Après avoir déçu les attentes qu’elle avait suscitées dans les années 1970, l’énergie nucléaire a été oubliée et même bannie dans de nombreux endroits du monde. Mais cette source d’énergie qui n’émet pas de gaz à effet de serre pourrait faire un grand retour dans plusieurs pays qui doivent à la fois augmenter leur production d’électricité et réduire leur empreinte carbone.

Au Canada, en Europe et aux États-Unis, une porte qu’on croyait fermée s’ouvre de plus en plus grande pour que l’énergie nucléaire joue un rôle plus important dans la transition énergétique.

Même le Canada, pays riche en ressources énergétiques, voit l’énergie nucléaire sous un jour nouveau. Steven Guilbeault, ancien militant écologiste devenu ministre de l’Environnement et du Changement climatique, a surpris et déçu de nombreux environnementalistes en plaidant en faveur de l’utilité de l’énergie nucléaire.

« Dans le contexte d’une crise climatique, nous devons examiner toutes les sources d’électricité non émettrices, y compris l’énergie solaire, l’énergie éolienne, l’hydroélectricité et l’énergie nucléaire, et leur donner une chance équitable de rivaliser sur le marché », a réitéré Steven Guilbeault, dans un message transmis à La Presse.

Au Canada, où 15 % de l’électricité est produite par des réacteurs nucléaires, les provinces de l’Ontario, de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Nouveau-Brunswick ont uni leurs efforts pour développer la technologie des petits réacteurs modulaires (SMR) qui pourraient fournir de l’énergie fiable et sans émissions de GES.

Aux États-Unis, l’administration Biden, qui a de grandes ambitions en matière d’environnement, a décidé de consacrer 6 milliards US pour prolonger la vie des centrales nucléaires existantes et aider le pays dans sa lutte contre les changements climatiques.

Après des débats corsés, l’Union européenne a inclus l’énergie nucléaire dans sa liste des énergies vertes qui pourront contribuer à l’atteinte de ses objectifs de carboneutralité en 2050.

Actuellement, dans le monde, le nombre d’anciennes centrales qui ferment est supérieur au nombre d’ouvertures. Ça pourrait changer.

« Oui, je crois que le nucléaire va revenir, tranquillement, dans le mix énergétique de plusieurs pays, prévoit Pierre-Olivier Pineau, professeur et titulaire de la Chaire en énergie à HEC Montréal. Surtout avec les enjeux actuels autour du gaz naturel, le nucléaire apparaît comme une option très intéressante. »

Preuve de cet intérêt croissant pour le nucléaire, la production d’électricité à partir de l’énergie nucléaire dans le monde devrait augmenter de 20 % au cours des prochaines années, selon la World Nuclear Association. L’an dernier, 10 nouveaux réacteurs nucléaires ont commencé à produire de l’électricité et 10 autres sont en construction en Chine, en Inde, en Turquie et en Corée du Sud.

Consultez la base de données des réacteurs nucléaires (en anglais)

Pas parfait, mais intéressant

L’intérêt nouveau pour l’énergie nucléaire est facile à comprendre, selon Normand Mousseau, professeur au département de physique de l’Université de Montréal et directeur de l’Institut de l’énergie Trottier. Il s’agit d’une source d’énergie fiable, dont le monde a besoin pour appuyer la production intermittente des éoliennes et des panneaux solaires.

La question de la disposition des déchets nucléaires, qui reste cruciale pour les environnementalistes, ne doit pas être un obstacle au développement de cette filière, estime le professeur Mousseau.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Normand Mousseau, professeur au département de physique de l’Université de Montréal et directeur de l’Institut de l’énergie Trottier

Il n’y a aucun problème à gérer les déchets avec l’enfouissement. Au Canada, on a des roches qui n’ont pas bougé depuis des milliers d’années.

Normand Mousseau, professeur au département de physique de l’Université de Montréal

Cela dit, il y a d’autres solutions, selon lui, comme le recyclage et la réutilisation du combustible irradié, qui méritent d’être explorées. « On n’a pas travaillé fort sur les nouvelles technologies liées au nucléaire depuis 50 ans », souligne-t-il.

Le nucléaire a été laissé de côté dans un contexte d’abondance de gaz naturel et de pétrole bon marché. Si l’intérêt revient, c’est qu’on voit ses avantages stratégiques pour la transition énergétique.

