulx, est du même avis. « On a participé aux consultations au sujet de Contrecœur. Ce projet est important. Et il est important que le gouvernement fédéral accélère la cadence et donne un appui financier au Port de Montréal pour ce projet. Si ce projet est retardé, ça va affecter nos chaînes d’approvisionnement », a-t-elle dit.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Pour plusieurs observateurs du milieu des affaires, le projet Contrecœur est nécessaire pour solidifier la chaîne d’approvisionnement dans l’est du pays.

Professeur en gestion des transports à HEC Montréal, Jacques Roy estime que le temps presse pour tous les acteurs impliqués dans ce dossier.

« Le trafic de conteneurs est en hausse à Montréal. C’est sûr qu’il ne faut pas attendre que la pleine capacité soit atteinte avant de lancer le projet. On est dans l’horizon normal où on devrait commencer à exécuter ces travaux », a-t-il analysé.

Il s’est aussi dit étonné de voir les délais entourant le montage financier et la participation du gouvernement fédéral. « La réponse courte est oui. Il me semble que c’est un projet assez naturel. C’est carrément dans la cour du fédéral. Cela m’étonne qu’il n’ait pas encore répondu à l’appel. Les ports n’ont pas une tonne de marge de manœuvre pour aller sur les marchés et se financer. »

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  • 1,15 million
    Nombre de conteneurs « équivalents vingt pieds » (EVP) que le terminal de Contrecœur devrait pouvoir manutentionner annuellement
    SOURCE : ADMINISTRATION PORTUAIRE DE MONTRÉAL