Sur TikTok et YouTube, des travailleurs racontent comment ils ont quitté leur emploi, ce qui leur donne un sentiment de pouvoir sur des situations souvent intenables.

Samantha Rae Garcia a occupé son poste de restauratrice à Midland, au Texas, pendant quatre ans avant de décider l’année dernière qu’elle ne pouvait plus tolérer les critiques de son patron. Mme Garcia, étudiante en psychologie à l’Université du Texas Permian Basin, a consulté ses parents. Elle a enregistré sa décision quelques instants avant de démissionner. Elle a ensuite réalisé une vidéo TikTok à ce sujet.

Dans la vidéo, qui a été enregistrée spontanément, Mme Garcia, alors âgée de 23 ans, bat des cils, sourit et lève le pouce de manière satirique. Sa patronne, hors caméra, dit qu’elle en a assez de s’occuper d’elle. Le texte de la vidéo est le suivant : « Ma patronne ne savait pas que j’étais là pendant qu’elle parlait de moi. »

Mme Garcia, en utilisant un mot qui ne peut pas être imprimé, chuchote une réponse, traitant sa patronne de « mauvaise gestionnaire ».

Depuis que la vidéo a été publiée en février 2022, elle a été visionnée 3,7 millions de fois.

PHOTO ALVARO BERNIS, THE NEW YORK TIMES

Avant que les vidéos de démission n’apparaissent sur TikTok, les utilisateurs partageaient des histoires similaires sur YouTube et Facebook.

TikTok regorge de conseils sur ce qu’il faut faire après avoir quitté son emploi. Mme Garcia s’inscrit dans une autre tendance, antérieure à TikTok, où les jeunes publient des mini-drames qui attirent des millions de téléspectateurs. Dans certains cas, ces vidéos très publiques peuvent déboucher sur de nouvelles possibilités de carrière, en aidant ceux qui les publient à construire leur personnalité en ligne.

Les vidéos de démission – ou QuitToks, comme on les appelle parfois – reflètent « une rupture du contrat social selon lequel, si vous travaillez dur et respectez les règles, le rêve américain est toujours là pour vous », explique Ann Swidler, professeure de sociologie à l’Université de Californie à Berkeley, dont les cours portent notamment sur la sociologie de la culture. La fidélité à l’entreprise n’est plus ce qu’elle était, selon Ann Swidler. Il y a « une désillusion culturelle quant aux promesses qui se cachent derrière le monde du travail ».

Les travailleurs des services occupant des emplois mal rémunérés proclament publiquement que le compromis implicite consistant à travailler pour gagner de l’argent n’est plus équitable. Et avec 1,9 offre d’emploi pour chaque personne à la recherche d’un travail, ils peuvent se permettre de prendre le risque de s’exprimer publiquement.

Selon Joseph Fuller, professeur de pratiques de gestion à la Harvard University Business School, le thème commun à ces vidéos est celui des « attentes déçues ». « Personne n’accepte un emploi en se disant : “Ça va être terrible, je n’arrive pas à croire que je doive faire ça” », a-t-il déclaré.

« Dans l’ensemble, les gens ne quittent pas leur emploi, a-t-il ajouté. Ils quittent un patron. »

Fanfares et danses

Avant que les vidéos de démission n’apparaissent sur TikTok, les utilisateurs partageaient des histoires similaires sur YouTube et Facebook.

En 2011, Joey La Neve DeFrancesco, alors âgé de 23 ans, a publié sur YouTube une vidéo dans laquelle il quitte son emploi dans un hôtel avec le soutien de sa fanfare. Lors d’une récente interview, il a expliqué qu’il avait été frustré par les longues heures de travail, les bas salaires, le partage des pourboires et l’opposition à la syndicalisation. « Je voulais envoyer un dernier message à la direction et faire quelque chose qui serait drôle pour les collègues et qui pourrait peut-être inspirer la lutte contre les gestionnaires antisyndicaux », a-t-il expliqué.

Dans la vidéo, un DeFrancesco souriant et les membres de son groupe affrontent l’un de ses supérieurs qui, en voyant les musiciens, tente d’ordonner à tout le monde de sortir. « Je suis ici pour vous dire que je démissionne ! », répond M. DeFrancesco. Il tente de tendre sa lettre de démission au gestionnaire, mais celle-ci tombe au sol. Il lève alors les bras triomphalement, et la fanfare entonne un air de célébration. La vidéo a été visionnée 8,5 millions de fois.

