Le promoteur d’un projet de tour de condos de 44 étages à Montréal s’adresse à la Cour pour pouvoir vendre 20 logements à des acheteurs étrangers, malgré l’entrée en vigueur le 1er janvier de la nouvelle loi interdisant l’achat de résidences par des non-Canadiens.

Les clients, originaires pour la plupart de Chine, mais aussi de Taïwan, des États-Unis et de France, ont signé entre 2018 et 2020 des contrats pour acquérir des condos dans la tour Solstice. La construction du projet tire à sa fin, à côté du Centre Bell, rue de la Montagne, mais la vingtaine de logements mentionnés dans le recours ne sont toujours pas terminés.

Or, la Chambre des notaires vient de publier un article dans son magazine Entracte qui a de quoi inquiéter non seulement les constructeurs du Solstice, mais aussi tous les promoteurs en train de terminer des projets dans les grandes villes canadiennes, avec des clients immigrants. Selon son autrice, une transaction signée après le 1er janvier doit respecter la loi, soit un moratoire de deux ans sur les achats par des étrangers. Et ce, même si un contrat d’achat a été signé avant l’entrée en vigueur de la loi.

Situation délicate

Ce point de vue a de graves conséquences, selon l’avocat du Solstice, Clément Lucas, du cabinet De Grandpré Jolicœur. Elle place le notaire dans la situation où il ne peut officialiser une telle transaction « sans mettre en péril à la fois sa couverture d’assurance professionnelle et sa propre responsabilité pénale » quant aux sanctions possibles contre lui.

L’avocat du Solstice pense au contraire que les clients ayant signé des contrats d’achat avant l’entrée en vigueur des nouvelles mesures ont un « droit acquis » et peuvent conclure leur transaction. Il demande donc à la Cour supérieure de prononcer un jugement déclaratoire en ce sens.

Les notaires pourraient ainsi officialiser sans risque les transactions d’étrangers conclues dans des contrats avant la sanction de la loi, en juin 2022.

« Ils ne répondent toujours pas »

La Société canadienne d’hypothèques et de logement vient d’adopter le règlement qui régira la Loi sur l’interdiction d’achats d’immeubles résidentiels par des non-Canadiens. « Ils ne répondent toujours pas à la question », dit Clément Lucas, l’avocat du Solstice, en entretien avec La Presse. Le texte qu’a publié l’organisme fédéral est muet quant à l’existence ou non d’un quelconque droit acquis.

PHOTO FOURNIE PAR DE GRANDPRÉ JOLICŒUR

L’avocat du Solstice, Clément Lucas

Dans sa requête, Clément Lucas dit avoir eu « plusieurs communications » avec les ministres fédéraux des Finances et du Logement et avec le ministre de la Justice du Québec, chargé d’appliquer les lois. « Aucun palier de gouvernement n’a fourni de réponse substantielle, laissant la Demanderesse dans une situation de difficulté réelle », indique le document.

L’annulation de la vingtaine de ventes concernées au Solstice porterait « une lourde atteinte » aux droits de son promoteur, 9357-4010 Québec inc., l’empêchant de « rembourser avec le fruit des ventes son prêt construction », allègue la requête. « C’est la pérennité même de la Demanderesse qui est en cause. »

Le dossier doit revenir devant la Cour le 26 janvier.

Blitz pour finir des condos

Selon Clément Lucas, le projet du centre-ville est loin d’être le seul concerné par l’absence de précision du gouvernement fédéral sur la question. De nombreux projets partout au pays seraient dans la même situation.

« Je sais qu’il y a beaucoup de projets qui se dépêchent de conclure leurs ventes avant ce janvier », dit-il.

La nouvelle loi prévoit qu’un non-Canadien qui achèterait une propriété au pays, ainsi que toute personne qui l’assisterait, serait passible d’une amende d’un maximum de 10 000 $. Une infraction pourrait aussi enclencher la vente forcée de la résidence concernée.

Au cabinet de comptables Fuller Landau, la directrice principale pour la fiscalité immobilière des non-résidants Julie Côté cherche elle aussi à obtenir des précisions d’Ottawa depuis des mois, pour des clients des États-Unis, d’Europe et du Proche-Orient.

Mais le gouvernement n’a rien fait pour l’aider à comprendre les conséquences de la loi pour eux, déplore-t-elle.

PHOTO TIRÉE DE LINKEDIN

Julie Côté, comptable spécialiste de la taxation des non-résidants chez Fuller Landau

« Ça fait à peu près depuis août que mon équipe fait des appels à Revenu Canada, raconte-t-elle. On nous disait tout le temps : “On ne sait pas, ce n’est pas encore officiel…” » Le fisc l’a finalement dirigée vers le ministère des Finances, qui l’a plutôt adressée au Logement.

Puis… pas de nouvelles. À une semaine de la nouvelle année et de l’entrée en vigueur de la loi, Julie Côté attend toujours les précisions du ministre Ahmed Hussen.