Depuis le début de 2023, l’Autorité des marchés financiers (AMF) reçoit chaque semaine de 12 à 15 appels de plaintes en lien avec les cryptomonnaies et autres cryptoactifs.

Malgré les récentes débâcles de plusieurs plateformes et les pertes de valeur de la dernière année, les cryptomonnaies continuent d’attirer l’attention de nombreux investisseurs, souligne l’organisme.

Avec de fréquentes déconvenues qui dépassent les simples effets de marché.

Le nombre d’appels pour des plaintes relatives aux cryptoactifs à l’AMF a été multiplié par sept entre 2020 et 2021, passant de 41 à 272, pour encore doubler en 2022, avec 474 appels.

C’est quasi exponentiel, on en a plein les bras, on travaille super fort.

Hélène Guilbault, enquêteuse coordonnatrice experte des cyberenquêtes à l’AMF

Près de un de ces appels sur deux est placé par des personnes qui ont déjà investi sur une plateforme et qui soupçonnent qu’elles ont été victimes d’une arnaque.

Et il ne s’agit sans doute que de la partie émergée de l’iceberg, les crypto-investisseurs, comme tous les investisseurs, restant plus discrets sur leurs déconfitures que sur leurs gains.

Plaintes relatives aux cryptomonnaies à l’AMF

  • 2020 : 41 appels
  • 2021 : 272 appels
  • 2022 : 474 appels
  • 2023 : 12 à 15 appels par semaine (projection de 625 à 780)

En croissance

Alors que s’entame en mars le Mois de la prévention de la fraude, l’AMF lance une campagne de prévention et de mises en garde à l’endroit des arnaques liées aux cryptoactifs.

Les consommateurs qui veulent investir de manière autonome s’appuient de plus en plus sur les médias sociaux pour s’informer sur les produits et services financiers, déplore l’organisme de surveillance.

Trop souvent, l’objectif premier de ces influenceurs n’est pas d’informer, « mais plutôt de générer le plus grand nombre de vues ou de clics, ou de profiter financièrement d’un engouement concernant des titres ou des cryptoactifs dans lesquels ils ont parfois eux-mêmes investi », dénonce Louis Morisset, président-directeur général de l’Autorité, dans un communiqué.

Les investisseurs autonomes « font de la recherche sur l’internet, mais ils sont beaucoup sollicités sur les réseaux sociaux », relève de son côté l’enquêteuse Hélène Guilbault.

« Ce qu’on voit beaucoup, et que je trouve particulièrement inquiétant, c’est le recrutement par les investisseurs eux-mêmes. »

Ils recrutent des amis et des parents, en échange de bonis ou d’avantages analogues aux systèmes de ventes pyramidales. Et quand l’investissement s’effondre, toute la pyramide relationnelle fait de même.

Des professionnels

Les cryptofraudeurs « sont extrêmement professionnels », souligne Hélène Guilbault.

« Les sites sont professionnels, les documents aussi, quand il y en a. Au service à la clientèle, il y a des gens qui répondent en français. Ils sont rassurants. »

Ce service à la clientèle peut malheureusement s’étendre jusqu’au service après-arnaque.

« Ce qu’on voit relativement souvent et qui est vraiment dommageable, c’est que des victimes se retrouvent à être deux fois victimes. Il existe des stratagèmes de service de recouvrement. »

Les victimes sont contactées par une firme qui leur promet de récupérer la somme perdue, moyennant frais, bien entendu.

« C’est ni plus ni moins qu’une deuxième fraude dont ils sont l’objet. C’est extrêmement triste. »

L’importance d’agir vite

« La bonne nouvelle, c’est qu’on a de plus en plus de ressources », souligne Hélène Guilbault.

Pour des raisons de sécurité, l’AMF ne veut pas divulguer le nombre exact d’enquêteurs affectés aux seuls cryptoactifs. Mais l’organisme informe tout de même que ses ressources vouées aux inspections et enquêtes sont passées de 47 personnes en 2004 à plus de 200 personnes en 2023. Elles comprennent notamment 98 professionnels (inspecteurs, enquêteurs, analystes spécialisés, experts en science des données…) et 34 procureurs.

« On travaille super fort, et ce sont des gens qui sont motivés parce qu’on fait la différence », affirme l’enquêteuse avec un enthousiasme manifeste.

« Parfois on arrive, surtout quand ça part du Québec, à bloquer des fonds. Dans certains cas, il y a eu des remises aux investisseurs. »

L’efficacité dépend en large partie de la rapidité de l’intervention.

C’est pourquoi les appels d’information à l’AMF, quand un doute est soulevé dans l’esprit du consommateur, sont si importants.

Les gens qui s’informent au préalable, ce sont nos préférés, je vous dirais.

Hélène Guilbault, enquêteuse coordonnatrice experte des cyberenquêtes à l’AMF

Idéalement, l’enquêteuse souhaiterait être la première à investir lorsqu’une plateforme douteuse ou une offre d’investissement suspecte fait son apparition.

« Rapidement, on part en opération d’infiltration pour aller valider ce qui se dit, qui sont ces personnes derrière ces offres d’investissement. »

À défaut d’intervenir avant la fraude, mieux vaut agir le plus tôt possible après le méfait. « Il ne faut pas que les gens aient honte de nous appeler », insiste Hélène Guilbault.

« On parle à des gens de toutes provenances. Quelquefois, ce sont des hommes d’affaires aguerris. Ils se sont fait avoir et ils en ont honte. »

En révélant leur mésaventure, ils éviteront à d’autres de marcher sur leurs brisées.

Quelques précautions

Le syndrome FOMO (fear of missing out), ou anxiété de ratage, c’est-à-dire la crainte de voir une splendide occasion nous passer sous le nez, est particulièrement exploitée par les fraudeurs.

Avant toute décision précipitée, l’AMF invite les investisseurs potentiels à s’informer auprès de sources fiables et reconnues, comme ils le feraient pour tout autre produit financier.

L’AMF présente sur son site les dix plateformes de négociation de cryptoactifs qui sont dûment inscrites1 auprès de l’organisme.

« Si elles sont inscrites chez nous, ce n’est pas une assurance tout risque, mais c’est néanmoins quelque chose de rassurant », fait valoir Hélène Guilbault.

L’organisme propose également une page de mises en garde, sur laquelle elle publie une liste de sites web, d’entreprises ou de personnes dont les activités comportent un risque élevé, que l’enquêteuse appelle « la liste noire2 ».

Pour dénoncer une activité suspecte ou trouver réponse à leurs questions, les particuliers peuvent contacter les agents du centre d’information de l’AMF3.

1. Consultez la liste des plateformes de négociation de cryptoactifs inscrites à l’AMF 2. Consultez la liste des mises en garde 3. Consultez les façons de contacter l’AMF