Au Québec, l’utilisation de l’anglais gagne du terrain dans le monde du travail.

La proportion de travailleurs qui parlent principalement l’anglais au travail est passée de 12 % en 2016 à 14 % en 2021, soit une hausse de 2 points de pourcentage, selon les données du dernier recensement publiées mercredi par Statistique Canada.

Paradoxalement, cette hausse de l’anglais en milieu de travail ne s’est pas faite au détriment du français comme principale langue parlée.

La proportion de personnes qui parlent principalement le français est restée pratiquement inchangée depuis 2016, passant de 80 % à 79,9 %.

Ce qui a changé, c’est la proportion des travailleurs déclarant parler le français et l’anglais à égalité. De 7,3 % en 2016, elle a chuté à 5,4 % en 2021.

On observe donc un déplacement de certains travailleurs d’un environnement de travail bilingue à un environnement unilingue anglophone.

Cette évolution est en partie attribuable au changement apporté à la question sur les langues de travail par Statistique Canada.

Lors des recensements précédents, l’agence fédérale demandait aux répondants d’indiquer la langue qu’ils utilisaient le plus souvent au travail, puis les autres langues. Dans le cadre du recensement de 2021, les répondants devaient d’abord indiquer les langues qu’ils utilisaient régulièrement au travail, puis préciser les autres. « Ce changement a permis à 88 % des répondants de ne répondre qu’à une seule question à ce sujet plutôt qu’à deux », précise Statistique Canada.

L’augmentation de l’utilisation de l’anglais au travail tient également à d’autres facteurs, à commencer par le changement de la composition de la population.

« Cette augmentation s’explique principalement par le fait qu’il y a eu une croissance beaucoup plus importante du nombre de travailleurs qui ne connaissent que l’anglais, et parmi ces travailleurs, une forte proportion est composée d’immigrants récents et d’immigrants temporaires », explique Jean-Pierre Corbeil, professeur au département de sociologie de l’Université Laval.

À cela s’ajoutent les effets de la transformation de la structure économique. La montée de l’anglais s’observe particulièrement dans des secteurs qui ont une dimension internationale.

« C’est un peu illusoire de penser qu’au Québec, on ne va parler que le français au travail », poursuit M. Corbeil, ancien directeur adjoint à la Division de la diversité et de la statistique socioculturelle de Statistique Canada. « Il y a quand même une réalité économique qui est associée à la mondialisation, à la croissance des échanges commerciaux du Québec avec l’étranger, qui a aussi une incidence sur la langue du travail. »

Certains secteurs de l’industrie sont en effet beaucoup plus touchés que d’autres.

De 2016 à 2021, la baisse de l’utilisation du français comme langue principalement parlée au travail a été plus marquée dans l’industrie de l’information et dans l’industrie culturelle (de 68,1 % en 2016 à 62,3 % en 2021), dans le secteur de la finance et des assurances (de 74,3 % à 71 %), ainsi que dans les services professionnels, scientifiques et techniques (de 69,2 % à 65,7 %).

Baisse plus marquée à Montréal

La diminution est encore plus forte à Montréal, où le taux d’utilisation principale du français est passé de 69 % à 56 % dans l’industrie de l’information et dans l’industrie culturelle, de 71 % à 60 % dans le secteur de la finance et les assurances, et de 66 % à 56 % dans les services professionnels, scientifiques et techniques.

« Montréal est une plaque tournante de la biotechnologie, du multimédia, de l’aérospatiale, de l’intelligence artificielle, et j’en passe. On attire des cerveaux de partout dans le monde. C’est sûr que ça contribue aussi à faire en sorte qu’il y ait une croissance de l’anglais », enchaîne Jean-Pierre Corbeil.

Selon Statistique Canada, dans la région de Montréal, qui représente un peu plus de la moitié (51,6 %) de la population en emploi au Québec, 70 % des travailleurs utilisent principalement le français au travail, alors que 21 % utilisent principalement l’anglais et 8,3 % déclarent utiliser le français et l’anglais à égalité.

Au total, on note que 38,3 % des travailleurs utilisent à la fois le français et l’anglais de façon régulière au travail dans le Grand Montréal.

Pour freiner la progression de l’anglais comme langue parlée au travail, M. Corbeil croit qu’il faut favoriser une immigration qui a une connaissance du français, « mais pas à tout prix ». Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, « on ne peut pas dire : tu as moins de compétences, mais tu parles français, donc on va t’accueillir, alors que d’autres n’ont pas cette compétence et on va les rejeter », illustre-t-il.

Selon lui, la solution passe par le choix des immigrants, les politiques de francisation en milieu de travail et ailleurs, ainsi que le contrôle de l’exode de la population de langue française vers l’extérieur de l’île ou de la région métropolitaine.

À l’échelle du Canada, 77,1 % des travailleurs utilisent principalement l’anglais, 19,9 % utilisent principalement le français, 1,7 % emploient les deux langues à égalité, tandis que 1,3 % n’utilisent ni le français ni l’anglais le plus souvent au travail.

En savoir plus
  • 35,4 %
    Proportion des travailleurs qui utilisent régulièrement l’anglais au travail au Québec
    source : Statistique Canada