Cette vidéo de trois minutes lui a permis d’apparaître dans les émissions Good Morning America, Access Hollywood et Anderson Cooper 360. Elle a « changé ma vie », a-t-il lancé, même si elle n’a pas modifié ses valeurs : M. DeFrancesco travaille principalement comme organisateur syndical.

« Douce revanche »

De nombreuses vidéos de démission récentes semblent être le fruit d’un coup de tête. Comme celle de M. DeFrancesco, celle de Marina Shifrin était planifiée. En septembre 2013, elle avait 25 ans et travaillait à Taïwan, où elle écrivait, comme elle le dit, des « articles sur les célébrités ». Après avoir subi un « harcèlement constant de la part de [son] patron », dit-elle, elle était « en train de [s]’effondrer ».

Elle s’est sentie piégée dans un système qui abusait des jeunes femmes. « Je n’avais aucune ressource pour me sortir de cette situation, alors je me suis tournée vers l’internet, car c’est là que je passais le plus clair de mon temps. »

Mme Shifrin a adopté une approche méthodique. « Je suis probablement la seule personne à avoir publié une vidéo virale et à avoir dressé une liste des avantages et des inconvénients », a-t-elle déclaré. Parmi les inconvénients, on trouve « plus d’assurance maladie » et « je ne serai jamais embauchée dans le monde de l’entreprise ». Mme Shifrin a décidé que les avantages l’emportaient sur les inconvénients.

Dans la vidéo, intitulée « Une danse pour mon patron basée sur la chanson Gone de Kanye West » (« An Interpretive Dance for My Boss Set to Kanye West’s “Gone” »), Mme Shifrin écrit qu’elle est au travail à 4 h 30 du matin. Vêtue d’un blazer vert et de son badge d’employée, elle exécute la danse interprétative du titre, dans les toilettes, dans un studio d’enregistrement, sur un bureau et dans les allées, tandis qu’un texte superposé énumère les raisons de son départ. Lorsqu’elle surgit d’un cubicule, le texte se lit comme suit : « I QUIT ! [JE DÉMISSIONNE !] » Lorsqu’elle quitte le bureau, elle éteint les lumières. Le texte dit : « Je suis partie. »

IMAGE ALVARO BERNIS, THE NEW YORK TIMES

Les vidéos de démission sont une sorte de performance artistique.

Le travail qu’elle quittait exigeait d’elle d’obtenir le plus grand nombre de vues possible ; sa vidéo de réponse a réussi, dit-elle, parce qu’elle se concentrait « sur le contenu au lieu de s’inquiéter des vues ». Le fait que sa vidéo soit devenue virale a été, selon elle, une « douce revanche ».

En moins de 24 heures, alors que Mme Shifrin se rendait de Taïwan à Los Angeles pour participer à l’émission The Queen Latifah Show, elle a obtenu environ 2,6 millions de vues supplémentaires. Des agents d’Hollywood l’ont appelée. Latifah lui a offert un emploi à l’antenne. Pendant sept ans, elle a travaillé à la télévision et a publié un livre intitulé 30 Before 30 : How I Made a Mess of My 20s, and You Can Too (30 avant 30 : comment j’ai gâché mes 20 ans et vous pouvez aussi).

Les vidéos de M. DeFrancesco et Mme Shifrin étaient une sorte de performance artistique. Aujourd’hui, les vidéos de démission sont moins axées sur la présentation et davantage sur des plaintes spécifiques. Nombre d’entre elles mettent en scène des travailleurs au salaire minimum, souvent des jeunes femmes.

Le coup de poing émotionnel

En février 2020, Maria Kukulak a enregistré sa décision de quitter son emploi chez Wendy’s parce que, selon elle, ses nouveaux patrons étaient « vraiment méchants ». Mme Kukulak dit qu’elle démissionnera après avoir terminé son service : « Je vais balayer et ensuite sauter par la fenêtre. » Au milieu de la vidéo TikTok, elle apprend qu’un gestionnaire l’a qualifiée de « cause perdue ». Elle saute par la fenêtre comme promis. « Je ne suis pas une cause perdue et je démissionne, dit-elle à son patron. Au revoir. »

Sa vidéo a été visionnée plus de 15 millions de fois. Mme Kukulak travaille aujourd’hui comme entraîneuse personnelle et ne vit pas de TikTok, mais aimerait bien le faire. « J’adore me filmer », a-t-elle déclaré lors d’une récente interview. Avec 227 000 adeptes, elle rêve de devenir créatrice de contenu à plein temps. « Je pense que j’ai du talent », a-t-elle affirmé.

Cet article a été publié à l’origine dans The New York Times.

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