« Ce n’est pas parfait, mais ça reste un outil intéressant, estime-t-il. Il reste à savoir où et dans quel contexte l’énergie nucléaire peut être la plus utile. »

Ailleurs dans le monde, la renaissance du nucléaire est bel et bien amorcée. L’année dernière, l’Agence internationale de l’énergie (AIEA) atomique a relevé ses prévisions de croissance pour le nucléaire pour la première fois depuis le tremblement de terre qui avait détruit la centrale nucléaire de Fukushima en 2011. L’agence, qui relève de l’ONU, vient de revoir à la hausse ses prévisions encore cette année.

L’AIEA prévoit maintenant que la puissance nucléaire installée va doubler d’ici 2050 dans le monde, passant de 390 gigawatts actuellement à 875 gigawatts. « Les gouvernements repensent leurs portefeuilles en faveur de l’énergie nucléaire », pour sécuriser leur approvisionnement énergétique, alors que « la pandémie de COVID-19, les tensions géopolitiques et le conflit en Ukraine ont perturbé les flux et provoqué une flambée des prix », explique l’AIEA dans un communiqué publié le 26 septembre dernier.

« Si la priorité du monde est la réduction des gaz à effet de serre, alors le recours au nucléaire est incontournable, résume Gaëtan Lafrance, professeur à l’INRS et spécialiste des prévisions énergétiques. Pour des raisons techniques d’abord, parce que tous les réseaux électriques auront toujours besoin d’énergie de base, et aussi pour des raisons de sécurité énergétique. La guerre en Ukraine a rappelé à tout le monde qu’il est dangereux de trop dépendre d’un autre pays. »

De nouveaux barrages, mais pas de nucléaire au Québec

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Centrale nucléaire Gentilly-2, à Bécancour, en 2017

Le Québec ne verra pas de renaissance du nucléaire, prévoit Normand Mousseau. Hydro-Québec a fermé Gentilly-2, sa seule centrale nucléaire, en 2012 après avoir renoncé à la rénover à un coût estimé à 2 milliards en 2008.

« Au Québec, on a d’autres options avec l’hydroélectricité et la capacité de stockage des grands réservoirs, illustre-t-il. Et il y a toujours la possibilité d’ajouter des turbines aux centrales existantes pour augmenter leur production. »

Ailleurs au Canada, la construction de nouvelles centrales nucléaires est plus probable, croit-il, notamment dans les provinces productrices de pétrole qui sont sous pression pour diminuer leurs émissions de GES et qui n’ont pas beaucoup d’autres options.

Ne rien écarter, selon RBC

Comme tous les autres pays du monde, le Canada aura besoin de produire plus d’électricité pour répondre à la demande croissante générée par la transition énergétique. Il aurait tort d’exclure l’énergie nucléaire, de même que les centrales hydroélectriques, qui sont des solutions qui ne doivent pas être écartées, ont conclu les économistes de la Banque Royale après avoir analysé les options disponibles.

Le Québec a besoin d’ajouter 100 térawattheures à sa production actuelle de 200 térawattheures pour répondre à la demande prévisible d’électricité. Le gouvernement de François Legault nouvellement réélu veut relancer la construction de grands ouvrages hydroélectriques, qui doivent être planifiés longtemps à l’avance. C’est une bonne idée, selon la RBC.

Le contexte favorise le développement de l’éolien et du solaire, des sources moins chères et plus rapides à construire, mais laisse de côté le nucléaire et l’hydroélectricité. À long terme, ce pourrait être une erreur coûteuse, estime le rapport.

« Notre modélisation montre qu’un réseau qui intègre et table sur le nucléaire [et l’hydroélectricité] pourrait être plus abordable. Un réseau ne reposant que sur l’énergie renouvelable avec stockage par batteries pourrait faire grimper les coûts annuels [de la transition énergétique] de 7 milliards de dollars, tandis que la hausse serait réduite d’environ de moitié dans le cas d’un réseau plus diversifié. »

Une centrale nucléaire, comme une centrale hydroélectrique, commande des investissements importants, mais ses avantages compensent ces coûts plus élevés, estime la RBC.

Le nucléaire et l’hydroélectricité, des sources d’énergie sans émissions à la source, peuvent appuyer les approvisionnements intermittents en énergie éolienne et solaire, souligne l’analyse. « Exclure les projets hydroélectriques du réseau parce qu’on les juge actuellement chers — compte tenu du temps qu’ils prennent à construire – risque d’éliminer une source rentable et durable à long terme. »

De même, la production d’une centrale nucléaire sera moins affectée par les changements climatiques, « ce qui a une valeur plus grande dans un monde incertain ».

Lisez l’étude Le prix de l’énergie de la RBC
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  • 350 milliards US
    Sommes investies dans l’énergie solaire et éolienne dans le monde en 2021, comparativement à 24 milliards dans le secteur nucléaire
    Source : World Nuclear Industry Report