En injectant 200 millions dans Celsius Network, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) a misé sur un modèle qui s’apparentait à une arnaque à la Ponzi, suggère une agence gouvernementale américaine dans un rapport accablant sur cette cryptobanque toujours dans la tourmente.

Rédigé par l’agence de réglementation financière du Vermont, le document, déposé mercredi auprès d’un tribunal new-yorkais des faillites, souligne également que Celsius Network s’approchait de l’insolvabilité dès 2019. Il soulève de nouvelles questions à propos de la vérification diligente effectuée par la Caisse avant de réaliser son investissement, à l’automne 2021.

L’avocat Ethan McLaughlin écrit notamment que l’entreprise avait admis aux enquêteurs du Vermont que la cryptobanque n’avait « jamais généré suffisamment de revenus pour soutenir les rendements versés aux investisseurs ».

« Cela démontre un niveau élevé de mauvaise gestion et suggère également qu’au moins à certains moments, les rendements ont probablement été payés avec les actifs des nouveaux déposants », peut-on lire dans son rapport.

L’expression « système de Ponzi » n’est pas utilisée par l’avocat, mais ses observations correspondent exactement à sa définition, souligne Saidatou Dicko, professeure au département des sciences comptables de l’ESG UQAM et spécialiste en gouvernance.

Les revenus ne permettaient pas de générer des bénéfices suffisants pour verser des rendements, dit-elle. C’est une attrape pour les investisseurs.

Saidatou Dicko, professeure au département des sciences comptables de l’ESG UQAM

Une fraude à la Ponzi consiste à utiliser les entrées d’argent émanant des nouveaux investisseurs pour verser de faux rendements à d’autres investisseurs ou rembourser ceux qui désirent récupérer leur argent.

Celsius Network, à l’instar des autres cryptobanques, mettait en commun des dépôts de cryptomonnaies. Elle offrait des prêts et des intérêts, qui pouvaient parfois atteindre 17 %, aux déposants. Cela est bien plus élevé que ce que proposent les banques traditionnelles.

Interrogé par La Presse, mercredi, le gestionnaire québécois de régimes de retraite et d’assurance publics et parapublics a refusé de commenter le contenu du rapport. Le document ne précise pas si les 200 millions de la CDPQ ont servi à payer des rendements aux déposants de Celsius Network.

Ce n’est pas la première fois que la cryptobanque est associée à un stratagème de Ponzi. Un ex-partenaire avait formulé une accusation en ce sens, en juillet dernier, dans une poursuite déposée contre l’entreprise. L’accusation n’était toutefois pas aussi documentée que le constat de l’agence de réglementation financière du Vermont.

Lisez l’article « Le partenaire de la CDPQ accusé d’avoir orchestré une fraude à la Ponzi »

Plusieurs reproches

L’agence gouvernementale n’est pas tendre à l’endroit de Celsius Network, qui s’est tournée vers la loi américaine sur les faillites le 13 juillet dernier, un mois après avoir gelé les retraits de 1,7 million de déposants en raison d’une crise des liquidités.

« Par l’entremise de son chef de la direction Alex Mashinsky, Celsius a effectué des déclarations trompeuses aux investisseurs sur la santé financière de la société et son respect de la loi sur les valeurs mobilières, est-il écrit. Cela a probablement incité les particuliers à investir dans Celsius. »

Le document souligne que si l’on exclut la valeur de la cryptomonnaie de Celsius Network – le jeton CEL –, son passif aurait été supérieur à ses actifs dès le 28 février 2019. Selon le chef de la direction financière Chris Ferraro, la cryptobanque était en voie de devenir insolvable dès 2020. Le Vermont allègue que l’entreprise a aussi manipulé le cours de sa monnaie virtuelle.

Cela contraste avec la version publique de Celsius Network, qui attribuait son effondrement au plongeon des cryptomonnaies amorcé depuis le début de l’année.

« Celsius et sa direction ont caché aux investisseurs ses pertes massives, son déficit d’actifs et la détérioration de sa situation financière », écrit Me McLaughlin.

À plus d’une reprise depuis le début de l’année, le Vermont avait mis ses citoyens en garde à propos des risques entourant Celsius Network. L’État américain demande au tribunal des faillites de nommer un vérificateur aux « pouvoirs étendus » afin d’enquêter sur l’entreprise.

Questions sans réponse

En faisant son mea culpa à l’occasion de la présentation des résultats semestriels de la CDPQ, le 17 août dernier, le président et chef de la direction, Charles Emond, avait défendu les vérifications effectuées auprès de Celsius Network.

Le gestionnaire avait affirmé que les services de firmes de « premier ordre » avaient été retenus.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Charles Emond, président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec

« Il n’y avait pas eu de raccourcis, au contraire, avait affirmé M. Emond. L’équipe a fait preuve de prudence. Les vérifications ont été exhaustives avec la participation de plusieurs experts et consultants. »

Difficile de croire qu’il n’y avait pas de voyants rouges, estime Mme Dicko.

« Une compagnie qui ne génère pas assez de revenus et de bénéfices, mais qui verse des rendements, il me semble que l’on aurait dû voir cela dans les finances, explique l’experte. La question, c’est de savoir si la CDPQ a consulté tous les documents avant d’investir. »

Le rapport qui émane du Vermont révèle par ailleurs que 40 États enquêtent actuellement sur les pratiques commerciales de Celsius.

En savoir plus
  • 3 milliards
    Valeur attribuée à Celsius Network lorsque la CDPQ y a investi.
    Source : Caisse de dépôt et placement du Québec